Fontevraud l’Abbaye : l’abbatiale Notre-Dame et les cuisines de l’abbaye royale

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L'abbaye Notre-Dame de Fontevraud

La page du site Internet Wikipédia relative à cette abbaye nous apprend ceci (extraits) :

« La fondation

L'abbaye de Fontevraud est fondée en 1101 par le moine et ermite Robert d'Arbrissel. En 1095, celui-ci reçoit du pape Urbain II en visite à Angers, une mission de prédication apostolique. Devenu prédicateur itinérant, Robert d'Arbrissel se voit bientôt suivi par une foule nombreuse, d'hommes et de femmes de différentes classes sociales. Il s'installe entre 1099 et 1101 dans un vallon nommé Fons Ebraldi ; lors de l'installation de la communauté fontevriste en 1101, l'abbaye de Fontevraud dépend de Gautier de Monsoreau, vassal direct du comte d'Anjou. La belle mère de Gautier, Hersende de Champagne, devient la première grande-prieure de l'abbaye lorsque Robert d'Arbrissel décide de reprendre son itinérance. Robert d'Arbrissel y fonde avec ses disciples une maison mixte, rompant avec les règles du monachisme ordinaire. En période de réforme grégorienne, l'attitude de Robert lui attire les foudres de la hiérarchie religieuse : la cohabitation d'hommes et de femmes dans un même lieu passe mal, et Robert scandalise quand il dort au milieu des femmes. Cette proximité entre les sexes voulue par Robert s'explique par la pratique par l'ermite du syneisaktisme, pratique ascétique qui consiste en la cohabitation chaste de personnes de sexe différent afin de surmonter les tentations charnelles.

En 1101, la maison se transforme en un ordre double. Il sépare ainsi les hommes (le monastère Saint-Jean-de-l'Habit) des femmes (le monastère du Grand-Moûtier). Deux autres structures sont également créées : le monastère de la Madeleine pour les pêcheresses reprenties et le couvent Saint-Lazare pour les lépreux. L'ordre de Fontevraud est reconnu dès 1106 par l'évêque de Poitiers ainsi que par le pape Pascal II. Les premiers bâtiments sont édifiés dans le premier quart du XIIe siècle, peu après la fondation. Les grandes familles de l'aristocratie locale, les comtes d'Anjou notamment, ne tardent pas à soutenir la fondation. Ermengarde d'Anjou est un des premiers membres de la famille comtale angevine à prendre l'abbaye en considération. Fille de Foulque le Réchin, elle fait ratifier par son frère, Foulque V, ses dons à l'abbaye de Fontevraud. Elle s'y retire vers 1112 et ne quitte l'abbaye qu'en 1118. L'année suivante, on consacre le chœur et le transept de l'église abbatiale, bientôt suivi de la nef à coupoles. Robert d'Arbrissel fixe alors les premiers statuts de l'abbaye à destination des moniales
. [...] »


Commentaires sur ce texte


L'histoire de Robert d'Arbrissel (1047, 1117) racontée ci-dessus est bien connue. Ce personnage a été aussi réputé à son époque que l'a été près de cinquante ans plus tard Saint Bernard de Clairvaux (1090, 1153). Pourtant, malgré beaucoup de tentatives de ses partisans, Robert d'Arbrissel n'a jamais été reconnu saint par l'Église Catholique.

Le texte ci-dessus est clair. Selon celui-ci, la communauté de moines qui suivait Robert d'Arbrissel a été installée à Fontevraud vers l'an 1100. Même si cela n'est pas dit expressément, on peut envisager qu'il n'y avait rien (ou très peu de choses) auparavant. Les phrases suivantes ne laissent aucune place au doute : « L'ordre de Fontevraud est reconnu dès 1106 ... Les premiers bâtiments sont édifiés dans le premier quart du XIIe siècle, peu après la fondation. Les grandes familles de l'aristocratie locale ... ne tardent pas à soutenir la fondation. Ermengarde d'Anjou ... s'y retire vers 1112 et ne quitte l'abbaye qu'en 1118. L'année suivante (donc en 1119), on consacre le chœur et le transept de l'église abbatiale, bientôt suivi de la nef à coupoles. ».


Le texte de Wikipédia se poursuit avec la description du monastère :

« Le Grand-Moûtier

C’est la partie la plus prestigieuse de l’Abbaye royale qui abrite en son sein l’église abbatiale (XIIe). Réservée aux religieuses de chœur fontevristes, placées sous les ordres de l’Abbesse, assistée de la Grande Prieure. Le contraste est fort entre le chœur et le transept, d’une grande simplicité, élevés par la Grande Prieure Hersende de Champagne (1060-1114) sous Robert d’Arbrissel, et la nef à coupoles très ornementée, construite après sa mort sous le même Robert d’Arbrissel. Le chœur et le transept de plan bénédictin, à la décoration dépouillée, conformément à la volonté ascétique de Robert d’Arbrissel, furent édifiés avant 1115, certainement par un maître local. Ils furent consacrés à la Vierge Marie le 31 août 1119 par le pape Calixte II. La nef, élevée après la mort de Robert d’Arbrissel, sans doute vers 1118-1120, dut être achevée vers 1130. Par ses abondantes sculptures, elle contraste vivement avec le classicisme du chœur et du transept auquel elle a été rattachée après coup. Elle présente des similitudes avec la cathédrale d’Angoulême, à file de coupoles elles aussi, où les religieuses de Fontevraud s’étaient rendues lors d’un concile en 1118. Pour la construction de cette nef, les moniales ont dû faire appel à un maître d’œuvre venu du midi.
[...] »

