L’abbatiale de la Sainte-Trinité à Fécamp  

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À première vue, cette église apparaît comme purement gothique. Et donc, sans rapport avec l’étude effectuée dans ce site, étude qui ne devrait concerner que des édifices antérieurs à l’an 1000. Cependant les photographies prises par Anne-Marie Le Stang font apparaître parmi (et plutôt en-dessous) les arcs brisés gothiques des arcs en plein cintre romans (images 1, 3 puis 4, 5 et 6).

Il nous est difficile de dater les chapiteaux des images 5 et 6. Nous attendons d’avoir pu effectuer une étude comparative poussée. Il nous semble cependant qu’on puisse les attribuer au début du XIIIe siècle, période qui connaissait l’arc brisé. Mais dans ce cas, pourquoi les constructeurs ont-ils placé sur ces chapiteaux un arc en plein cintre ? Peut-être pour des raisons esthétiques ? Nous pensons en effet qu’il y a eu dans la construction de cette salle (image 4) deux étapes de travaux. À l’origine, elle n’était pas voûtée. Elle était percée d’une baie surmontée en plein cintre non décoré (en face de nous sur l'image 4). Lorsqu’on a voulu voûter cette salle (aux alentours de l’an 1200), on a décidé de plaquer contre les parois une autre paroi préservant la baie antérieure. Cette nouvelle paroi est encadrée par des colonnes portant des chapiteaux. Lesquels chapiteaux soutiennent la corniche qui court le long et au dessus de ce nouveau mur. La corniche porte à son tour l’arc, muni d’un cordon torique de la deuxième campagne de travaux, encadrant l’arc de la baie primitive. Les constructeurs qui connaissaient sans doute l’arc brisé ont préféré utiliser le plein cintre pour épouser les formes de l’arc précédent. À l’appui de cette thèse, on constate que la corniche de la deuxième campagne de travaux est arrêtée au niveau des murs de la première campagne. Dans le cas contraire (une seule campagne de travaux pour le tout), la corniche aurait contourné l’ensemble. Si on fait le bilan, on constate que grâce à cette deuxième campagne de travaux, la construction en avancée d’une paroi accolée à l’ancienne permet d’installer une voûte d’arêtes.

Remarquer dans l'image 5, sur la corniche et à mi-chemin entre les deux chapiteaux, une drôle de pierre taillée en arrondi. Il s’agit très probablement d’un ancien linteau d’un étroite fenêtre. Il est taillé en forme d’arc. Il date probablement du premier millénaire et a été utilisé ici en remploi.


On retrouve sur les images 7 et 8 une situation analogue à la situation précédente. Sauf qu’ici, l’arc (et la baie) de la première campagne de travaux n’apparaît pas. Il semblerait que tout ait été réalisé lors de la deuxième campagne de travaux. Les arcs permettaient de protéger de grandes baies qui ont été obturées par la suite : les traces de raccord entre les pierres permettent de constater que les pierres obstruant les baies ont été insérées après la pose des arcs, et non le contraire, les arcs placés sur les parois après leur installation.


Il reste à étudier les images 11, 12, 13, 14 et 15 qui représentent des éléments de croisée du transept.

Constatons tout d’abord sur l'image 12 une « faute de goût ». Le deuxième chapiteau à partir de la gauche porte un arc de forme torique décentré par rapport au chapiteau. Par ailleurs, le sommet de ce chapiteau est nettement plus large que la base de l’arc. Cette association chapiteau-arc, qui nous semble inadaptée, doit être comparée aux trois associations voisines, qui elles nous semblent conformes à une esthétique romane. Voilà donc pour la « faute de goût ». Or, dans l’art roman, il n’y a pas de faute de goût. Tout nous invite à penser que cette disposition est le résultat d’un mode de couvrement nouveau en voûte d’ogives. L’arc torique a remplacé un arc précédent. Il nous faut imaginer que l’image initiale devait être symétrique par rapport à un axe vertical passant entre les colonnes du milieu.

Regardons à présent cette image dans le détail :

Le premier chapiteau à partir de la droite (image 13) nous semble le plus intéressant de tous. Il est sculpté en méplat. Il représente deux animaux, un quadrupède et un oiseau pris dans des rameaux entrelacés vomis par une tête grimaçante. On pense à des sculptures de l’art scandinave (voir à ce sujet l'ouvrage « L’art scandinave 1 » de la collection Zodiaque ).

On retrouve le même masque crachant des entrelacs de feuillages sur le troisième chapiteau (image 14).

Enfin, sur le quatrième chapiteau à partir de la droite (image 15), on distingue aussi un masque crachant des entrelacs de feuillages. Certaines de ces feuilles sont recroquevillées en forme de têtes humaines.


Datation

Cette église, apparemment gothique, présente des éléments nettement antérieurs à cette période.

La partie la plus ancienne pourrait être la croisée du transept qui, à l’origine n’était probablement pas voûtée. Cette partie est-elle antérieure à l’an 1000 ? Dans l’état actuel de nos analyses, il nous est difficile de le savoir. Nous envisageons une période « aux alentours » de l’an mille : an 1050 avec un écart de 100 ans.