Autres églises de Catalogne : Églises à arcatures lombardes (1/2)
Nous avons déjà eu l’occasion de repérer des arcatures
lombardes dans des églises de Catalogne (Sant Pere et Sant
Vicenç de Besalú, Sant Pere Galligants et Sant Nicolau de
Gérone, Santa María de Bossòts, Sant Pere de Rodes), des
églises décrites dans les pages précédentes. D’autres
églises de Catalogne sont aussi dotées d’arcatures
lombardes. Mais nous ne les connaissons que par la
documentation ou par une visite superficielle. Néanmoins, la
présence de ces arcatures lombardes permet d’envisager une
datation aux alentours de l’an mille et nous envisageons
d’effectuer une visite approfondie de certaines d’entre
elles décrites dans les deux pages suivantes.
L’église
Saint-Pierre d’Abrera
Dans cette église (images
1, 2 et 3), seul le chevet est doté d’arcatures
lombardes. À remarquer que ce chevet est doté de
trois absides. La pratique est commune. Mais ce qui a de
remarquable ici vient du fait que les absides sont orientées
différemment : la principale vers l’est, les deux autres, de
rayon plus petit, vers le Nord et le Sud. Cette curieuse
disposition pourrait symboliser la Trinité.
Datation envisagée pour Sant Pere d’Abrera : an 950 avec un
écart estimé de 100 ans.
La
collégiale Saint-Vincent de Cardona
L’étude de cette église devrait être très instructive. Il
faut tout d’abord remarquer que ce pourrait être un « clone
» de Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault/Occitanie/France). En
effet, la nef est presque rigoureusement identique : trois
vaisseaux voûtés, piliers de type R1111, arcs doubles
reposant sur des impostes à chanfrein vers l’intrados,
triple abside, arcatures lombardes. Quelques différences
pourtant au niveau du chevet. Celui de Saint Guilhem a été
presque entièrement refait. En ce qui concerne Saint-Vincent
de Cardona, seule l’abside principale pourrait avoir été
reprise avec l’installation d’une galerie sous le bord du
toit. À moins que ce soit la galerie de Cardona qui ait
inspiré celle de Saint-Guilhem.
Nous rappelons que nous avons estimé la datation de
l’abbatiale de Saint-Guilhem-le-Désert après avoir constaté
que c’était une église de pèlerinage dédiée à un saint
(Saint Guilhem) mort en 812. Le site Internet décrivant
cette abbatiale affirme que sa construction a été commencée
après 1030 (le site parle d’une reconstruction mais ne donne
aucune information sur la construction antérieure). Nous
estimons que cette date est trop tardive : le culte d’un
saint doit être établi moins d’un siècle après sa mort faute
de quoi il est oublié. C’est ce qui se passe à l’heure
actuelle : les basiliques de Lourdes, Lisieux ou Fatima ont
été construites moins d’un siècle après la mort du saint ou
après les miracles qui ont attiré les foules. En
conséquence, nous avons envisagé la date de l’an 900 pour la
construction initiale de l’abbatiale de
Saint-Guilhem-le-Désert. Mais bien sûr, d’autres
constructions ont pu avoir été faites ultérieurement
modifiant le plan de l’édifice.
Datation envisagée pour Sant Vicenç de Cardona : an 900 avec
un écart estimé de 100 ans.
L’église
Saint-Pons de Corbera de Llobregat
À la différence de Saint-Vincent de Cardona, cette église
est à nef unique. On constate ici aussi qu’il y a
corrélation entre murs renforcés par des arcs à l’intérieur
(image 12),
voûte en plein cintre portée par des doubleaux plein cintre
(image 12) et
arcatures lombardes à l’extérieur (image
10). Sur l'image
14 , les piliers demi-cylindriques portant de
fausses impostes (bâties en pierres assemblées et non
taillées dans une pierre unique) posent question.
Datation envisagée pour Sant Ponç de Corbera : an 950 avec
un écart estimé de 100 ans.
