La basilique euphrasienne de Poreč
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Nous avons visité cette basilique en avril 2024. La plupart
des images de cette page ont été prises lors de cette visite.
Les autres sont extraites de galeries d'images d'Internet.
Pour cette étude, outre l'analyse des sculptures et les
textes de Wikipédia, nous avons consulté l'ouvrage suivant,
«
LES
PLUS ANCIENNES ÉGLISES D'ISTRIE »,
par
Lucijan FERENČIC. Bien que ce texte soit très documenté,
nous avons eu beaucoup de difficultés à le lire, sa
traduction du croate au français par un traducteur
automatique étant très décevante. Nous avons surtout
apprécié et essayé de mémoriser les explications de notre
guide francophone Tamara Haber.
Examen de l'architecture
La vue par satellite de l'image
2 de la page précédente, l'image
1 de la façade Nord et le plan de l'image
3 permettent d'envisager que l'on est présence
d'une église à plan basilical directement héritée des
basiliques romaines (c'est un peu moins apparent en ce qui
concerne l'image 2 de
la façade Sud).
Cette impression est confirmée par l'analyse de l'intérieur
(images 4, 5 et 6).
De l'héritage romain, on relève que la nef est à trois
vaisseaux charpentés, avec un vaisseau central plus élevé et
en décrochement par rapport aux vaisseaux secondaires. Cette
surélévation a permis l'ouverture de fenêtres supérieures
afin d'éclairer la nef.
D'ores et déjà, ces élément caractérisent une ancienneté de
l'édifice. Une ancienneté remontant à l'antiquité : les
piliers porteurs du vaisseau central sont des colonnes
cylindriques en marbre ; comme à Ravenne, on a un système de
doubles chapiteaux, il n'y a pas de transept, les absidioles
Nord et Sud sont insérées dans la maçonnerie.
Nous avons dit que ce type d'église devait remonter à
l'antiquité. Mais de quelle antiquité s'agit-il ?
Manifestement de l’antiquité romaine (toutes les
inscriptions sont en latin). Mais plutôt vers la fin de
cette période, le VIe ou VIIe siècle,
quand on voit apparaître des chevets proéminents.
Qui
était Euphrasius ?
Selon la traduction du texte de Lucijan FERENČIC : « Les
informations historiques sur la vie d'Euphrasius sont très
rares. D'une lettre que le pape Péagonius Ier
(556-561) envoya à l'Euphrasie narzite, on conclut que
l'évêque Euphrasius est né en Thrace. [...] Lorsqu'il
devint évêque de Porec, il trouva, comme le mentionne
l'inscription dans l'abside de la mosaïque, une église
épiscopale très pauvre (templum “exiguum”),
instable (magnoque carens tunc forma metallo),
mal construite, comme en témoignent les colonnes restantes
avec chapiteaux, et dans un état de ruine (sed
meritis malo tantum pendebat putria tecta).
C'est pourquoi Euphrasius décida immédiatement de la
démolir (labentem melius sedituras deruit sedes) et
d'en construire une nouvelle. Il n'est pas possible de
déterminer l'année exacte du début et de la fin de la
basilique. Selon Deperis et des archéologues récents,
c'était entre 543 et 554. »
Une grande inscription incrustée dans la mosaïque de
l'abside témoigne de la construction de la basilique,
rappelle la précédente église endommagée, mais pas l’année
de cette magnifique intervention :
« HOC FUIT A PRIMIS TEMPLUM QUASSANTE RUINA TERRIBILIS LAPSU
NEC CERTO ROBORE FIRMUM EXIGUUM MAGNOQUE CARENS TUNC FORMA
METALLO SED MERITIS TANTUM PENDEBANT PUTRIA TECTA ! UT VIDIT
SUBITI LAPSURAM PONDERAM SEPT PRECIBUS ET FIDEI FERVENS
SACERDOS EUFRASIUS SANCTORUM CUNCTAM PRAECESSIT MENTRE
RUINAM LABENTES MELIUS REDITURAS DERUIT SEDES FUNDAMENTA
LCCANS EREXIT CULMINA TEMPLI AVION QUA CERNIS NUPER VARIO
FULGORE PERFICIENS COEPTUM ÐDECORAVIT MUNERE MAGNO AD
ECCLESIAM VICITANS SIGNAVIT NOMINE CHRISTI CONGAUDENS OPERI
SIC FELIX VOTA PEREGIT »
En voici la traduction par Lucijan FERENČIC : « Ce
temple était autrefois si délabré qu'il était menacé de
démolition. Il n'était pas non plus fortifié avec du chêne
; il était petit et sans grosses pierres pour les murs. Le
toit pourri pendait, menaçant de tomber. Lorsque le pieux
prêtre Euphrasius vit que le bâtiment était sur le point
de s'effondrer, il le détruisit pour le rendre plus beau.
