L’église Sant Pere de Galligants à Gérone
La page (en anglais) du site Internet Wikipedia consacrée à
cette église nous apprend que «
le monastère fut construit à partir de 992, hors des murs
de Gérone, quand Ramon Borrell, comte de Barcelonne, donna
aux moines des droits sur le quartier de Sant Pere. Les
moines conservèrent des droits sur le quartier jusqu’en
1339 quand le roi Pierre IV d’Aragon le réunit à l’Aragon.
En 1117 Ramon Berenguer III de Barcelone affilia le
monastère à l’Abbaye Sainte-Marie de Lagrasse,
actuellement en France (département de l’Aude) . Cependant
Sant Pere garda son propre abbé et une large autonomie …»
Le guide Vert Michelin
ne donne pas de date pour l’église. Mais un site Internet
consacré au tourisme nous apprend qu’elle date du XIIesiècle.
L’analyse architecturale de l’édifice
nous autorise à mettre en doute ces affirmations. Certes,
les dates de 992 et de 1117 sont très certainement étayées
par des actes, des documents écrits. Mais nous pensons que
les rédacteurs du texte de Wikipedia ont cédé à une dérive
que nous avons identifiée à plusieurs reprises : la
tentation des historiens à privilégier le document écrit au
détriment d'autres sources. Dans le cas présent, on a très
certainement trouvé des chartes datées de 992 et de 1117
permettant de confirmer les allégations écrites dans
Wikipedia. Mais, qui nous dit que, dans le passé de Sant
Pere de Galligants, d’autres chartes ont été écrites,
beaucoup plus importantes que celles de 992 et de 1117 ?
Moi, je dis que c’est le cas. Mais un historien le niera. À
partir du moment où il n’a pas connaissance de ces écrits,
ceux-ci n’existent pas. Et ce, bien qu’il sache parfaitement
que, en ce qui concerne la période antérieure à 1100, la
très grande majorité des actes ont disparu. À titre de
comparaison, son attitude est celle d’un navigateur des mers
du Nord qui ne verrait que la partie émergée des icebergs.
Mais reprenons l’affirmation initiale, « le
monastère fut construit à partir de 992, quand Ramon
Borrell donna aux moines des droits sur le quartier de
Sant Pere », en essayant de l’interpréter et sans
avoir lu le texte de 992. L’auteur de la page Wikipedia
interprète celui-ci comme un texte fondateur, «
le monastère fut construit à partir de 992… »,
texte fondateur d’un monastère , et donc de l’abbatiale à
l’intérieur de ce monastère. Ce qui impliquerait que
l’église a été construite après l’an 992.
Mais il semblerait que l’auteur déduise cette fondation du
fait que Ramon Borrell ait donné des droits aux moines.
L’acte est différent d’une fondation ! Il n’était pas rare
qu’une abbaye se voit octroyer des droits supplémentaires
longtemps après sa fondation. Il arrivait aussi qu’une
abbaye puisse changer d’affectataire. En conséquence, il est
fort possible que, en 992, l’abbaye ait été construite
depuis longtemps. Ce qui ne signifie pas que tous les
bâtiments actuels aient été construits.
Par contre, le texte nous apprend que le quartier de
Galligants existait en 992. Un quartier suffisamment
important pour que ses habitants payent des droits, sans
être individuellement affectés à un autre quartier de
Gérone. Mais, dans ce cas, il devait y avoir une église dans
ce quartier. Ne serait-ce pas l’église Sant Pere ?
Nous ne connaissons pas l’origine du mot « Galligants ». Il
serait intéressant de la connaître. Surtout si ce mot est
issu de « Gallus » : Gaulois.
L’examen des bâtiments commence par le
portail Ouest (image 2).
Les sculptures en bas-relief qui ornent ce portail (images
3, 4, 5, 6) sont d’un aspect très inusité. Le motif
de l'image 4 est
identique à celui de l'image
10 de Sant Pere de Besalú. Les rosaces ou fleurons
de l'image 6 font
penser à des modèles wisigothiques. Nous avons estimé à Sant
Pere de Besalú que ce type de décor pourrait être antérieur
à l’an 1000. Notre estimation : an 950 avec un écart estimé
de 100 ans.
L’extérieur de l’église n’est pas très
révélateur. Si ce n’est d’un manque d’harmonie ou de
symétrie. Ainsi l'image 7
montre, à gauche d’une grande abside, deux petites
absidioles, et, à droite, une absidiole de taille moyenne.
Toujours sur l'image 7,
on remarque que le clocher qui devrait se trouver sur la
croisée de transept est en réalité sur le croisillon du
transept. Une cinquième abside orientée vers le Nord (et non
l’Est comme les 4 autres) est visible sue les images
9 et 10. Le plan de l'image
18 met en évidence cette dissymétrie du chevet.
