Église Notre-Dame-de-Bonport de Quillebeuf-sur-Seine
Les excellentes photographies prises par Alain et Anne-Marie
Le Stang en septembre 2017 permettent d’étudier en
profondeur cette intéressante église. Relevons tout d’abord
les informations d’un panneau explicatif : «
Historique.
L’église de Quillebeuf qui autrefois dominait le village
porte le vocable de Notre-Dame-de-Bonport, nom qui évoque
le rôle important qu’elle joua auprès des marins et de
leurs familles.
Elle est mentionnée pour la première fois dans une charte
de donation du Duc Guillaume de Longue Epée à l’abbaye de
Jumièges en 932. Guillaume avait entrepris alors de
relever les ruines amoncelées sur notre sol par ses
ancêtres. Il fit rebâtir Jumièges et renta cette abbaye en
lui octroyant la possession de nombreux domaines dont
Quillebeuf, « son port et son Église »...
… De cette église mentionnée dans la donation il ne reste
que peu de chose. Elle subit en effet de nombreuses
transformations. Un arrêté du Conseil d’Etat du 14 mars
1602 nous apprend que le chœur roman menaçant de
s’effondrer, celui-ci fut reconstruit grâce aux habitants
qui furent astreints à « cotiser ». En 1786, les bas-côtés
de la nef furent refaits en les logeant sous le
prolongement du toit principal.
Les restaurations modernes sont restées discrètes. La
principale est due à Ruprich-Robert pour la tour. »
Le texte continue encore : «
L’édifice : Les
parties les plus intéressantes remontent au XIIesiècle
: la façade occidentale avec un très beau portail, une nef
à 5 travées et une tour centrale à deux étages, une des
plus belles de l’époque romane en Normandie...»
Notre analyse : le lecteur habitué de ce
site connaît notre point de vue. Nous sommes en effet
totalement en désaccord avec la doxa que l’on peut résumer
ainsi : « Toute église
antérieure à l’an 1200 est du XIIesiècle.
Hormis les églises mentionnées dans un texte du XIesiècle.
Auquel cas l’église est du XIesiècle. Si
une église est mentionnée dans un texte antérieur à l’an
1000, ce n’est pas l’église que l’on voit actuellement
puisque l’église que l’on voit actuellement est du XIIesiècle.
»
Nous retrouvons dans le texte du panneau une expression de
cette doxa. Selon ce texte , il ne reste presque rien de
l’église citée en 932, mais on ne nous dit pas quel est ce
reste. Par contre, on nous apprend que la nef, le clocher et
le porche sont du XIIesiècle.
Nous allons voir, en étudiant avec plus de précision
l’architecture de cette église, qu’elle est plus
intéressante qu’il n’y paraît.
Arrêtons-nous tout d’abord à l'image
2 montrant à la fois les façades Ouest et Nord. On
peut considérer que les parties en brique rouge (sous le
porche d’entrée, les murs gouttereaux et les parties
supérieures des collatéraux) sont issues des transformations
de 1786. Comme le raconte le panneau explicatif, les
collatéraux et le vaisseau central sont réunis sous un même
toit à deux pentes. Toujours sur l'image
2, on constate que la partie centrale de la façade
orientale est limitée par deux contreforts verticaux. Entre
ces deux contreforts, on peut voir au-dessus du portail
d’entrée deux fenêtres géminées. Toute cette partie située
sous la petite fenêtre du pignon est en avancée par rapport
à ce mur pignon. Nous pensons que cette avancée a été créée
postérieurement à la construction de manière à protéger le
portail d’entrée (image
3). Nous ne sommes pas encore arrivés à dater ce
type de portail qui ne possède pas de tympan ni de linteau.
Nous attendons d’en rencontrer un certain nombre. Pour le
moment, nous ne connaissons que celui de Notre-Dame-des-Pins
d’Espondeilhan (Hérault/ Occitanie/ France) assez semblable
à celui-ci. Il pourrait dater du XIIesiècle.
On distingue quatre voussures (image
5). À chacune des deux bases de la voussure
supérieure, est accrochée une tête humaine sculptée (voir
sur l'image 4).
Sur la même voussure, on distingue une structure en zigzag.
Sur chaque branche en forme de V du zigzag, on peut voir
deux oiseaux mangeant dans une coupe : c’est la scène
désormais classique des « oiseaux au canthare ». Scène
connue dès l’antiquité pour des raisons religieuses, mais
dans le cas présent cette représentation ne serait que
décorative (image 6).
Sur la deuxième voussure (image
5), le décor imite des épis de blé.
Le clocher (images 7 et
8) semble bien dater du XIIesiècle
(sur l’escalier menant au clocher, les arcs sont brisés). On
ne décèle pas sur ce clocher les traces de la restauration
de 1910.
Mais le véritable intérêt de cette
église n’est autre que la nef (images
10, 13, 14, 15). Celle-ci est actuellement voûtée
mais elle devait être primitivement charpentée.
Actuellement, le vaisseau et les bas-côtés sont couverts
d’un toit à deux pentes. Primitivement, il devait y avoir un
décrochement entre le toit du vaisseau central et les toits
des collatéraux. Nous ne sommes pas certains que les
fenêtres au-dessus des arcades que l’on voit sur l'image
15 aient fait partie de l’édifice primitif. Elles
devraient être plus au-dessus des arcades de façon à
apparaître entre les toits des collatéraux et ceux du
vaisseau central.
Nous pensons que cette nef est, dans son ensemble,
antérieure à l’an 1000. Mais, étant donné que les arcs sont
doubles (ou à double rouleau), donc plus évolués, la
construction est relativement tardive (dans le cadre du
premier millénaire).
Les images
16 à 27 sont celles des chapiteaux soutenant les
arcades.
Il existe un problème concernant ces chapiteaux. D’une part,
certains d’entre eux ne correspondent pas aux modèles que
nous connaissons. C’est le cas des chapiteaux des
images 17, 21, 25, 26. Qui plus est, ces chapiteaux
semblent de facture récente. En particulier celui de l'image 26. D’autres ont
des formes qui se rapprochent de formes déjà connues. Tout
particulièrement les chapiteaux à entrelacs des images
22 et 23. Mais aussi ceux des
images 19 , 20, 21 et 24. La vétusté caractérise l'image 16. L'image
27 est assez surprenante. D’une part, le décor
d’entrelacs est compatible avec une datation aux alentours
de l’an 1000. D’autre part, la facture semble récente.
En conséquence de ces observations, nous pensons que ces
chapiteaux ont fait l’objet d’une restauration assez
récente. Peut être en 1910. Certains d’entre eux ont été
seulement réparés. D’autres auraient été entièrement
refaits. La question est de savoir si les nouveaux
chapiteaux ont été réalisés en imitant strictement les
modèles anciens ou si l’imitation a été assez libre.
Datation
Nous avons déjà dit que le porche occidental et le clocher
pouvaient dater du XIIesiècle. La nef est
selon nous plus ancienne : an 900 avec un écart de plus de
100 ans.