Il construisit le temple depuis la fondation jusqu'au
sommet, qui, comme vous pouvez le voir, a récemment brillé
de nombreuses couleurs. des pierres. ???? a achevé les
travaux, a organisé une grande cérémonie, a appelé les
fidèles à l'église et l'a consacrée au nom du Christ. Ce
faisant, il a réalisé ses souhaits. »
Remarque :
Nous avons essayé un traducteur automatique du latin au
français mais il n'est guère concluant. Quant à nos propres
connaissances en latin, autant dire qu'elles sont très
limitées.
L'accès au chœur n'étant pas possible, nous n'avons pas pu
voir cette inscription. Par contre, nous avons pu admirer
(mais de loin) les très riches mosaïques.
Image 7 :
Mosaïque d'une absidiole. Le Christ, reconnaissable à son
nimbe crucifère, est représenté comme un jeune homme, voire
un adolescent. Il impose ses mains sur la tête de deux
saints.
Images 8 et 9 :
Mosaïque de l'abside principale.
Image 10 :
Mosaïque du cul-de-four de l'abside principale. La Vierge
est représentée tenant l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Elle
est entourée, à gauche de Saint Maur et d'un ange, et à
droite, d'un ange et d'un saint non identifié. Au dessus
d'elle, une main présente une couronne. Nous ne sommes pas
certains que toute la scène soit d'origine. On a en effet vu
que, concernant les mosaïques de Ravenne, certaines scènes
avaient été changées. Par ailleurs, il nous semble
impossible que depuis plus de 1400 ans, cet ensemble de
mosaïques ait pu rester intact. Il y a eu de
nécessaires restaurations. Nous évoquons ici une possible
modification. Elle concerne l'Enfant Jésus. Nous avons
constaté qu'il y avait eu au cours des siècles une prise en
compte progressive de l'Enfance de Jésus, avec des épisodes
privilégiés par rapport à d'autres. Ainsi l'Adoration des
Mages, devenus sans que la Bible en parle, des Rois, semble
avoir eu plus d’importance que la Nativité ou l'Annonce aux
Bergers. Nous avons aussi constaté que les premières images
de Vierges à l'Enfant, les Vierges dites romanes, avaient la
même pose statique que l'on voit ici : des vierges assisses,
rigides, sans aucun geste d'affection. Et ce, à la
différence des vierges gothique, tendres et souriantes. Mais
c'est surtout l'Enfant Jésus qui surprend dans ces images.
Son visage n'est pas celui d'un bébé joufflu, mais plutôt
d'un enfant de 5 ou 6 ans, voire d'un adolescent ou d'un
homme jeune. Nous avons envisagé la situation suivante. Ces
Vierges à l'Enfant seraient en fait des Vierges de
l'Assomption. Au moment de son Assomption dans le Ciel, la
Vierge Marie aurait laissé sa succession aux apôtres. Et les
successeurs des apôtres sont les évêques. En conséquence,
ces anciennes représentations de la Vierge Marie ne seraient
pas des Vierges à l'Enfant Jésus, mais Marie, assise sur le
trône pontifical (à la fois céleste et pontifical),
présentant à tous l'évêque qui lui succède. Dans le cas
présent, nous avons deux indices à l'appui de cette thèse :
l'église est dédiée à Notre Dame de l'Assomption, la tête de
l'Enfant Jésus est sous-dimensionnée par rapport au reste du
corps, lequel corps est vêtu comme celui d'un adulte.
