La cathédrale Saint-Trophime d’Arles
La page du site Internet Wikipedia consacrée à cette église
en fait une bonne description. La recherche documentaire a
été poussée, et les œuvres d’art très bien étudiées. Nous
conseillons au lecteur de s’y reporter pour une plus ample
information qui complèterait la notre pour les périodes
postérieures au XIIesiècle. Nous rappelons que
notre propre recherche ne concerne que le premier
millénaire, même s’il nous arrive de déborder jusqu’à l’an
1200 pour une meilleure compréhension d’une architecture
romane très insuffisamment décryptée.
C’est sans doute le cas ici. Voici quelques lignes extraites
de la page précédemment citée : « Construite
au XIIe siècle, elle est bâtie sur
l’emplacement d’une basilique initiale du Ve
siècle appelée « Saint-Étienne »… La basilique primitive
d’Arles était probablement située dans un quartier appelé
aujourd’hui l’Auture et était dédiée à Saint Étienne. Le
transfert de la cathédrale, longtemps attribué à Hilaire
ou à son prédécesseur Patrocle, n’a pu avoir lieu qu’après
l’épiscopat de Césaire (évêque d’Arles de 502 à 542). En
effet, cette église primitive disparaît dans la tourmente
des invasions du VIIe siècle (il y a
sans doute là une petite coquille, l’auteur envisageant
plutôt le Ve siècle) puis
est reconstruite à son emplacement actuel à l’époque
carolingienne. Elle est à nouveau reconstruite à la fin du
XIe siècle avec la construction d’un chœur
et du transept, puis de la nef. Le chœur sera reconstruit
au XVe siècle avec la création d’un
déambulatoire. Sa période de construction est incertaine :
entre le XIIe siècle et le XVe
siècle. »
Tout d’abord nous avouons notre incompréhension devant les
deux dernières phrases qui nous semblent quelque peu
contradictoires.
Mais ce n’est pas tout ! On retrouve dans l’ensemble du
texte précédent quelques un des poncifs que nous avons eu
l’occasion de dénoncer en de multiples occasions. Le premier
d’entre eux est celui-ci : « cette
église primitive disparaît dans la tourmente des invasions
du Ve siècle ». En d’autres
occasions, une phase analogue subirait le commentaire
laconique d’un correcteur de Wikipedia : « Citez vos sources
». Quelles sont les sources affirmant qu’il y a eu une ou
plusieurs invasions au Vesiècle ? Quelle est
la source précisant que la ville d’Arles a été elle-même
envahie ? Quelle est la source signalant que, lors de cette
invasion, l’église Saint-Étienne a été détruite ? Disons-le
tout de suite : de telles sources n’existent pas. Un
raisonnement basé sur de simples hypothèses est insuffisant.
Seule l’analyse de l’architecture peut permettre de répondre
aux problèmes de datation.
Le texte de Wikipedia se révèle instructif quand il révèle
que l’église Saint-Trophime était précédemment dédiée à
Saint Étienne. Le fait n’est pas exceptionnel. Cependant,,
il faut remarquer que la dédicace n’est pas adressée à
Sainte Marie. Y compris pour les temps anciens. Ce qui est
plus exceptionnel. Car on a constaté que la plupart des
cathédrales des débuts du christianisme étaient consacrées à
la Vierge Marie. Il n’y avait d’ailleurs pas une cathédrale,
mais un groupe cathédral formé de plusieurs églises voisines
les unes des autres. C’est ce qui a été constaté à Oviedo,
Terrassa, Béziers. Nous ne doutons pas qu’il y ait eu le
même groupe cathédral à Arles, importante ville romaine.
Cependant, l’emplacement de ce groupe cathédral doit être
difficile à situer. Ce pourrait être autour de
Saint-Trophime dont l’enclos est assez important pour
contenir plusieurs églises. Ce pourrait être aussi autour de
Notre-Dame-la-Major, de l’autre côté de l’amphithéâtre.
La partie de phrase : «
puis est reconstruite à son emplacement actuel à l’époque
carolingienne » nous surprend quelque peu. Comment
l’auteur a-t-il fait pour voir cela ? Nous n’avons repéré
aucune trace d’une église dite carolingienne. Il est
possible que l’auteur ait interprété les morceaux de plaques
de chancel déposées dans le cloître comme des restes de
cette église carolingienne. Mais ces morceaux ne prouvent
rien. Ces plaques de chancel sont analogues aux tables de
communion. Celles-ci ont été massivement introduites dans
les églises plus anciennes au XIXesiècle, pour
être retirées dans les années 1960 après la réforme de
Vatican II. Ces tables de communion sont tout à fait
indépendantes de la construction des églises qui les ont
contenues.
