L'église Sant Feliu (Saint-Félix) de Gérone
À première vue, l’église Saint-Félix de Gérone ne devrait
pas faire partie de notre groupe d’églises préromanes. Elle
n’apparaît même pas romane. L’extérieur est celui d’un
édifice gothique très remanié (images
1, 2, 4). Seules les absidioles de l'image
3 pourraient permettre d’envisager qu’il y ait eu
initialement une construction romane.
Cependant, avant même d’entrer sous le
portail gothique de la façade Sud (image
4), un détail attire notre attention : il s’agit
d’un sarcophage plaqué contre la façade, à près de 4m de
hauteur (image 5).
En fait ce ne serait pas l’original, conservé à l’intérieur
de l’église, mais une copie. En se basant sur une
inscription du XIIIesiècle, on date ce
sarcophage de la même époque. Nous pensons qu’il est
nettement antérieur. La facture nous semble héritée de
l’antiquité. Il est possible que ce sarcophage, construit
dans l’antiquité, ait été réutilisé au XIIIesiècle.
Le thème est a priori païen : deux anges portant un soleil.
Mais au centre du soleil, on découvre un agneau pascal.
L’agneau pascal est présent à Ravenne vers le VIeou
VIIesiècle. La croix pattée (image
7) date de la même époque (à partir du Vesiècle).
La croix potencée
(image 6),
nettement moins fréquente, reste encore à dater.
Mais c’est l’intérieur qui se révèle le
plus intéressant (images
8, 9, 10). Selon la page du site Internet
Wikipedia consacrée à cet édifice : «
La construction de l’église actuelle commença durant les
XIeet XIIesiècle. Il s(agit
d’une église romane de laquelle ne sont conservés que le
plan au sol et la levée du chœur, puisque le reste de la
structure est gothique et réalisée à partir du XIVesiècle…
Le temple roman était inachevé quand il a été
partiellement détruit en 1285 pendant le siège de la ville
par le roi français Philippe le Hardi. Les travaux en
étaient à la réalisation du triforium… »
Nos propres conclusions liées à l’analyse architecturale de
l’édifice sont très différentes. La nef est de type
basilical à 3 vaisseaux. Les murs gouttereaux du vaisseau
central sont soutenus par des piliers rectangulaires de type
R0000. Nous
estimons que ce type de nef se situe en 3e position
dans l’évolution des basiliques. C’est-à-dire après la
basilique romaine. Mais bien avant la basilique romane à
piliers cruciformes, placée, elle, en 5eposition.
Celle-ci serait à placer en fin de 3epériode,
à la même époque que Saint-Michel de Castelnau-Pégayrolles
qui constitue l’ouvrage référent : les impostes des piliers
sont à saillie tournée vers l’intrados de l’arc.
On peut observer sur l'image
9 que les arcs à gauche et à droite du pilier sont
simples. Alors que sur l'image
10, l’arc de droite correspondant à la première
travée de la nef est simple tandis que l’arc de gauche, plus
élevé, correspondant au transept, est double. Cela signifie
que la construction du transept - ou la transformation d’une
travée de nef en transept - est plus récente, datant de la
quatrième période.
Datation
Nous envisageons donc les datations suivantes : pour
l’édification des travées de la nef et , en hauteur,
jusqu’au triforium : an 700 avec un écart estimé de 200 ans.
Pour le transept et peut-être, le chœur : an 900 avec un
écart estimé de 150 ans. Soient des dates bien antérieures
au XIesiècle proposé par le site Wikipedia.
Quels sont les arguments qui nous permettent d’avancer de
telles dates ? Le simple bon sens et une bonne connaissance
de la nature humaine. Nous raisonnons « par l’absurde » en
imaginant que, vers l’an 1050, un architecte ait proposé ce
type de construction pour une église. Il serait devenu la
risée de tous ses confrères. Cat à l’époque on était capable
de faire beaucoup mieux. Et dans un voisinage immédiat comme
Cardona ou Frontanya. On était capable de construire des
églises voûtées. Ce qui n’est pas le cas de celle-ci, prévue
pour être charpentée.
Les parements des murs, sans doute restaurés, ne permettent
pas de voir les traces des transformations. Cependant, au vu
des styles, nous pensons que la galerie ou triforium est
romane. Et nous ne comprenons pas la phrase citée
précédemment : « (En
1285) les travaux en étaient à la réalisation du triforium
». Il nous semble que cette date est bien tardive pour des
travaux qui nous semblent antérieurs de plus d’un siècle :
en 1285 l’art gothique était presque à son apogée et il est
surprenant de ne pas le découvrir dans les images du
triforium.