Image 11 : Partie
gauche de la mosaïque du cul-de-four. On distingue, en bas à
gauche, une partie de l'inscription citée ci-dessus
commençant par « HOC FUIT A PRIMIS TEMPLUM ... », et en bas
à droite, le haut du ciborium
portant une mosaïque avec l'ange de l'Annonciation.
Image
12 : Détail de l'image précédente, image
redressée pour une meilleure lisibilité.
On y voit successivement, et de gauche à droite :
– un homme non auréolé vêtu de blanc avec à gauche
l'inscription CLAVDIVS ARC.
– un enfant non auréolé vêtu d'or avec l'inscription
EVFRASIVS FIS ARC.
– un homme non auréolé vêtu de gris avec l'inscription
EVFRASIVS EPS.
– un homme auréolé vêtu de blanc avec l'inscription SCS
MAVRVS.
Notre guide Tamara Haber nous a expliqué que ces quatre
personnages représentaient Claudius, frère d'Euphrasius,
archidiacre, son fils, puis l'évêque Euphrasius et enfin
Saint Maur. Les légendes voisinant avec les personnages
confirment ce discours, hormis l'idée selon laquelle le
jeune Euphrasius pourrait être le fils d'Euphrasius et non
son neveu. On note que Euphrasius fils est aussi archidiacre
comme l'est Claudius. On remarque les cadeaux que ces
personnages apportent à Marie (un livre sacré par Claudius,
des calames d'étudiant par Euphrasius fils, une église par
l'évêque Euphrasius, une couronne de lauriers par Saint
Maur).
Le cadeau d'Euphrasius n'est pas une église mais son église,
sa basilique. Il faut comprendre qu'au Moyen-Âge, la
technique des plans d'architecte (avec diverses vues, de
face, de profil, en coupe, en perspective) n'était pas au
point bien que les architectes ou maîtres d’œuvres aient
très certainement construit des plans pour leur propre
usage. Mais ce n'était très certainement pas le cas des
donneurs d'ordre, ceux qui finançaient les projets. Pour
ceux-là, il fallait présenter des maquettes en modèle
réduit. C'est sans doute là l'origine des « chefs d'oeuvre »
des compagnons maçons. Nous pensons qu'Euphrasius présente
la maquette de la basilique qu'il a fait construire.
Image 14 de la
partie supérieure de la mosaïque. Selon notre guide, toute
la partie située au-dessus du trait horizontal rouge
représentant le Christ entouré des apôtres ne serait pas
d'origine. Remarquer la représentation de l'Agnus Dei au
sommet de l'arc triomphal. À l'inverse d'autres
représentations probablement postérieures, il n'est pas
traversé par une croix pattée hampée.
Image 16 : Restes
d'une mosaïque de pavement. Le nom du mécène qui l'a fait
poser est indiqué. Le décor est fait de nœuds de Salomon et
de croix pattées.
Image 17 : Autres
restes d'une mosaïque de pavement. On constate qu'il y a
deux couches successives de pavement. Et ces couches sont
situées sous le sol actuel.
Images
de 18 à 25
Ensemble de « chapiteaux doubles » caractéristiques du «
style de Ravenne ». La plupart des chapiteaux supérieurs ne
portent qu'un seul petit décor, un disque circulaire portant
des lettres gravées : le même dessin pour tous. Il s'agirait
du monogramme d'Eufrasius. Nous avouons notre perplexité car
nous ne reconnaissons pas dans ce monogramme les lettres du
mot EVFRASIVS.