L’église
Sant Jaume de Frontanyà
Le plan de l’église Sant Jaume (image
21) est analogue à celui de Saint-Pons de Corbera
(église à nef unique et transept débordant sur lequel sont
greffées une abside et deux absidioles). La différence,
c’est qu’ici on a un véritable transept, c’est-à-dire avec
un toit perpendiculaire au toit de la nef. De même, la
croisée du transept est une véritable croisée montée sur des
piliers d’angles (image
22).
Datation envisagée pour Sant Jaume de Frontanyà : an 1000
avec un écart estimé de 100 ans.
Le clocher de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone
De l’ancienne cathédrale romane de Gérone, il ne reste que
le clocher à arcatures lombardes (image
25) et le cloître (image
26). Nous ne comptons pas étudier ce dernier,
pourtant très intéressant, mais hors du cadre de notre étude
(daté de la fin du XIIesiècle ou même du début
du XIIIesiècle). L’examen détaillé du clocher (image 27) fait
apparaître un décor d’incrustations de basalte, décor que
l’on peut aussi voir au Nord des Pyrénées, en Hérault
(Occitanie).
Datation envisagée pour le clocher de la cathédrale de
Gérone : an 1000 avec un écart estimé de 100 ans.
Le Beatus du trésor de la
cathédrale Sainte-Marie de Gérone
La visite de la Cathédrale de Gérone se poursuit pas la
visite du trésor. Un trésor très riche contenant outre
diverses statues ou reliquaires, la célèbre tapisserie de la
Création. L’autre joyau de ce musée diocésain est un livre
sacré appelé « Beatus ».
Selon la page « Beatus » du site Internet Wikipedia, « les
Beatus sont des manuscrits ibériques écrits aux Xe, XIeet
XIIesiècles, plus ou moins abondamment
enluminés où sont copiés les commentaires de l’Apocalypse
rédigés au VIIIesiècle par le moine Beatus de
Liébana (mort en l’an 798) ».
Le Beatus de Gérone aurait été rédigé vers 975 et peint par
le moine Emeterius et la moniale Ende.
Nous sommes ici obligés de constater le caractère
contradictoire des diverses informations reçues. D’une part,
nous apprenons que Charlemagne s’est emparé de la ville de
Gérone en 785 et nous n’avons pas connaissance d’une reprise
postérieure de Gérone par les Arabes. Par ailleurs, nous
apprenons que les premiers royaumes catholiques se sont
constitués au Sud des Pyrénées à partir du IXesiècle.
Or, nous voyons dans les images 28, 29 et 30 une forte
influence arabe ou mozarabe : le palmier (image
28), les arcs outrepassés (images
29 et 30). Certes, une telle influence est
possible dans une société ouverte et tolérante. Mais ce
n’est pas ce que raconte l’Histoire de l’Espagne et de sa
Reconquista. Nous y voyons en effet deux sociétés
radicalement opposées : les chrétiens et les musulmans.
Il faut bien comprendre que vers l’an 1000, les Catalans
avaient radicalement tourné le dos à des décors
architecturaux « mozarabes » comme l’arc outrepassé. Cet arc
outrepassé n’apparaît pas dans les églises à arcatures
lombardes attribuables à cette période : Cardona, Corbera,
Frontanyà, Taüll. Les seules églises où l’arc outrepassé se
manifeste sont celles à chevet plat et nous les estimons
antérieures d’au moins deux siècles à l’an mille.
Il y a donc là une contradiction manifeste qui ne peut être
écartée par une pirouette du style : « les catalans ont
confié le travail d’enluminure à des esclaves musulmans ».
Nous pensons qu’il importe de revérifier avec soin la
datation de ces « Beatus ». Il est en effet possible que
certaines enluminures aient emprunté ou recopié sur des
documents antérieurs. Dans le cas présent, on a une petite
chance : les parchemins étant des documents organiques, on a
possibilité de les dater par la méthode dite du C14. Une
telle évaluation a-t-elle été faite ?
Datation envisagée pour le « Beatus » du trésor de la
cathédrale de Gérone : an 900 avec un écart estimé de plus
de 100 ans.