L’église et le cloître de Saint-Jean de Duero  

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L'église de San Juan de Duero

Comme la page précédente, celle-ci ne devrait pas normalement faire partie de notre site consacré au Premier Millénaire. En effet, la plus grande partie de cet ensemble aurait édifiée près de deux siècles après l’an 1000. Et même si nous envisageons que l’église pourrait être préromane, elle n’apporte que très peu de renseignements sur cette période. Non, si nous avons décidé de parler de cet ensemble, c’est pour ne pas passer à côté de quelque chose d’important concernant le XIIesiècle.



Commençons par l’intérieur de l’église (images 1 et 2). Ce qui frappe immédiatement c’est la présence de deux édicules (image 3) en forme de ciborium (4 colonnes supportant un toit). Le ciborium n’est pas quelque chose de rare. On le trouve sous le nom de « baldaquin » à l’époque baroque. On le trouve aussi dans certaines églises orientales, et ce depuis l’Antiquité. Mais ici, en Espagne, et aux emplacements précis de « l’Épitre » et de « l’Évangile », il se révèle exceptionnel.

Les deux ciboriums sont ornés de très beaux chapiteaux romans (images 4 et 5 : un art roman tardif). À remarquer que ces édicules sont parfaitement identiques à une nuance de taille près :  celui de gauche est recouvert d’un toit hémisphérique, alors que celui de droite l’est d’un toit conique.. Cela n’est peut-être pas tout à fait anodin.

On serait tenté de croire que l’église en elle-même date, comme les édicules, de l’époque romane. Si c’était le cas, elle serait certainement plus ornée, construite en belles pierres de taille comme le cul-de-four de l’abside (image 6). En fait, tout fait penser à une construction préromane : unique fenêtre axiale dans l’abside, banc de pierre qui en fait le tour, absence de voûte dans la nef. La voûte en cul-de-four de l’abside a pu être réalisée ultérieurement.



Le cloître de San Juan de Duero



On en arrive à la partie la plus intéressante : le cloître. Le premier abord est déroutant. Ce cloître ne ressemble à aucun autre. Il a ceci de remarquable qu’il est formé de quatre parties très différentes.

Il y a d’abord le coin Nord-Ouest (image 7). Cette partie est typiquement romane. Les arcs en plein cintre sont portés par des colonnes géminées.

En faisant le tour dans le sens des aiguilles d’une montre, on passe au coin Nord-Est (image 8). Cette partie, que nous appellerons « gothique », est pourtant romane ou plutôt de transition entre le roman et le gothique. Les arcs sont légèrement brisés. Les piliers sont formés d’un faisceau de quatre colonnettes.



Dans l’angle Sud-Est (image 9) on trouve la partie que nous avons appelée « arabe ». Les arcs sont très originaux, Ils forment un trait continu sans rupture de direction, comme une corde qui décrirait des courbes successives. Ces courbes sont posées des piliers à section carrée.

Enfin l’angle Sud-Ouest (image 10) contient la partie que nous avons appelée « mozarabe » . Des arcs en plein cintre sont lancés tous les deux piliers. Ces arcs se croisent formant des arcs brisés. Les piliers sont constitués de colonnes géminées.



Il faut ajouter quelques remarques. Pour la plupart des cloîtres, l’accès à l’espace intérieur se fait par une seule ouverture dans la banquette qui sépare la galerie du cloître de la cour intérieure. Et ce, sans caractère distinctif.

Dans les cloîtres que nous connaissons, l’aspect monumental est la galerie du cloître. Lorsque nous entrons dans un cloître, nous pénétrons dans la galerie et en faisons le tour sans aller dans le jardin intérieur. D’ailleurs rien ne nous invite à y aller car il n’y a pas de porte richement décorée qui nous invite à y entrer. En marchant dans la galerie, nous avons d’un côté l’ouverture sur le jardin, et de l’autre un mur qui peut être décoré. En particulier s’il existe une salle capitulaire dotée d’un triplet de fenêtres. Des portes richement décorées percent ce mur de la galerie.

Que constate-t-on ici? Il n’y a pas de mur extérieur. Rien ne laisse apparaître qu’il y avait ici une galerie couverte d’un toit. En tout cas, s’il y avait un toit, il n’était pas voûté. Par contre, il y a des portes qui mettent en rapport la galerie avec l’espace intérieur. Sur quatre angles, trois ont des portes monumentales.



Conclusions

Nous pensons que nous sommes en présence d’un monument exceptionnel qui n’a rien à voir avec un cloître usuel. Il faut savoir tout d’abord que ce monastère aurait appartenu aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Ces moines soldats avaient des monastères partout où presque dans le monde méditerranéen. Et si leur vocation était de combattre, ils pouvaient aussi avoir un rôle d’ambassadeurs, de pacificateurs.

Regardons à présent la situation de Soria à cette époque : Il y avait au Nord Ouest des peuples romanisés, au Nord-Est des goths connaissant l’arc brisé, au Sud-Est des andalous arabisés et au Sud-Ouest des mozarabes. Le cloître reproduit à peu de chose près ce schéma.

Ce cloître pourrait donc avoir une fonction symbolique de représenter ces peuples divers. Et peut-être même de réunir leurs chefs, non dans les galeries extérieures, mais à l’intérieur même de la cour dans laquelle ils pouvaient pénétrer en passant à travers les grandes portes d’apparat.

Nous pensons que, même si cette séquence n’appartient pas au premier millénaire, elle méritait d’être connue.