Les monuments romains de Mérida
Nous rappelons que, initialement, nous
n’avions pas prévu d’étudier les monuments romains. Nous
pensions que tout avait été dit sur le sujet, que tous ces
monuments étaient parfaitement datés et qu’il ne fallait
plus revenir là-dessus. Ce n’est que récemment, il y a moins
de six mois, que nous avons réalisé de possibles remises en
questions de datations. Il y avait plusieurs raisons à cela.
D’une part, nous avons pris conscience que l’an 1000 n’était
peut être pas la seule date qui ait créé des blocages chez
les historiens. Celle de l’an 410 de la prise de Rome était
peut-être tout aussi importante. Tout comme les historiens
de l’art ne pouvaient imaginer qu’il y ait eu des
constructions de monuments romans avant l’an 1000, ils ne
pouvaient non plus imaginer qu’il y avait eu des
constructions de monuments romains après l’an 410. Il
devenait possible d’envisager que des monuments dits romains
datés des premiers siècles de notre ère soient postérieurs
de plusieurs siècles. Ainsi, cela pouvait être le cas des
cryptoportiques d’Arles. Par ailleurs, nous avons constaté
que la plupart des monuments romains étaient datés du
premier siècle de notre ère alors que l’expansion maximale
date du IIesiècle. Pourquoi cette distorsion ?
Nous avons aussi remarqué que notre connaissance du monde
romain apparaissait figée, stéréotypée. Comme s’il n’y avait
pas eu d’évolution au cours des siècles. L’intérêt pour
l’Antiquité a commencé à la Renaissance bien avant l’intérêt
pour le Moyen-Âge. Mais cet intérêt pour l’Antiquité était
assorti d’une vision idéalisée de cette époque. Par exemple,
il y a eu, au XVIIIesiècle, une mode, « la poésie
des ruines ». En conséquence, les ruines ont pu être
réaménagées afin de les rendre un peu plus présentables. Des
temples grecs ont été entièrement remontés. La vision que
l’on a des monuments antiques est dans de nombreux cas
différente de la réalité de l’époque. À l’heure actuelle,
les recherches archéologiques s’efforcent de reconstituer
les bâtiments dans leur histoire, dans leur évolution. Ce
n’était pas le cas dans la première moitié du XXesiècle.
Moins encore au XIXesiècle. Et à plus forte
raison au XVIIIesiècle.
La description effectuée ci-dessous des monuments romains de
Mérida devrait aider à comprendre certains des problèmes que
nous avons rencontrés et qui concernent probablement bon
nombre de monuments romains.
Cet amphithéâtre ressemble à beaucoup
d’autres du même type. Selon le Guide
Vert Michelin, il aurait été fondé au premier
siècle avant notre ère, comme le « théâtre,
édifié par Agrippa, gendre d’Auguste, en 24 avant
Jésus-Christ. ».
Cependant, nous constatons des différences de techniques
de construction qui nous interrogent. Il y a d’abord le
linteau droit fragmenté (images
2 et 3). Il s’agit d’une technique que, jusqu’à
présent, nous n’avions vue que dans des constructions
remontant au XVIIesiècle (par exemple au
château de Versailles). Chacun des éléments du linteau a
une section trapézoïdale permettant aux pierres de se
soutenir mutuellement : c’est un arc aplati. La seconde
technique est l’arc en plein cintre (images
4 et 5). On pourrait penser que l’arc formé de
pierres lisses a été construit après les montants latéraux
formé de pierres à bossages, mais l'image
5 montre qu’il existe un lien entre les deux. La
troisième technique de construction est présente dans l'image 6. C’est la
technique typiquement romaine de « l’opus caementicum »,
l’appareil cimenté. La voûte n’est pas construite sur des
arcs formés de grands blocs de pierre, mais elle est «
coulée » comme le sont nos planchers actuels. Des arcs
très légers, ici en briques, permettent de porter un béton
formé d’un mortier et de moellons de petit calibre qui, en
séchant, forme l’ossature de la voûte.
Il nous est difficile de croire que ces trois techniques
aient été utilisées simultanément. Il y a eu très
probablement une évolution dans la construction de cet
amphithéâtre, une évolution qui a pu se faire dès
l’Antiquité. Il est possible que ce monument construit au
premier siècle avant notre ère ait été agrandi et
perfectionné durant les siècles suivants. On sait en tout
cas que des spectacles ont pu être présentés dans les
amphithéâtres romains bien après la chute de Rome vers
410. Si celui-ci a été utilisé durant cinq siècles, il
serait surprenant que pendant ce laps de temps il n’ait
subi aucune modification. Enfin, il faut tenir compte des
restaurations intervenues durant les trois derniers
siècles, restaurations qui peuvent altérer la
compréhension de l’édifice.
Nous avons vu précédemment que ce
théâtre aurait été édifié par Agrippa en 24 avant
Jésus-Christ. Nous ne sommes pas en mesure de confirmer si
l’ensemble des constructions date de cette période. Le
front de scène (images
7, 8 et 9) pourrait fournir un élément de
datation. En effet, les théâtres les mieux conservés ayant
possédé un front de scène se situent en Lybie (Afrique), à
Leptis Magna et Sabratha. Or l’Afrique du Nord a été
colonisée tardivement par les romains et elle a pris de
l’importance avec les empereurs Septime Sévère (146-211)
et Macrin (165-218) tous deux nés en Afrique.