Nous rappelons que l’église n’était pas prévue pour être
voûtée. En conséquence, le voûtement n’a pu être envisagé
pendant plusieurs siècles. L’église devait être couverte
d’un plafond et d’une charpente. C’est ce que l’on voit à
Saint-Nicolas de Bari où, tout comme à Sant Feliu, les murs
supérieurs du vaisseau central sont pourvus d’une galerie.
Ici, à Sant Feliu, il n’a été possible de voûter l’édifice
qu’à partir du XIVesiècle grâce à
l’utilisation de la croisée d’ogives et, sans doute aussi,
de matériaux légers.
Il existe un autre indice d’ancienneté
de cet édifice : le grand nombre de sarcophages qui y sont
déposés. Ceci indique que l’édifice devait être à vocation
funéraire, les morts étant déposés dans le voisinage de
saints patrons comme Saint-Félix.
La sarcophages exposés sont paléochrétiens de « l’école
d’Arles » (c’est là où on en a trouvé le plus grand nombre).
Ces sarcophages ont fait l’objet de nombreuses études. Et
beaucoup de scènes ont été identifiées. Néanmoins il peut y
avoir des erreurs. Mais surtout, ce n’est pas parce qu’on a
identifié une scène qu’on a repéré le symbolisme
sous-jacent. Il ne faut pas oublier qu’un sarcophage est
destiné à abriter un défunt. Et qu’il raconte la vie du
défunt, ses qualités, ses convictions, ses engagements, sa
foi.
Prenons le cas du sarcophage de l'image
11. On y voit une scène presque banale de chasse
aux lions. La même scène orne le sarcophage qui aurait
abrité le corps de Saint Aphrodise de Béziers. Cette scène
que l’on peut estimer futile par rapport à la vie du défunt
prend tout son sens si on l’envisage d’un point de vue
allégorique : le défunt, son épouse et ses enfants seraient
représentés sous les traits des lions persécutés. Ce
sarcophage pourrait donc symboliser des chrétiens persécutés
pour leur foi.
Les sarcophages des images
12 et 14 représentent plusieurs scènes de la vie
de Jésus-Christ. Sur l'image
12, on peut avoir un peu à droite du centre, une
orante aux bras levés. Le Christ est le personnage un peu
joufflu, imberbe, aux cheveux bouclés. On le découvre à
gauche de l’orante guérissant un enfant (le fils de la veuve
de Naïm ?), puis plus à gauche, les bras écartés avec à ses
pieds de petits tonneaux (miracle de la transformation d’eau
en vin à Cana). À droite, il guérit un autre enfant, et,
encore à droite, il s’adresse à Pierre au pied duquel se
trouve le coq du reniement.
On retrouve à peu près les mêmes scènes sur l'image
14 mais plus distinctement.
L'image 13 représenterait
l’histoire de la « Chaste Suzanne ». On connaît cette
histoire : Suzanne est surprise dans son bain par deux
vieillards qui, pour se tirer des ennuis, l’accusent
d’adultère. Elle est jugée, condamnée, mais finit par
prouver son innocence. Il manque à cette scène l’épisode du
bain mais peut-être se trouve-t-il sur une autre face du
sarcophage ? Peut-être s’agit-il là aussi d’une allégorie
? Au moment des persécutions, les chrétiens pouvaient
être accusés à tort et jugés. Dans ce cas, l’histoire de la
« Chaste Suzanne » exprimait un épisode de vie de la
défunte.
L'image 15 raconte
une histoire païenne : « l’Enlèvement de Proserpine » . Là
encore, nous pensons que cette scène pourrait être
allégorique, l’enlèvement de Proserpine représentant la
mort, la montée au Ciel et la future résurrection. Durant la
période des persécutions, les chrétiens n’étaient pas
poursuivis, sauf s’ils faisaient du prosélytisme. Ils
devaient donc cacher les signes de leur foi.
Bien que nous ayons contesté la datation
de la page du site Internet Wikipedia consacrée à l’église
Saint-Félix de Gérone, nous reconnaissons son grand intérêt
concernant la documentation. Et
vous y renvoyons.
Nous y avons appris l’existence de diverses chartes
antérieures à l’an 1000. Pour ne citer qu’un exemple :
lorsque nous avons visité Gérone, notre guide francophone
nous a appris qu’une légende racontait que Charlemagne
serait passé à Gérone mais que c’était peu probable. Or la
page Internet nous apprend « En
882, est documenté un chanoine aquisgranesa ».
Aquisgrana, c’est Aix-la-Chapelle. Charlemagne a fait mieux
que passer à Gérone. Lui (ou un de ses successeurs) a
désigné un chanoine pour le représenter au chapitre
canonial.