L'abbatiale de Rolduc à Kerkrade (Limburg/Pays-Bas)
Nous n'avons pas visité cette abbatiale.
Les images ci-dessous proviennent d'Internet.
Selon Madame Ava van Deijk, auteure du livre Pays-Bas
romans de la Collection Zodiaque
(extraits) :
« Histoire de l'abbaye
Le
fondateur de l'abbaye, Ailbertus, était originaire
d'Antoing, près de Tournai. Après avoir fondé à cet
endroit, en 1104, une chapelle en bois, il la fit
remplacer par un chœur voûté en pierre en 1106. Mais ce
dernier n'était pas destiné à survivre longtemps et fut
remplacé par une crypte à plan tréflé. En 1108, celle-ci
fut consacrée à la Vierge et à l'archange Gabriel par
l'évêque Otbertus de Liège. Entre-temps, un différent
avait éclaté entre Ailbertus et Embrico, un noble riche
qui avait rejoint Ailbertus et fait don de ses
possessions à la communauté. Aibertus aurait voulu
consacrer aux pauvres les biens communautaires, mais
Embrico préférait les utiliser pour la construction d'un
monastère double. À la suite de ce différent, Ailbertus
quitta Rode (le mot “Rolduc” est issu de
“Rode-le-Duc”)
en 1111 et alla se retirer dans un ermitage à
Clairefontaine, près de Vervins. En 1122, il voulut se
rendre une fois de plus à Rode, mais mourut en chemin.
Son désir d'être enterré en ce lieu ne fut réalisé qu'en
1895. En 1897, le sarcophage contenant les reliques
d'Ailbertus – conçu par P.J.H. Cuypens – fut installé au
milieu de la crypte (images
17 et 18). »
Commentaire sur cette
partie de texte
Il peut paraître surprenant que des laïcs fournissent
d'importantes donations à des monastères. En fait, cette
pratique existe encore aujourd'hui, mais elle est nettement
plus réduite par rapport à ce qu'elle était au Moyen-Âge. Il
existe peut-être une raison à cela : l'interdiction
d'enterrer dans des églises. En fait, durant la période
paléochrétienne, il était possible d'enterrer dans des
églises et certaines d'entre elles ont été réservées à cet
usage. Mais des témoignages permettent de penser qu'il a pu
y avoir des abus, l'enterrement en église faisant lieu de
certificat de bonne conduite, alors que ce n'était pas le
cas. Il y aurait donc eu interdiction d'enterrer dans une
église à une période difficile à préciser, car les décisions
étaient prises dans des conciles régionaux. Il y aurait
certes eu des dérogations à cette règle, ne serait-ce que
vis-à-vis des reliques de saints dûment authentifiées. Mais
comme nous l'avons écrit ci-dessus, les décisions étaient
prises au cours de conciles régionaux réunissant des
évêques. Elles devaient s'appliquer aux diocèses régis par
ces évêques. Mais peut-être pas forcément à des abbayes
indépendantes des diocèses. Et les abbayes créées par des
princes (abbayes dites « royales ») pouvaient être
indépendantes. On a constaté à plusieurs reprises que des
abbayes royales étaient des abbayes mixtes (d'hommes et de
femmes). L'existence de ces abbayes mixtes permettait, selon
nous, l'inhumation dans l'abbatiale de princes et de
princesses (c'est le cas, en particulier, de celle de
Fontevraud). Un tel raisonnement pourrait sans doute
expliquer le litige entre Ailbertus et Embrico.
Poursuivons la lecture du texte de
Madame Ava van Deijk :
«
Histoire de la
construction
L’histoire de la construction du complexe monastique
depuis le début de la fondation est exceptionnellement
bien connue grâce aux Annales Rodenses,
une chronique qui aurait été écrite durant la seconde
moitié du XIIe siècle et qui relate les
premières années de l'abbaye. En outre, le
Continuatio,
une énumération de tous les évènements survenus entre 1158
et 1700, fut composée au XVIIIe siècle, à
partir de renseignements puisés dans les archives bien
documentées du monastère. Aussi les dates que nous
citerons ici se référeront à ces deux sources.
[...] La
construction se fit d'Est en Ouest, comme il est de
rigueur pour une église. Dans le cas présent, c'est donc
par la crypte qu'on doit avoir commencé, peu après 1106,
lorsqu'on démolit le chœur voûté. [...] En
1107 et 1108, on entreprit l'érection du chœur et du
transept ainsi que des murs de la nef, mais divers
déboires, tels le différent entré Ailbertus et Embrico [...]
entraînèrent
une interruption assez longue des travaux. En outre, un
incendie, allumé en 1124 par des élèves récalcitrants,
endommagea considérablement les bâtiments.
En 1130, les murs n'avaient toujours pas dépassé la
hauteur d'un homme, d'après les Annales Rodenses.