Passons à l’étude architecturale.
Nous n’étudierons pas le magnifique portail roman qui a été
abondamment décrit par d’autres que nous. Il pourrait dater
de la seconde moitié du XIIesiècle (image
4).
La façade de l'image 3 est
caractéristique de celle d’un édifice paléochrétien. En
faisant abstraction du portail roman, on retrouve les même
éléments de comparaison avec Saint-Aphrodise de Béziers :
même plan vertical reproduisant la vue en coupe de la nef
basilicale, même absence de cloisonnement de la façade, même
porte centrale, même absence de portes permettant d’accéder
aux bas-côtés, même fenêtre centrale. Bien sûr, on remarque
les traces de nombreuses reprises, mais ce serait étonnant
s’il n’y avait pas eu de transformation en près de 1500 ans.
Un autre élément qui milite en faveur d’une haute datation
est l’absence d’ouvrage Ouest. Il faut bien comprendre que
toute église romane qui se respecte a un ouvrage Ouest.
L’ouvrage Ouest (appelé aussi narthex) est, avec la nef, le
transept, la tour de croisée, le grand chevet, un des
éléments constitutifs d’une église romane (XIeou
XIIesiècle). Parfois, cet ouvrage n’est qu’un
simple porche comme ici, mais il est intégré à la façade.
D’autres fois, cet ouvrage n’est que la façade mais elle est
richement décorée. S’il n’y a pas d’ouvrage Ouest, cela
signifie, soit qu’il a été détruit (ce qui n’est pas le cas
ici), soit que la façade Ouest a été construite à une
période où on ne construisait pas d’ouvrage Ouest.
C’est-à-dire antérieure à la période romane.
La tour de croisée du transept constitue un des plus beaux
ornements de cette église. Elle est constituée de trois
étages en retraits successifs, les deux étages inférieurs
étant à arcatures lombardes. La connaissance que nous
commençons à avoir sur les décors à arcatures lombardes nous
a fait envisager qu’ils ont été développés sur plusieurs
siècles. Selon nous, au cours du premier âge des arcatures
lombardes,l’appareil situé à l’intérieur des panneaux est
plus grossier que l’appareil constituant le cadre des
panneaux. Dans le cas présent, l’appareil est identique. Ce
serait donc le deuxième âge des arcatures lombardes. Par
ailleurs, la voûte située à l’intérieur de cette tour (image 9) est une voûte
en plein cintre, et non une voûte en coupole. Nous pensons
que la voûte en plein cintre précède la voûte sur croisée
d’ogives, qui elle-même précèderait la voûte en coupole.
Nous pensons que, si les architectes qui ont élevé cette
tour avaient connu la voûte en coupole, ils l’auraient
construite. Nous pensons aussi que, au Moyen-Âge, toute
nouveauté architecturale était diffusée rapidement au moins
dans l’aire européenne (ce qui signifie qu’il n’y avait pas
une région moins évoluée qu’une autre). En conséquence, la
présence de cette voûte en plein cintre devrait permettre de
dater les arcatures lombardes de deuxième génération. La
voûte d’arêtes est présente en fin du XIesiècle
à Vézelay. La voûte en plein cintre étant probablement
antérieure à la voûte d’arêtes, on peut raisonnablement
envisager que le décor d’arcatures lombardes est antérieur à
l’an 1050.
La nef (images de 7 à 10) présente les caractéristiques
suivantes : c’est une nef à trois vaisseaux à piliers
rectangulaires de type
R1112. Les arcs reliant les piliers sont doubles.
Nous pensons que ce type d’arc double est plus évolué que
l’arc simple. Il pourrait cependant être antérieur à l’an
mille. Il n’est pas possible que la construction initiale
ait été faite avec des arcs simples, de doublement des arcs
étant postérieur. En conséquence, ces arcs doubles font
partie du plan primitif. Par contre, il est fort possible
que primitivement, les vaisseaux aient été charpentés (et
non voûtés). Les voûtes auraient été voûtées ultérieurement
en accolant aux piliers du côté des voûtes des pilastres qui
auraient porté les arcs doubleaux, eux-mêmes porteurs des
voûtes. En conséquence, on est face à deux possibilités :
soit, dès l’origine, l’église était voûtée, soit elle était
charpentée puis ultérieurement voûtée. Il nous semble que
c’est la deuxième solution qui est la bonne. En effet, les
arcs entre piliers sont en plein cintre alors que les arcs
soutenant la voûte sont brisés (plus tardifs que les arcs en
plein cintre).
