L’abbatiale Saint-Vincent de Nieul-sur-l’Autise
L’abbaye de Nieul-sur-l’Autise constitue
un ensemble monastique parmi les plus importants de Vendée.
Certains des bâtiments ont été conservés. En particulier le
cloître.
De cet ensemble nous n’étudierons que l’église, qui
constitue la partie la plus ancienne. Selon le Livre « Vendée Romane » de la
collection Zodiaque,
elle daterait du début du XIIesiècle hormis
deux piliers du transept qui dateraient de la fin du XIesiècle
(cf. son plan p. 108). Nous verrons cependant que certaines
questions ne sont pas réglées et que cette église pourrait
être antérieure à cette période, sans pour autant être à
coup sûr antérieure à l’an 1000.
Commençons par lire les explications du
livre « Vendée Romane
» : « C’est en 1068
qu’Arnould Gassedener, un des seigneurs de Vouvant,
installa un groupe de chanoines réguliers sur la terre de
Nieul, pour assurer le repos de son âme… La nouvelle
fondation eut la chance de bénéficier rapidement de
donations. Forts de ressources importantes, les religieux
songèrent à élever une grande église. Construite en
quelques années, celle-ci fut placée sous la protection de
Saint Vincent… ».
Au risque de passer pour de purs
contestataires malintentionnés, nous aimerions en savoir
davantage sur les sources de ce discours. S’agit-il de la
traduction littérale d’un ou plusieurs textes d’époque ou
d’une libre interprétation de ceux-ci ?
Nous rappelons ce que nous avons écrit à plusieurs endroits
de ce site : la fondation d’une communauté ne s’effectue pas
ex-nihilo. En ce qui concerne celle des chanoines de Nieul,
il a fallu d’abord l’attirer en lui montrant tous les
avantages à s’installer à Nieul (droits de propriété, moyens
de subsistance, existence d’infrastructures ou de locaux).
Il serait illusoire de croire que les moines se sont
installés en pleine forêt, sans toit ni viatique, pour
démarrer leur apostolat.
Le texte semble laisser croire que ces chanoines ont attendu
d’avoir les caisses pleines pour démarrer la construction
d’une église. En fait, soyons certains que leur église, ils
l’avaient dès le début. Même si elle était sans doute de
dimensions plus modestes que celle qu’ils ont construite
plus tard, à moins qu’ils n’aient fait qu’améliorer l’église
initiale.
Pourrait-on imaginer actuellement que l’on crée une école
(c’est à dire des administrateurs, des enseignants, des
élèves) sans avoir auparavant construit les bâtiments pour
abriter ces membres de la vie scolaire? Il y a 1000 ans, il
devait en être de même en ce qui concerne les communautés
monastiques. Sauf que, à cette époque, l’abri
n'était pas l’école, mais l’église.
Si une église, même très modeste, existait au moment de
l’installation des moines, est-il possible qu’elle ait été
créée bien des années auparavant ? La réponse est oui : il
n’était pas rare qu‘une église change d’affectation ou de
titulaires. C’est le cas aujourd’hui.
En conséquence, et tant que nous n’avons pas d’information
plus sûre, la date de 1068 ne peut constituer une preuve «
post quem » de la datation de cette église.
Cette église a subi de nombreuses
vicissitudes et seule la nef daterait du Moyen-Age. Par
ailleurs, elle a été fortement restaurée au XIXesiècle.
Ainsi le clocher de la façade occidentale (image
1) daterait de cette période. De même, selon les
indications fournies par le plan de l’édifice, le chevet (images 5 et 6) serait
aussi du
XIXesiècle. C’est en tout cas apparent dans
les parties intérieures du chevet (images
11 et 12) . La taille trop régulière des blocs de
pierre fait ressortir l’aspect relativement récent.
Cette aspect « trop neuf » apparaît aussi sur la façade
occidentale (images 2 et
3) ainsi que sur la façade Nord (image
4) . Néanmoins, la restauration a pu reproduire
intégralement le modèle ancien.
Malheureusement on a l’impression que, à l’intérieur aussi,
les restaurations ont été importantes et pour un grand
nombre de chapiteaux, on peut se demander s’ils sont
d’origine.
L'image
13 montre la jonction entre à gauche, la nef, et,
à droite, la croisée du transept. On note que, à gauche,
l’arc est simple, et, à droite, l’arc est double. Nous
rappelons que nous estimons que l’arc double est plus évolué
que l’arc simple. En conséquence, la croisée du transept
serait postérieure à la nef.
Sur l'image 14 on
peut voir, sur la gauche, un bel arc brisé qui serait donc
le témoin d’une construction à l’époque gothique. Cependant
on constate tout au-dessus la présence d’un autre arc pris
dans la maçonnerie du mur. Le mur est donc plus ancien que
l’époque gothique. Au milieu de l’image et au dessus du
chapiteau, le tailloir de celui-ci se prolonge sur le pilier
sous forme de corniche et en le contournant. Manifestement,
le pilier primitif devait être cylindrique de type C0010.
L’arc pris dans la maçonnerie s’appuyait sur la corniche.
On retrouve la même forme sur le pilier Sud-Ouest (image
15). Remarquer sur ces images
14 et 15 les chapiteaux historiés. Celui de l'image 15 est décoré de
lions crachant des feuillages (datation : Xeou
XIesiècle).
