L’église Saint-Dominique de Soria
L’église Santo Domingo de Soria fait partie du petit lot de
monuments qui, a priori, ne devraient pas être cités dans
notre ouvrage sut le Premier Millénaire. Elle est en effet
essentiellement romane. Son nom, à lui seul, devrait nous
inciter à la négliger. Saint-Dominique de Guzman est mort en
1221. Il a été canonisé en 1234. C’est donc un personnage du
deuxième millénaire. Cependant on sait que l’église était
auparavant dédiée à Santo Tomé (Saint Thomas). D’ailleurs,
nous allons voir qu’il existe des restes importants
antérieurs à Saint-Dominique.
Ces restes, on peut tout d’abord les
voir dans la majestueuse façade occidentale (image
1), le portail de cette façade (image
2), et jusque dans les détails de l’archivolte du
portail (image 3).
Il s’agit là d’une des réalisations les plus brillantes de
l’art roman que les spécialistes ont comparé à celle de
Notre-Dame-la-Grande de Poitiers. L’influence poitevine
viendrait du jeu d’alliances matrimoniales entre la maison
de Castille et la maison d’Aquitaine (mariage en 1170,
d’Alphonse VIII de Castille et Éléonore d’Angleterre, fille
d’Éléonore d’Aquitaine). La construction du portail serait
postérieure à cette date comme en témoigneraient les
effigies d’Alphonse VIII et d’Éléonore placées de part et
d’autre du portail et au-dessus de lui. Il nous semble que
cette datation est un peu tardive : les effigies d’Alphonse
VIII et d’Éléonore ont pu avoir été installées longtemps
après la construction du portail, lequel semble postérieur
au reste de la façade.
L’intérieur (images 4 et
5 , et plan de l'image
7) fait apparaître une grande variété de styles,
preuve de multiples travaux dont il est difficile de
déterminer l’origine. Ainsi, sur l'image
7, on observe deux formes d’arcs, en plein cintre à
gauche, brisé à droite. Autre observation : les piliers
adossés au mur. Celui de gauche situé entre les deux arcs
est constitué de deux demi-colonnes cylindriques encadrées
par des colonnettes. Celui de droite est constitué d’une
seule demi-colonne encadrée par des colonnettes. Pourquoi
deux pour le premier pilier et une seule pour l’autre ? Il
doit y avoir une explication autre que la fantaisie de
l’architecte. Autre observation encore : les colonnettes
flanquant les piliers. À quoi peuvent-elles donc servir ?
Dans ce cas, l’explication est facile. Ces colonnettes
servaient à porter des chapiteaux (qui existent encore). Et
ces chapiteaux devaient porter les ogives d’une croisée
d’ogives. Pour une raison qu’on ignore, les croisées
d’ogives n’ont pas été construites, mais remplacées par des
voûtes en berceau brisé sur doubleaux (images
4 et 5).
Les images
8 et 9, malheureusement très floues, sont celles
d’une corniche isolée. Cette corniche ne présente aucune des
caractéristiques d’une corniche romane. Il nous faut
cependant avouer que nos connaissances en art roman de
Castille sont embryonnaires. Il est donc possible qu’elle
soit romane. Tout comme il est possible qu’elle soit
préromane. Le caractère isolé de sa présence sur une portion
du mur latéral Nord induit à penser que le mur ancien a été
conservé, noyé dans des structures nouvelles. Seule une
étude comparative avec des décors analogues pourrait
apporter des résultats. Encore faut-il retrouver ces décors.
Venons en aux images 10,
11 et 12. Ce sont surtout ces images qui ont attiré
notre attention. Les piliers des images
10 et 11 sont situés face à face et présentent les
mêmes caractéristiques. Sur celui de l'image
11 et en partant du haut de l’image, on note la
présence de deux arcs doubleaux soutenant les voûtes. Celui
de gauche est simple. Au-dessous de lui, le pilier est
constitué de deux colonnes jumelles encadrées de deux
colonnettes. L’arc de droite est double. Il repose par
l’intermédiaire d’un chapiteau sur une colonne simple. On
constate l’existence, entre cette colonne simple et la
colonnette droite du pilier précédent, d’une autre colonne
qui a la particularité de ne rien porter, de ne servir à
rien (image 12).
On a donc une situation très complexe. Tout d’abord,
l’existence de deux piliers distincts portant des doubleaux
distincts voisins les uns des autres ne peut se justifier
que si les constructions ont été séparées dans le temps. On
voit d’ailleurs sur l'image
11 les différences de construction de part et
d’autre de ces deux piliers. L'image
12 permet d’identifier au moins deux étapes. Dans
cette image, les deux colonnes de droite feraient partie de
la première étape. Elles devaient être nettement plus
hautes. Elles ont été coupées lorsqu’il a été question de
remplacer le toit en l’installant sur l’arc doubleau.
Celui-ci a reposé sur la colonne de l’extrême droite
laissant l’autre libre. Une troisième étape aurait permis
d’édifier le pilier de gauche avec sa colonne et ses
colonnettes.
Datation
La troisième étape de travaux décrite précédemment pourrait
remonter au début du XIIIesiècle. La deuxième
étape pourrait l’avoir précédée de peu. La datation de la
première étape, qui devrait nous intéresser le plus, est des
plus délicates. On sait que des piliers à deux colonnes ont
été construits durant le premier millénaire (Nant,
Saint-Just de Valcabrère), mais ce n’est pas suffisant pour
affirmer que cette première étape est préromane. Nous
adopterons donc une position plus nuancée en datant du XIesiècle
cette construction : an 1050 avec un écart estimé de 100
ans.
L’intérêt se situe ailleurs, dans l’analyse du bâti et dans
les démonstrations que cette analyse permet d’apporter. Ce
n’est certainement pas cette analyse effectuée à partir de
quelques photos bâclées prises en une visite de moins d’une
heure à Saint-Dominique de Soria qui permettra de lever tous
les mystères de cette église. Mais espérons que la méthode
en elle-même fera des émules à Santo Domingo même, où il
reste beaucoup d’anomalies à découvrir. Peut être cela
a-t-il déjà été fait ? Chose que nous ignorons.