Par ailleurs, le site Internet nous apprend que certains des
murs de la nef seraient construits en petit appareil (signe
d’ancienneté). N’ayant pas vu ce détail, nous ne pouvons en
dire plus.
Les images 11 et 12 montrent
un détail qui semble spécifique aux églises de Provence.
C’est la présence de colonnes cylindriques dont on se
demande quelle en est l’utilité. Ou l’esthétique. Nous ne
voyons pas l’explication.
Les deux sarcophages paléochrétiens
Nous avons pu photographier deux des trois sarcophages
paléochrétiens.
Le sarcophage à l’Orante (ou à deux registres) (images
de 13 à 20).
Registre
supérieur : Le Christ accompagné du coq annonce à
Pierre (à droite) son reniement (images
13 et 15).
À l’extrême gauche, la Multiplication des Pains (image
14).
À l’extrême droite, Daniel empoisonne le Dragon des
Babyloniens. À côté, guérison de l’Aveugle-Né (image
15).
Registre
inférieur : au centre l’Orante (image
16).
À l’extrême gauche, les Noces de Cana la Source que fait
jaillir Moïse (ou Pierre).
À l’extrême droite, les Noces de Cana, puis le Christ, un
apôtre et la guérison de l’Hémorroïsse (image
15).
Petit côté droit : l’Adoration des Mages (image
17) et l’entrée de Jésus dans Jérusalem (image 18).
Petit côté gauche : l’Offrande de Caïn et Abel à Dieu et le
Christ devant le Figuier stérile (image
19).
En bas, les Trois Hébreux refusant d’adorer l’idole de
Nabuchodonosor (image 20).
Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner des sarcophages
paléochrétiens au Musée Antique d’Arles. Nous avons constaté
qu’on retrouvait souvent les mêmes scènes. Des scènes que
nous pouvions assez facilement identifier sur d’autres
sarcophages. Mais parce que leur facture obéissait à des
stéréotypes. Cependant, nous nous posons quelques questions
à leur sujet.
La première de ces questions est la suivante : quels sont
ceux qui sont arrivés à identifier ces scènes pour la
première fois et comment-ont-ils fait ? Pour certaines d
‘entre elles comme l’Adoration des Mages (image
17) ou l’Entrée de Jésus dans Jérusalem (image 18), c’est
relativement facile. Mais pour d’autres, comme la Guérison
de l’Hémoroïsse (image
15) ou celle de l’Aveugle-Né, c’est plus
problématique. La Bible fourmille de centaines d’épisodes
reproduits en images au cours des siècles. Comment est-on
arrivé à identifier certains de ces épisodes bibliques sur
des représentations presque toutes identiques ? Existe-t-il
des textes datés des premiers siècles de notre ère
mentionnant les épisodes bibliques représentés sur ces
sarcophages ?
Une deuxième groupe de questions est en lien avec la
question précédente. Quel est le sens de ces images ? On
comprend que la scène du reniement de Pierre peut
s’expliquer par un peuple chrétien confronté par les
persécutions au problème du reniement. On comprend aussi que
la croyance aux miracles peut avoir incité à la production
de certaines scènes (Multiplication des Pains, Noces de
Cana, Hémorroïsse, Aveugle-Né). Mais pourquoi celles-ci plus
particulièrement et moins souvent d’autres comme la «
Résurrection de Lazare » qui, logiquement, vu les
circonstances d’un décès, devrait être généralisée à tous
les tombeaux ?
Une dernière question se pose à nous : « l’Orante ». Quelle
est sa signification profonde ? Elle se présente comme un
personnage biblique, sur le même plan que Jésus, qui,
cependant, est représenté sur presque toutes les scènes
alors que l’Orante n’est sur qu’une scène.
Nous pensons que l’identification des scènes n’est qu’une
étape dans une réflexion plus poussée sur leur symbolisme.
Peut-être une telle réflexion a-t-elle été déjà engagée?.
Sinon la lecture des écrits des Pères de l’Eglise pourrait
peut-être fournir des éléments de réponse ?
Le
Sarcophage du Passage de la Mer Rouge (images
21, 22, 23)
Cette scène de face avant de sarcophage est plus facilement
lisible que les scènes du sarcophage précédent. On y voit à
droite la foule des Hébreux entraînés par la sœur de Moïse.