La même année, on poursuivit l'édification : en 1143, on
éleva les murs du chœur, de même forme que la crypte. Puis
celui-ci fur couvert d'un cul-de-four. En 1138, les murs
du transept furent achevés avec leurs voûtes ; en 1143, on
éleva les travées occidentales de la nef avec les travées
doubles correspondantes des collatéraux. [...]
Entre-temps,
on procéda à une modification du plan de la nef ; au lieu
de bâtir les collatéraux selon le projet initial en
faisant coïncider une travée de la nef et deux travées des
collatéraux, on décida d'interrompre les travées doubles
des collatéraux en les alternant avec un pseudo-transept.
Divers auteurs sont d'avis qu'il s'agissait là de ce que
les Annales Rodenses décrivent
de façon ambiguë comme une “casemate longitudinale”. En
effet, les pseudo-transepts ne sont pas une invention des
maîtres d’œuvre de Rolduc, mais des Lombards. [...]
Il
faut d'ailleurs souligner que ce ne sont pas des raisons
esthétiques qui ont motivé ces pseudo-transepts, mais que
ceux-ci furent édifiés dans le but d'étayer l'église que
l'on voulait voûter en pierre. Les murs transversaux des
pseudo-transepts avaient pour fonction de constituer des
contreforts, ces pseudo-transepts étaient en quelque sorte
les prédécesseurs des arcs-boutants gothiques puisqu'ils
jouaient leur rôle par avance. [...] Entre
1157 et 1209, on construisit les travées situées le plus à
l'Ouest et les pseudo-transepts, ainsi que le massif
occidental qui les prolonge. [...] »
Commentaire sur cette
seconde partie de texte
Nous sommes surpris et quelque peu désorientés par cette
description. Reprenons le déroulé : en 1104, Ailbertus fait
construire une chapelle en bois (« Après
avoir fondé à cet endroit, en 1104, une chapelle en
bois,... »). Deux ans après, il la détruit
pour construire un chœur en pierre (« ... il
la fit remplacer par un chœur voûté en pierre en 1106.
... »), chœur qui est ensuite remplacé par une crypte
laquelle est inaugurée deux ans après. Mais ce chœur « fut
remplacé par une crypte ... En
1108, celle-ci fut consacrée
... ». Il y a là une véritable boulimie de
constructions et de destructions. Et ce, en seulement quatre
ans. À l'inverse, l'étalement des constructions entre 1106
et 1209 nous semble bien trop espacé. Il faut comprendre que
le concepteur d'un projet de construction d'un bâtiment
tient à assister à l'inauguration de ce bâtiment. Il veut
donc que le projet soit réalisé dans les dix ans qui suivent
la pose de la première pierre et mobilise les capitaux en
vue de cet objectif. Il peut certes y avoir des retards.
Mais pas plus d'une dizaine d'années. Nous pensons donc que
les textes cités par l'auteure, les
Annales Rodenses et le Continuatio
doivent faire l'objet d'une relecture pour vérification de
l'authenticité des faits décrits.
Un trait caractéristique de cette
abbatiale de Rolduc est la présence de ce qui est appelé ici
les « pseudo-transepts ». Ceux-ci sont appelés ailleurs «
transepts bas ». C'est d'ailleurs ainsi que nous préférons
les appeler, car nous estimons que c'étaient les premiers
transepts obtenus en construisant un corps de bâtiment
transverse sur chaque collatéral d'une travée de nef.
Nous avons donc eu, à plusieurs reprises, l'occasion de
rencontrer des transepts bas. Mais ces transepts bas étaient
uniques pour une église déterminée. Hormis cependant pour la
collégiale Saint-Exhumer de Lobbes (Hainaut/Belgique) où
l'on a deux transepts (un transept bas et un transept haut).
Et bien sûr pour cette église de Rolduc où l'on a trois
transepts (deux transepts bas et un transept haut).
Nous ne sommes pas du tout convaincus par l'explication qui
nous est donnée sur la présence de ces « pseudo-transepts »
: « Il
faut d'ailleurs souligner que ce ne sont pas des raisons
esthétiques qui ont motivé ces pseudo-transepts, mais que
ceux-ci furent édifiés dans le but d'étayer l'église que
l'on voulait voûter en pierre. Les murs transversaux des
pseudo-transepts avaient pour fonction de constituer des
contreforts, ces pseudo-transepts étaient en quelque sorte
les prédécesseurs des arcs-boutants gothiques puisqu'ils
jouaient leur rôle par avance. ». Les plans des images 5 et 7 ainsi
que les images 11, 12, et
13 ne font pas apparaître que ces pseudo-transepts
sont plus efficaces pour étayer les murs du vaisseau central
que les collatéraux des autres travées. Il y aurait selon
nous une autre raison à la présence de ces pseudo-transepts.