L'image 8 montre
que la nef est à 3 vaisseaux. Remarquer le décor d’arcatures
lombardes, indice probable d’un vaisseau central voûté. Ces
arcatures lombardes semblent appartenir à la deuxième
période des arcatures lombardes (XIeou XIIesiècle).
Les
images de 12 à 17 de l’intérieur de l’église
montrent que son plan est celui d’une basilique à trois
vaisseaux. Le vaisseau central est voûté en berceau plein
cintre sur doubleaux plein cintre. Les collatéraux sont
quant à eux voûtés en quart de cercle, mais sans doubleau.
La grande caractéristique des piliers c’est qu’ils sont de
type R0001. C’est
à dire qu’ils n’obéissent pas au schéma de l’évolution des
piliers tel que nous le proposons dans le chapitre «
datation » : d’abord R0000,
puis R1010, Puis R1110, et enfin R1111. Ceci signifie
que les colonnes demi-cylindriques adossées aux piliers sont
toutes situées du côté du vaisseau central. Elles sont
destinées à soutenir les doubleaux de la voûte du vaisseau
central. Nous pensons que ces colonnes demi-cylindriques ont
été rajoutées après-coup.
Il y a d’abord une justification liée à l’esthétique. En
observant le pilier de l'image
17 tourné vers le collatéral, on remarque le
caractère à la fois simple et harmonieux de ce pilier : les
angles sont vifs, les impostes sont tournées vers
l’intrados. Comme à Sant Feliu de Gérone, on s’attendrait à
voir la même chose de l’autre côté (image
16). Or rien de tel : de l’autre-côté,
l’esthétique n’est plus la même. Les colonnes
demi-cylindriques ont « arrondi les angles ». Il n’y a pas
ici des pilastres (à plan rectangulaire) adossés aux
piliers, comme on le voit dans certaines églises, mais des
demi-colonnes. Cette esthétique modifiée est pour nous
synonyme d’un changement d’époque.
Notre interprétation est la suivante : la nef primitive
était à trois vaisseaux charpentés. Les piliers étaient
rectangulaires de type R0000.
Ils étaient dotés d’impostes à chanfrein vers l’intrados.
Les arcs étaient simples Cette église devait être analogue à
San Feliu de Gérone et donc, pour nous, contemporaine à
celle-ci. Rappelons la datation de San Feliu : an 700 avec
un écart estimé de 200 ans.
Cependant, il y a entre Sant Pere et Sant Feliu une
différence notable. La première est nettement moins large
que la seconde. Aux alentours de l’an 1000, les progrès de
la technique permettaient de voûter la première, mais pas la
seconde pour laquelle il a fallu attendre 4 siècles. Le
voûtement de Sant Pere a pu être effectué grâce à
l’utilisation d’arcs doubleaux portés par les demi-colonnes
adossées aux piliers, ajoutées pour l’occasion. Ces arcs
doubleaux portant en partie la voûte contribuaient à
rétrécir la largeur de la nef. La voûte en quart de rond des
collatéraux permettait de compenser les poussées de la voûte
centrale.
Dans le même temps, les piliers de croisée du transept -
mais s’agit-il bien d’une croisée de transept ? - ont été
renforcés et la croisée a été établie (Remarque : compte
tenu de la multiplicité des absides, il est possible que
certains éléments du transept aient existé auparavant) comme
le prouvent les chapiteaux de croisée identiques à ceux de
la nef (image 20).
De quand date le voûtement de la nef ? Nous pensons qu’il
doit être postérieur à l’an 1000 : colonnes
demi-cylindriques, chapiteaux romans, arc double à la
croisée
(image 20) et
antérieur à l’an 1150 (l’arc brisé a fait son apparition
avant cette date). Si les architectes avaient eu
connaissance des voûtes en berceau brisé, ils les auraient
utilisées.
Le plan de l'image
18 ainsi que les images
19 à 23 témoignent des anomalies rencontrées au
niveau du chevet. Nous avouons notre incompréhension
vis-à-vis de ce plan. Pourquoi tant d’absidioles ? Certes à
l’époque romane, on voit apparaître de multiples petites
chapelles à l’intérieur des églises. Mais le tout est
organisé, codifié. Par exemple, les chevets sont « à
déambulatoire et chapelles rayonnantes ». Il nous semble
étonnant qu’ici il y ait un apparent désordre.
On peut seulement remarquer que la première chapelle donnant
sur le croisillon Sud du transept est dans le prolongement
du collatéral Sud. Tout comme l’abside principale est dans
le prolongement du vaisseau central. Les deux absides
pourraient donc appartenir à l’église primitive.
Cependant cette hypothèse doit être vérifiée par l’examen
des murs.
L’abbaye abrite un petit musée lapidaire (image
24) ainsi qu’un beau cloître du XIIesiècle.