Cette description confirme et complète ce qui a été écrit précédemment. Ces écrits reprennent à peu de choses près l’argumentation exposée, en 1959, par Pierre d'Herbécourt dans le livre Anjou Roman de la Collection Zodiaque.

L'ensemble apparaît donc comme totalement crédible. Nous sommes quand même un peu surpris. Pour d'autres églises, les historiens de l'art annoncent des constructions de longue durée (plus de cent ans). Et ici, dans le cas particulier de Fontevraud, les délais ne dépassent pas la quinzaine d'années. Surtout lorsque l'on constate que la quinzaine d'années se situe entre la fondation et la fin de construction de l'abbatiale. Car une fondation de communauté ne correspond pas forcément au début de construction de l'abbatiale de cette communauté. Bien au contraire : lorsqu'une communauté est installée sur un emplacement ex nihilo (ce qui semble être le cas ici), il faut lui donner (ou qu'elle se donne), les moyens de subsister : un toit, des vivres, des revenus. Et ce n'est que lorsque ces conditions sont réalisées, au moins en partie, que la communauté décide de créér un lieu de culte définitif en remplacement de celui qui avait été construit provisoirement. En conséquence, nous pensons que cette durée d'environ 15 ans est un peu courte pour une construction aussi élaborée que cette abbatiale.


À cela s'ajoutent d'autres observations concernant l'architecture de l'édifice. Les premières d'entre elles sont d'ailleurs exprimées dans le texte de Wikipédia : « Le chœur et le transept de plan bénédictin, ...furent édifiés avant 1115, ... La nef, élevée après la mort de Robert d’Arbrissel, sans doute vers 1118-1120, dut être achevée vers 1130. Par ses abondantes sculptures, elle contraste vivement avec le classicisme du chœur et du transept auquel elle a été rattachée après coup. ». Indépendamment des questions de datation sur lesquelles nous reviendrons, nous constatons que l'auteur du texte parle des différences de styles entre, d'une part le chœur et le transept, et d'autre part la nef. De plus la proposition , « auquel elle a été rattachée après coup » suggère qu'il y a eu deux étapes bien distinctes de travaux : d'abord la nef et le transept, avant 1115, puis vers 1119, la nef. Ces seules observations devraient faire réfléchir. La communauté aurait d'abord échafaudé un projet grandiose pour construire une première partie de l'édifice, puis, seulement quatre ans après, elle aurait changé radicalement de plan pour édifier la seconde partie tout aussi grandiose. Bien sûr, « sur le papier », cela paraît tout à fait réalisable. Mais dans la pratique et même lorsque le concepteur est un particulier un peu fantasque, cela semble difficile à admettre. À plus forte raison lorque le concepteur est une communauté dont les membres veulent utiliser à bon escient l'argent procuré par de riches donateurs. Ceux-ci pourraient d'ailleurs s'inquiéter du gaspillage résultant de ces changements intempestifs.


Examinons à présent les étapes de travaux que nous avons nous-mêmes constatées. Concernant la nef, nous remarquons des anomalies que nous avions relevées aussi sur un autre monument : l'abbatiale de Solignac en Haute-Vienne. Cette église de Solignac est analogue à celle-ci : nef unique à rangée de coupoles, les murs latéraux étant tapissés d'une rangée d'arcades (images 11, 12 et 15). L'image 15 est particulièrement claire avec, en arrière-plan, un mur du fond recouvert d'une arcade formée d'arcs en plein cintre, et, devant cette arcade et en premier plan, les massifs piliers porteurs d'arcs brisés qui, à leur tour, supportent les coupoles. Arcades de fond et piliers de premier plan apparaissent séparés et différents. Il y aurait donc deux étapes de travaux. Pour la première, les murs latéraux et les arcades plaquées sur ces murs. Pour la seconde, les piliers porteurs des coupoles et celles-ci.

Nous repérons aussi deux campagnes différentes de travaux pour le transept et la nef sur l'image 26. Nous voyons au centre de cette image et la traversant de haut en bas, deux piliers : celui de gauche, formé d'un faisceau de colonnes supporte les arcs et la coupole du transept. Celui de droite porte les arcs et une coupole de la nef. À remarquer que le pilier du transept recouvre en partie le pilier de la nef. Et donc, contrairement au texte de Wikipédia, ce ne serait pas le transept qui aurait précédé la nef.


Datation envisagée

Nous envisageons plusieurs campagnes de travaux qui se seraient déroulées dans un temps plus long que ce qui était donné auparant.