Les explications esthétiques et architectoniques étant
exclues, il resterait les explications liturgiques ou
claniques. Avant d'expliquer cela, il nous faut essayer de
comprendre d'où vient l'invention des transepts. Et nous ne
voyons qu'une explication : les transepts ont été inventés
pour donner dans l'église une place de choix à une élite. Et
nous pensons à l'élite des clercs. Les transepts devaient
être réservés aux clercs ou aux religieux. Il a pu y avoir
plusieurs types d'élites (prêtres, frères convers,
religieuses, etc.). Notre idée est qu'il y aurait eu un
transept réservé aux prêtres, un autre pour les frères
convers et un autre pour les religieuses (la répartition
étant donnée à titre d'exemple et non de certitude avérée).
L'auteure nous dit que les transepts bas ont été érigés en
vue d'un voûtement de la nef. Nous pensons que ce voûtement
est en réalité plus tardif, les voûtes en croisée d'ogives
ayant été posées au cours du XIIIe siècle.
Datation
Un examen plus attentif de l'architecture de cet édifice
nous oblige à remettre en question la datation de cet
édifice qui a été basée sur l'étude de deux textes dont
l'objectivité n'a pas été soumise à l'épreuve du doute. Nous
notons en particulier la confusion révélée par la phrase : «
Le
fondateur de l'abbaye, Ailbertus, était originaire
d'Antoing, près de Tournai. Après avoir fondé à cet
endroit, en 1104, une chapelle en bois ... ».
On y trouve les mots «
fondateur » et « fondé
» qui devraient donc avoir le même sens.
Ce qui n'est pas le cas ici. Car on fonde une communauté
humaine et on construit une église. L'abbaye fondée par
Ailbertus est de fait une communauté humaine qui a été
installée à un emplacement (Rolduc dans le cas présent). Il
faut comprendre que cette installation ne s'est pas faite
par l'opération du Saint Esprit. Soit le lieu était déjà
aménagé, soit il a été construit au fur et à mesure par
augmentation progressive du nombre de disciples d'Ailbertus
et l'afflux de dons afin de faire vivre la communauté. Il
est en tout cas douteux qu'Ailbertus soit arrivé en 1104 en
plein désert et qu'il ait dit : « Ben tiens, je m'en vais
fonder une communauté avec les 500 moines qui
m'accompagnent, puis dans deux ans, je m'en vais construire
une très grande église pour permettre à ces moines de faire
convenablement leurs prières.... ».
Il faut bien comprendre que les archives des abbayes sont
celles des dernières communautés ayant occupé le lieu. Ce
qui est tout à fait humain car chaque communauté tient à
valoriser son action à partir de l'acte de fondation.
En conséquence de cette analyse, s'il y a eu une communauté
installée dans des locaux (dont une église) à cet endroit
avant la fondation d'Ailbertus, on ne dispose d'aucun
document pour le prouver … mais on ne dispose aussi d'aucun
document du contraire. Et, trop souvent, on déduit de cette
absence de document l'absence de constructions ayant précédé
la fondation de la communauté.
Nous allons baser notre raisonnement sur le style de
l'architecture. Observons d'abord l'image
9 (aux extrême-gauche et extrême-droite) et l'image 13 (à droite). On
y voit une colonne cylindrique encadrée par deux piliers à
section rectangulaire. Cette disposition est caractéristique
d'un style dit « ottonien » : pour ce style d'architecture,
une travée du vaisseau central correspond à deux travées des
collatéraux. L’appellation « ottonien » est issue du nom des
empereurs nommés Othon ayant vécu aux alentours de l'an
1000. Nous pensons que, dans le cas présent, l'architecture
pourrait être antérieure à l'an mille : le vaisseau central
était probablement charpenté à l'origine, les arcs reliant
les piliers sont à un seul rouleau ; les piliers
rectangulaires portent des impostes et non le système
chapiteau-tailloir (image
10). Par contre, ce système chapiteau-tailloir,
typiquement roman (postérieur à l'an 1000), on le voit tout
en haut de l'image 11.
Il est porté par des colonnes demi-cylindriques adossées aux
piliers (là encore typiquement romans). Tout autorise à
penser que ces demi-colonnes, chapiteaux et tailloirs sont
un ajout ultérieur. Ils ont permis de porter les arcs
doubleaux, lesquels ont permis de porter les voûtes des
bas-côtés. Et donc, à l'origine, les bas-côtés devaient
eux-aussi être charpentés.
Cette analyse nous permet d'envisager la situation suivante
: à l'origine, la nef était de type « ottonien ». Le
vaisseau central était formé de 5 travées toutes identiques,
les collatéraux du double de travées. Il y avait alternance
de piliers rectangulaires et de colonnes cylindriques.
Ultérieurement, la première travée côté Est aurait été
transformée en transept (transept haut), les troisième et
cinquième travées auraient été transformées en
pseudo-transepts (transept bas). Dans l'entre-temps (à
vérifier), l'Ouvrage Ouest aurait été construit.
Datation envisagée
pour l 'abbatiale de Rolduc à Kerkrade (dans son état
primitif ; nef non voûtée) : an 950 avec un écart de 100
ans.