La cathédrale Saint-Laurent de Trogir
La cathédrale Saint-Laurent de Trogir est connue pour son
portail richement décoré. Le guide touristique indique qu’il
a été sculpté par Radovan à partir de 1240. Une telle
datation peut surprendre concernant un portail qui, à
première vue, apparaît comme étant roman. Mais le modelé des
sculptures est tout à fait différent du modelé roman. Il
permet de les situer en période gothique. Bien qu’elles
soient positionnées en dehors du cadre, que nous nous sommes
fixés, rien ne nous empêche de les admirer (images
2 et 3).
Passons à présent à l’objet de notre
étude en pénétrant dans l’église. On a alors un petit choc.
On s’attendait en effet à pénétrer dans une église gothique
(voûte sur des arcs brisés), ou, à tout le moins, romane
(arcs en plein cintre). Mais rien de tel ici : la partie
centrale de la nef est plafonnée ! Il est certes possible
que le plafond ait été installé provisoirement en attendant
que la voûte soit restaurée. Et effectivement, on voit sur
l'image 7 (tout à
fait en haut), un
départ d’ogive à partir d’un culot. Mais ce type de
construction (ogive posée sur culot inséré dans la
maçonnerie d’un mur) est caractéristique du voûtement tardif
(au XIVesiècle) d’une construction préalablement
charpentée. En conséquence de cette observation, peu importe
de savoir si la nef actuelle est entièrement ou
partiellement voûtée d’ogives. Il nous suffit de noter que
la nef primitive devait être charpentée. Et que plus tard,
au XIVesiècle, elle a été voûtée d’ogives.
On se trouve donc en présence d’une église à plan basilical
primitivement charpentée. Donc non romane (et à plus forte
raison non gothique). Les piliers sont de type R0000
(voir sur ce site la page Analyse
des piliers). On verra dans la page Évolution
des piliers que les piliers de type R0000
se situent au premier stade de cette évolution. Par contre,
le fait que l’arc soit doublé montre qu’on aborde le
deuxième stade de l’évolution des arcs. Le fait que les
impostes soient sculptées de denticules ou de billettes (image 6) ou d’un décor
gaufré (image 5)
conforte l’idée d’une haute datation. Une question toutefois
: sous les impostes il existe une décoration sculptée sur
les piliers seulement sur les cotés Est et Ouest des
piliers. Un tel décor est pour nous surprenant ; peut-être
existe-t-il ailleurs en Croatie? Mais si on observe cela de
plus près, on s’aperçoit que le décor couvre la totalité de
la pierre qui occupe toute la largeur du pilier. En fait,
cette pierre est un chapiteau et l’imposte qui la surmonte
peut être considérée comme le tailloir de ce chapiteau.
Le chevet de la cathédrale présente une
belle façade très régulière ornée d’arcatures lombardes (image 8). Peut être
même trop belle. Car il apparaît impensable qu’elle ait pu
rester aussi nette pendant 7 ou 8 siècles. Manifestement, il
a dû y avoir d’importantes restaurations. Dont certaines
doivent être récentes. Ce que l’on peut vérifier par la
coloration des pierres. En particulier autour des fenêtres.
Cependant, si les restaurations ont respecté le modèle
primitif de la décoration du chevet, on peut estimer que
cette décoration doit être contemporaine des autres
décorations. Comme celle du portail. Le style des arcatures
lombardes fait penser à un art roman tardif (début XIIIesiècle).
Mais selon nous , il s’agit bien là d’une décoration. Car
sous cette décoration relativement récente (du XIIIesiècle
! quand même !), apparaît le profil d’une église beaucoup
plus ancienne. En effet, tout montre qu’il s’agit là d’un
édifice du premier millénaire : nef à 3 vaisseaux
charpentés, absence de transept, chevet à 3 absides situées
dans le prolongement des vaisseaux, et enfin, piliers de
type R000.
Bien sûr, on peut toujours envisager que
les constructeurs du début du XIIIesiècle aient
voulu imiter un modèle architectural du VIesiècle
qu’ils appréciaient plus particulièrement. Mais ils avaient
connaissance de modèles architecturaux beaucoup plus
performants qu’étaient les églises romanes et gothiques. Il
aurait fallu de sérieuses raisons pour qu’ils choisissent de
revenir à un passé révolu.
Il existe donc une forte possibilité pour que, dans sa
presque totalité, cet édifice date du VIeou VII esiècle
(an 600 avec un écart estimé de 150 ans).
Au début du XIIIesiècle, d’importants travaux
auraient été engagés pour contribuer à son ornementation
extérieure. La nef aurait été voûtée au XVesiècle.
Nous avons effectué une visite rapide de cette cathédrale en octobre 2006, c'est-à-dite 10 ans avant la création de l'actuel site Internet. Les commentaires ci-dessus ont été rédigés peu après cette création, dans le courant de l'année 2016.
À ce moment-là, nous n'avions pas encore élaboré les méthodes d'analyse des bâtiments que nous appliquons aujourd'hui. De plus, nous pouvons profiter aujourd'hui de certaines innovations techniques ou informatiques qui, à l'époque, n'étaient que peu répandues (imagerie par satellite, géolocalisation, cartes interactives, galeries d'images d'Internet, etc).
Il est donc possible, à présent, de revenir sur l'étude de ce monument.
La plupart des images de cette page ont été saisies lors de la visite initiale.