Celui-ci, placé en arrière, arrête les eaux de son bâton. Au
milieu, l’armée de Pharaon est noyée par les eaux. Lui-même
portant un bouclier en forme de disque s’avance sur son
char.
L’interprétation symbolique de cette scène est délicate. Y a
–t-il une signification à caractère global ? L’histoire d’un
peuple persécuté (en l’occurrence les Chrétiens) qui grâce à
l’intervention de ses chefs réussit à s’en sortir ? Ou une
signification à caractère individuel ? Le défunt plongé dans
les eaux de la Mort ressuscitera au Dernier Jour.
Les autres sculptures
déposées dans le cloître
Image 24 : Selon
l’explication en regard, cette sculpture serait un fragment
de chancel à entrelacs du Xesiècle provenant
de l’abbaye de Montmajour. Nous n’avons aucune raison de
contester cette datation. Nous pensons en effet que les
entrelacs réguliers du type vannerie comme ici sont de peu
antérieurs à l’an mille. On dit d’ailleurs « entrelacs
carolingiens ». Seule la fourchette nous semble un peu
réduite. Nous proposons plutôt : an 925 avec un écart de 125
ans.
Il en est de même pour l’image
25 pour lequel il est écrit qu’il serait d’époque
carolingienne et qu’il « doit
provenir du décor sculpté de l’église carolingienne de
Saint-Trophime » . Nous avons dit plus haut que
nous n’avions par identifié une telle « église carolingienne
», mais que un décor sculpté « carolingien », c’est à dire
du IXeou
Xesiècle pouvait avoir été installé dans une
église plus ancienne.
Nous ne savons pas si le bas-relief de l'image
26 est un fragment de sarcophage ou de chancel.
Nous pensons (mais sans certitude acquise) que le décor est
d’origine gothique (wisigothique ? ostrogothique ?) :
entrelacs, feuilles étalées, grappe de raisin. Datation : an
700 avec un écart de 150 ans.
Le Chapiteau « au Sphinx et à la Sphinge » de l'image
27 proviendrait du cloître de Montmajour. Il est
décrit comme étant roman. Cependant, il ne nous semble pas
roman mais plus tardif : à notre connaissance, le thème de
la Sphinge n’existe pas au Moyen-Âge. Nous pensons que
lorsque l’abbaye a été remontée au XVIIesiècle,
avant sa réforme par les Mauristes, le cloître, en grande
partie détruit, a été partiellement remonté dans l’imitation
des modèles romans anciens mais avec des thèmes
iconographiques plus récents.
Datation de la cathédrale
Saint-Trophime
Nous pensons que la façade occidentale privée du portail
d’entrée ainsi que les murs latéraux des trois premières
travées sont les restes d’une église primitive qui serait
datée de l’an 450 avec un écart de 125 ans. Au cours d’une
deuxième campagne de travaux qui se serait déroulée en l’an
975 avec un écart de 125 ans, la nef aurait été entièrement
reprise avec remplacement de tous les piliers par les
piliers actuels. Cette nef aurait été charpentée, comme la
précédente. Enfin, une troisième campagne de travaux en 1125
avec un écart de 50 ans, aurait permis le voûtement des
vaisseaux. Beaucoup plus tard, au XVesiècle,
le chevet de l’église du XIIesiècle aurait été
détruit pour être remplacé par un chevet plus important.
Le
cloître de Saint-Trophime
On ne peut visiter l’église Saint-Trophime sans aborder le
cloître. Il faut dire que nous l’avions vu il y a quelques
années et que nous avions été déçus par son aspect délabré.
Les chapiteaux noircis par la pollution et l’usure du temps
donnaient à l’ensemble une apparence lugubre. Les images
28 à 33 montrent que la restauration récente a été
profitable et qu’elle met en valeur des œuvres d’un intérêt
artistique indéniable.
Cela étant, nous n’avons pas étudié plus particulièrement
les sculptures de ce cloître. En effet, elles échappent à
notre domaine d’étude, qui est, rappelons-le au risque de
rabâcher, le premier millénaire. Selon nous, ces sculptures
seraient caractéristiques d’un art roman tardif et
dateraient au minimum de la seconde moitié du XIIesiècle.
La finesse des traits des personnages (images
29 et 30) ferait d’ailleurs plus penser à une
période gothique (XIIIesiècle) que romane. Il
faut par ailleurs noter que la construction d’un cloître
pouvait se faire au cours d’une longue période, au fur et à
mesure de la construction des bâtiments constitutifs du
monastère (salle capitulaire, chauffoir, réfectoire,
dortoirs).