Dans un premier temps, l'église entière est construite, mais avec un chœur réduit et probablement pas de transept. C'est une église à nef unique avec les murs tapissés d'une colonnade. Ce type d'église à mur à colonnade est relativement fréquent en Aquitaine. On le retrouve, par exemple, dans le croisillon Sud de l'abbatiale de Saint- Amand-de-Coly.

Datation envisagée pour cette première phase de travaux : an 1100 avec un écart de 50 ans.

Dans un deuxième temps, le choeur initial est devenu trop petit. Il est remplacé par l'actuel chœur et le transept.

Datation envisagée pour cette deuxième phase de travaux : an 1150 avec un écart de 50 ans.

Dans un troisième temps, la nef qui était primitivement charpentée est voûtée en coupole grâce à la pose des piliers massifs.

Datation envisagée pour cette troisième phase de travaux : an 1200 avec un écart de 50 ans.

Pour élaborer ces estimations de datation, un écart d'environ cinquante ans entre deux étapes de travaux nous apparaît raisonnable.


Les images de 14 à 25 permettent d'observer le caractère exubérant des sculptures des chapiteaux. Malheureusement, ces images sont insuffisamment nettes. On peut seulement observer sur l'image 22, au centre, la scène de l'Assomption de la Vierge, et à l'extrême gauche, le Christ en Gloire.

Image 29 : Tombeaux d'Isabelle d'Angoulème et de Richard Coeur de Lion.

Image 30 : Tombeaux d'Aliénor d'Aquitaine et d'Henri II Plantagenêt.




Les cuisines de l'abbaye royale de Fontevraud



Voici le texte de Wikipédia les décrivant :

« La cuisine

Le bâtiment a été construit entre 1160 et 1170, à l'angle sud-ouest du cloître, dans la continuation du réfectoire.

La cuisine contient huit absidioles, dont cinq sont encore conservées. Elle se fonde sur un carré s'élevant de chaque côté en arc légèrement brisé, complété par un octogone dont chaque angle est constitué d'une colonne engagée. Chaque côté de l'octogone accueille une absidiole, chacune ouverte de trois petites baies et hébergeant une hotte. Grâce à un système de trompes, le carré d'arc brisé soutient la cheminée centrale.

La destination exacte de la cuisine fait débat. Eugène Viollet-le-Duc propose, dans son
Dictionnaire raisonné de l’architecture française, une théorie sur l'évacuation de la fumée par les différentes cheminées, partant du principe que chaque absidiole était utilisée comme foyer. L'historien de l'art Michel Merlot propose comme hypothèse l'utilisation du bâtiment comme fumoir. »


Nous avouons notre scepticisme quant à l'utilisation comme cuisine de ce bâtiment. Dans un premier temps, son plan centré nous a fait envisager un caractère symbolique. Nous avons pensé que cela pouvait être un parlement (endroit où l'on se parle) ou un baptistère. Mais la présence de cheminées ne correspondait pas à ces types de bâtiments vus ailleurs en Europe. Il y avait une autre explication. Nous avons appris par le texte ci-dessus que cette explication avait été émise par Viollet-le-Duc. Celui-ci pensait qu'un grand feu était allumé au centre et que d'autres foyers étaient disposés tout autour permettant la cuisson des aliments pour la communauté. Cette interprétation ne nous convenait pas pour une raison assez simple : dans une cuisine, la principale place n'est pas occupée par les foyers de cuisson mais par la table de travail où l'on nettoie les légumes, découpe les viandes et dresse les plats. De plus, cette prétendue cuisine nous semblait éloignée du réfectoire (car, à l'époque, le cloître devait être nettement plus petit qu'il n'est actuellement).

Par contre, l'hypothèse de Michel Merlot nous semble beaucoup plus probable. Ce bâtiment pourrait être un ancien fumoir. Et on retrouverait là l'explication de Viollet-le-Duc : un grand foyer au centre et des petits foyers à l'extérieur. Car la technique pour fumer correctement une viande ou un poisson est un peu délicate. Il ne faut pas une forte cuisson mais un enfumage lent et à température relativement faible. Il faut une braise qu'on renouvelle régulièrement (d'où l'utilité d'avoir un grand feu au centre). De plus, si on veut une production en continu ou différenciée, il faut avoir plusieurs petits foyers.

Il reste une question : pourquoi un fumoir et non une cuisine ? Pourquoi un si grand fumoir pour une communauté qui, tout en étant grande, n'a pas besoin de tout
cela ? L'idée serait que la communauté aurait obtenu un droit sur les viandes ou les poissons, une sorte d'exclusivité de commercialisation. Grâce au fumoir, il pouvait y avoir conservation des aliments. Nous savons qu'auparavant un tel droit existait pour les sénéchaux. Nous avons aussi entendu parler d'un « droit de cuisage » (le mot a été transformé par la suite en « droit de cuissage » mais initialement il signifiait « droit de cuisson »).

Datation envisagée pour les cuisines de l'abbaye royale de Fontevraud : an 1100 avec un écart de 50 ans.