En tout cas, il nous semble que le front de scène que nous
voyons là est plus un remontage (utilisation de matériaux
trouvés lors des fouilles), voire une reconstitution
(fabrication de nouveaux matériaux) qu’une stricte
conservation de restes dégagés. En toute logique, dans la
destruction du mur de scène, ce sont les belles colonnes
en marbre qui ont dû partir en premier. Il est donc
surprenant de les trouver ici, pratiquement intactes.
La
maison devant le théâtre
Elle est présente sur les images
12 à 18. On y voit deux grandes salles (image
12) rectangulaires terminées par des absides
semi-circulaires (salle de droite : image
13 ; salle de gauche : image
14). Celle de droite, protégée par un toit,
abrite des mosaïques (images
15, 16, 17) et des fresques (image
18). Les décors représentés ici sont
classiques : on les trouve en d’autres endroits du monde
romain. Une autre mosaïque, non représentée ici, décrit
une scène de foulage de raisin. Nous pensons qu’il
pourrait y avoir dans la réalisation de ces décors autre
chose qu’une simple intention décorative. Lorsque l’on
voit les prodiges accomplis par les historiens de l’art
moderne pour décrire le sens symbolique caché d’un simple
cube, on peut se permettre d’envisager que ces mosaïques
aient elles-aussi un sens symbolique caché. Ainsi, la
scène « champêtre » de foulage de raisin prend une autre
dimension lorsque l’on sait que le raisin symbolise la vie
éternelle. Le jus de ce raisin qui devient le vin est
recueilli dans des canthares (image
16). Les rosaces, croix à six branches, croix
diverses (image 17)
peuvent avoir aussi un sens symbolique que nous ignorons.
Inversement, nous savons qu’un décret de Trajan a interdit
les persécutions de chrétiens sur simple dénonciation,
sauf cas avéré de prosélytisme. Ce décret a conduit les
chrétiens à ne pas afficher publiquement leurs
convictions, à les cacher. En conséquence, l’appartenance
d’un individu à la religion chrétienne est difficilement
repérable (homme aux bras levés, poisson, diverses croix,
monogramme du christ, etc.). Et ces représentations ont dû
être modifiées au cours du temps, au fur et à mesure
qu‘elles finissaient par être connues de tous. Il existe
aussi une manifestation plus « littéraire » de cette
attitude de repli sur soi, la « gnose » (selon Wikipedia,
la gnose est « un
mode de pensée politico-religieux selon lequel le salut
de l’âme passe par une connaissance directe (expérience
ou révélation) de la divinité, et donc par une
connaissance de soi. »
Cependant, il ne faut pas déduire de ces constatations que
nous sommes en présence d’une maison chrétienne. D’autres
adeptes de religions ont pu aussi subir des persécutions
et réagir de la même façon que les chrétiens. Et il est
même possible que les païens qui poursuivaient les
chrétiens les aient copiés par mimétisme, mais avec des
symboles différents.
Les
restes d'édifices près du théâtre
Sur l'image
19, on peut voir les restes d’un mur montrant une
série de lits successifs. À la base, des moellons
irréguliers de petites dimensions reliés par un mortier.
Au-dessus, un lit de grosses pierres aux formes
régulières. Au-dessus, de nouveau des moellons
irréguliers. Puis un lit de briques. On retrouve ensuite
le lit de moellons.
L'image 20 fait
découvrir une grande salle. Les bases de colonnes
disposées au centre permettent de penser qu‘elle était
primitivement divisée en deux. Mais nous n’en sommes pas
certains : il est possible que cette disposition ait été
faite ultérieurement. À remarquer que nous ne voyons sur
les images 20 et 21 que
les bases et les chapiteaux, mais très peu de colonnes. Il
est possible que, comme on le voit dans certains endroits,
il n’y ait pas eu de colonne monolithe, mais des colonnes
maçonnées. Regardons à présent l'image
21 et les deux pierres de droite (un chapiteau
et une base). De quand datent ces pierres et le bâtiment
qui les contenait ? IVesiècle ?
Vesiècle ? C’est probablement ce que nous
dirait un historien de l’art. Essayons à présent
d’imaginer la colonne constituée par ces deux pierres et
le fût formé de moellons situé entre les deux. Nous avons
déjà vu ce type de colonne à Saint-Martin-de-Volonne dans
les Alpes-de-Haute-Provence. Là-bas, l’église était
entière... et datée du XIesiècle. Entre le IVesiècle
et le XIesiècle, il y a sept siècles. C’est
vraiment le très grand-écart !
L'image 23 représente
l’arc de Trajan. Mais si les bases sont romaines jusqu’aux
premiers voussoirs, l’arc lui-même, typiquement roman,
est-il lui aussi romain ?
L'image 24 du
temple dit de Diane, nous montre un temple romain
parfaitement bien conservé. Sauf qu’il manque la partie la
plus importante, la cella, la pièce intérieure demeure du
Dieu, endroit inaccessible au commun des mortels. Cette
partie est actuellement considérée comme la moins
intéressante, car si elle était présente, elle cacherait
l’envolée des colonnes. La partie que nous voyons est le
péristyle destiné à protéger les croyants venus se
recueillir à l’extérieur du temple. Nous pensons que cette
partie a été reconstituée. Avant les restaurations, il ne
devait pas rester grand-chose de ce temple debout.