La page du site internet Wikipédia relative à cette église nous append ceci :
« Historique : La cathédrale a été construite sur les fondements de la cathédrale paléochrétienne détruite par les Sarrasins en 1123, pendant le sac de Trogir. Les travaux sur le bâtiment actuel commencèrent en 1213 et se terminèrent au XVIIe siècle. Comme l’ancienne cathédrale, elle est dédiée à Saint Laurent, mais elle est connue pour être particulièrement consacrée à la dévotion à saint Jean, l’évêque Jean de Trogir († 1111), qui avait attiré par son exemple de vie sainte le roi Coloman de Hongrie, lequel, après avoir conquis la Croatie et la Dalmatie, s’employa à promouvoir la construction de la cathédrale. La plus grande partie des travaux fut réalisée au XIIIe siècle, ce qui explique que la cathédrale est essentiellement de style roman. Toutefois, l’intérieur de la voûte, datant du XVe siècle, est caractéristique de l'art gothique.
Description : La cathédrale de Trogir fournit l’exemple le plus ancien en Dalmatie d'arcades internes aux piliers allongés qui séparent les deux nefs latérales de la nef centrale. Elle comporte trois absides semi-circulaires.
Le portail roman : L’élément le plus remarquable de la cathédrale est le portail occidental, chef-d’œuvre du sculpteur et architecte dalmate Radovan, terminé en 1240. On voit s’y mêler iconographie traditionnelle, scènes de la vie quotidienne et épisodes mythiques, apôtres, bûcherons et centaures. On peut y distinguer un mouvement ascensionnel partant, dans la partie inférieure, des personnages de l’Ancien Testament, pour aboutir, dans les arcs et la lunette, aux scènes du Nouveau Testament. Debout sur deux lions stylophores, Adam et Ève, nus et craintifs, flanquent le portail à la base. Les piliers intermédiaires semblent reposer sur les épaules pliées des Juifs et des Turcs, les indésirables de l’époque, alors que plus haut, une bizarre ménagerie de créatures contorsionnées sert de corniche à l’allégorie des saisons. La lunette est composée de deux scènes, bordées de tentures : la Nativité et le Bain de l’Enfant Jésus. L’arc qui encadre la lunette est décoré de scènes de la vie du Christ. »
Commentaires sur ce texte
Notons d'abord la phrase : « La cathédrale a été construite sur les fondements de la cathédrale paléochrétienne détruite par les Sarrasins en 1123, pendant le sac de Trogir ».
Il faudrait avoir des précisions là-dessus, mais nous devons d'abord dire qu'un « sac » ne correspond pas forcément à une destruction. Chaque jour, des immeubles sont saccagés à la suite de pillages. Certains - mais pas tous ! - peuvent être incendiés. Rares sont ceux qui sont irrécupérables et doivent être détruits jusqu'aux bases. Nous sommes habitués à lire des phrases analogues à celle ci-dessus, dans lesquelles on apprend qu'une ville a été prise par un envahisseur barbare (goth, normand, arabe) et ses églises systématiquement détruites. Et nous avons des doutes sur ces affirmations lorsque nous constatons que des monuments plus anciens que ces églises n'ont pas été détruits.
Faisons le rapprochement entre la phrase précédente et celle-ci : « Les travaux sur le bâtiment actuel commencèrent en 1213... ». Super ! Pendant 90 ans, les habitants de Trogir ne sont pas allés à la messe tous les dimanches ! Il s'agit là bien sûr d'un trait ironique destiné à démontrer qu'il y a eu continuité du culte durant ces 90 ans. Et donc un lieu pour célébrer ce culte (probablement la basilique paléochrétienne conservée après le sac de la ville par les sarrasins).
Dernière remarque : «Les travaux sur le bâtiment actuel commencèrent en 1213 et se terminèrent au XVIIe siècle. ». Dans ce cas, l'erreur serait plutôt d'ordre sémantique. Lorsqu'un projet est mis en chantier, ses concepteurs veulent le voir réalisé au cours de leur vie. Et donc, si les travaux sur le bâtiment actuel ont vraiment commencé en 1213, ils ont été terminés au plus tard en 1240. Bien sûr il a pu y avoir exécution d'autres travaux ultérieurement, mais c'étaient d'autres projets avec d'autres décideurs. Nous pensons en particulier que l'ouvrage Ouest et le portail roman font partie d'une autre campagne de travaux que celle de la nef. Et la date de 1213 pourrait correspondre à cette campagne de travaux sur l'ouvrage Ouest.
Concernant la datation de la nef, nous reprenons ce que nous avons écrit précédemment : l'existence de piliers de type R0000 et d'un plan d'ensemble très typique (nef triple avec trois absides en prolongement) sont caractéristiques d'une grande ancienneté. À cela nous ajoutons l'absence de transept (non signalée précédemment), elle aussi caractéristique d'ancienneté pour une église de cette importance.
Seule petite remise en question par rapport à l'analyse précédente : les arcs reliant les piliers sont doubles, ce qui serait signe d'une moins grande ancienneté que celle précédemment annoncée (image 5). Cependant, l'implantation de ces arcs sur les impostes des piliers (image 5) fait apparaître un problème de continuité. Y aurait-il eu une autre campagne de travaux dans la pose de ces arcs ?
Nous sommes cependant conduits à réévaluer la datation de la nef : an 800 avec un écart de 200 ans.
En ce qui concerne l'ouvrage Ouest : an 1200 avec un écart de 50 ans.