Passons maintenant à l'image
16 et regardons ce qu’en pense l’auteur du livre «
Vendée Romane » :
« Les piles, toutefois,
présentent une disposition originale. En effet, les
doubleaux de la nef retombent sur des colonnes doubles
alors qu’aux autres arcs correspondent des colonnes
uniques. … ces colonnes doubles sont placées au bord du
tailloir des chapiteaux, donc en porte-à-faux par rapport
à la colonne inférieure … lorsque la construction fut
arrivée à la hauteur de la naissance des arcs latéraux,
pour tenir compte de l’épaisseur du mur, le maître d’œuvre
fut obligé d’établir un raccord biais assez inesthétique,
avant de poursuivre la maçonnerie, Il avait oublié,
semble-t-il, que la largeur d’un mur est supérieure au
diamètre de la colonne qui le soutient… ».
Ce raccord biais inesthétique, on le retrouve sur l'image
21 .
Il nous faut tout d’abord revenir sur la dernière phrase de
l’auteur : « Il
(le maître d’œuvre) avait
oublié, semble-t-il, que la largeur du mur est supérieure
au diamètre de la colonne qui le soutient ». Ce qui
signifie en clair que le maître d’œuvre était un imbécile.
Nous nous inscrivons en faux contre de telles
interprétations. Nous nous sommes insurgés à plusieurs
reprises contre des qualificatifs du style « repentirs de
maçon » qui permettent de justifier à bon compte des
modifications que l’on n’arrive pas à expliquer. Nous
préférons avouer notre incompréhension face à un acte donné
plutôt que de l’expliquer par la bêtise de celui qui l’a
commis.
Et donc, nous estimons qu’il doit y avoir une explication
logique à ces biais inesthétiques.
Nous allons exposer notre idée. Mais
auparavant, il faudrait revoir les images des nefs de
Saint-Sauveur de Redon ou de Locmaria de Quimper (toutes
deux décrites sur ce site dans Bretagne/ France). Ces
églises sont toutes deux charpentées. Pour chacune d’elles,
les piliers sont de type
R1010, c’est à dire à plan rectangulaire avec des
demi-colonnes adossées à l’Est et à l’Ouest. Ces
demi-colonnes sont surmontées de chapiteaux ou d’impostes
qui supportent des arcs, lesquels soutiennent les murs
latéraux de la nef centrale. Imaginons une église analogue à
Saint-Sauveur de Redon mais à piliers de type R1011.
C’est à dire des piliers rectangulaires avec des
demi-colonnes adossées à l’Est et à l’Ouest et de deux
demi-colonnes accotées accolées à la surface plane côté
vaisseau-central. Et au-dessus de chacune de ces
demi-colonnes un chapiteau. Et au-dessus encore, les arcs et
les murs latéraux du vaisseau central, comme à Saint-Sauveur
de Redon ou à Locmaria. En somme, ce serait analogue à ce
que l’on a à Neuil sauf que, au-dessus des chapiteaux, il
n’y aurait côté vaisseau central qu’un mur nu et côté
collatéral, pas de colonne adossée. Imaginons maintenant que
l’on veuille voûter cette église. Le résultat serait
exactement celui de Neuil : pour voûter cette église, il
faudrait installer la voûte sur des doubleaux. Mais avant
cela il faudrait adosser des colonnes aux piliers afin de
soutenir les doubleaux. C’est à dire accoler du coté
collatéral une demi-colonne partant du bas (image
20) et du côté vaisseau central deux
demi-colonnes accotées reposant sur les demi-colonnes
précédentes. Comme le mur débordait sur les demi-colonnes
inférieures, on est bien obligé de faire un raccord en biais
(image 19).
Notons enfin une anomalie que nous
n’arrivons pas à expliquer : les arcs séparant les piliers
sont simples du côté vaisseau central (image
19) et doubles du côté collatéral (image
20). Cette anomalie est parfaitement repérable
lorsqu’on observe ces arcs par la tranche (image
18).
Datation
Au vu de tout cela, nous pensons que cette nef était
primitivement charpentée à piliers rectangulaires de type R1011. Le transept a
été construit sur des colonnes cylindriques de type C0010.
Le transept et la nef sont-ils contemporains ? Sans en être
sûrs, nous pensons que le transept est postérieur à la nef.
Ultérieurement, la nef aurait été voûtée. Il est certes
possible que ce voûtement se soit produit à la fin du XIesiècle
ou au début du XIIesiècle (plus tard
commencent à apparaître les voûtes en berceau brisé) .
Cependant, si notre hypothèse de construction en trois
étapes (nef puis transept puis voûtement) est la bonne,
alors la date plancher de 1068 nous semble un peu
irréaliste, car il faut un intervalle d’au moins 50 ans
entre deux modifications fondamentales.
Notre opinion est que le voûtement systématique des églises
a commencé avant l’an 1000. Si la construction de l’église
de Nieul avait démarré après 1068, cette église aurait été
dès le début voûtée et non charpentée comme on le pense.
Notre estimation est qu’elle est antérieure à l’an 1000.
Mais de peu à cause de l’existence d’arcs doubles (an 900
avec un écart estimé de 100 ans).