Autre difficulté : on s'attendrait à ce que les décors des
chapiteaux soient tous parfaitement identiques comme dans
les temples romains, soient tous différent comme dans les
églises romanes. Or on peut voir dans ces chapiteaux trois
modèles. Et pour l'un au moins, les décors sont parfaitement
identiques, non seulement entre chapiteaux mais pour chaque
face du chapiteau. Il en est ainsi pour les chapiteaux des images 18, 21, 23 et 25.
On trouve aussi des chapiteaux analogues à ceux de l'atrium
mais différents entre eux et différents de ceux de l'atrium
(images 19 et 24) ;
un autre de type corinthien (image
20), et un autre faisant penser au baroque rococo (image 22).
Notons que l'intrados des arcs côté Nord est agrémenté d'un
riche décor stuqué (rosaces, feuilles d'acanthe, oiseaux
divers, images 5 , 25, 26
et 27).
Les panneaux des images
28 à 35 clôturent le chœur. Nous ignorons si ces
panneaux ont été sculptés dans ce but (clôturer le chœur
actuel) mais c'est peu probable car ils sont de dimensions
différentes. Nous pensons qu'ils ont été utilisés en
réemploi. Peut-être récupérés sur d'anciens chœurs ? Plus
probablement ce seraient des faces avant de sarcophages
antiques.
Image 28 :
Panneau à décor de spirales. Un examen plus attentif montre
que ces spirales sont des pampres de vigne qui jaillissent
d'un canthare. Mais il y a plus, car les lignes semblent
dessiner deux oiseaux encadrant le canthare. Nous ignorons
si ce tracé est volontaire ou le fruit du hasard, mais la
présence avérée du canthare fait immédiatement penser au
thème des « oiseaux au canthare » maintes fois présent sur
notre site.
Image 29 :
Panneau portant une croix latine à branches à bords évasés.
Image 30 :
Panneau portant deux croix latines à branches à bords évasés
encadrant une croix à six branches.
Image 33 : On retrouve le panneau de l'image 28 mais la décoration centrale (peut-être une croix à six branches) a disparu.
Image 34 : On retrouve le panneau de l'image 28.
Image 35 : Panneau constitué de deux pièces séparées. Nous ne sommes pas certains que les deux pièces proviennent d'un seul panneau. En effet? il devrait y avoir symétrie parfaite des deux animaux. Toujours est-il que la pièce de gauche devait à l'origine faire partie du thème « deux cerfs encadrant un canthare ».
Image 36 : Sarcophage situé dans la cour d'un musée extérieur à l'enclos. On y voit la représentation d'un triplet (deux arcs semi-circulaires encadrant un fronton triangulaire). Nous pensons qu'il existe un symbole sous-jacent à cette représentation? mais nous ignorons lequel.
Importance
du monument
Il faut savoir que nous attendions depuis longtemps une
telle visite. En effet notre étude porte presque
essentiellement sur l'architecture des monuments et
l'iconographie des objets qu'ils contiennent. Nous sommes
très peu attentifs aux documents écrits traduits par des
historiens locaux, car nous avons relevé beaucoup de
contradictions entre les interprétations qui ont été
apportées à la suite de leur lecture. Nous attendions donc
de disposer d'éléments sûrs. Et c'est ce qui se passe avec
la mosaïque de la basilique euphrasienne de Poreč. Non
seulement le texte est clair ; cette basilique a été
construite par l'évêque Euphrasius sur les ruines d'une
basilique plus ancienne. Mais aussi l'évêque bâtisseur est
représenté dans ses vêtements d'époque en compagnie de son
frère et de son neveu (ou de son fils). Toutes ces
précisions constituent un élément d'authenticité. En
conséquence, on peut dater le style d'architecture aux
alentours du VIe siècle. Il faut bien comprendre
qu'il y a là quelque chose de nouveau qui entre en conflit
avec la pratique habituelle. Car tous les spécialistes
s'accordent à dire que cette église date du VIe
siècle. Et ils le font parce qu'il y a la mosaïque de
l'abside. Imaginons un instant qu'il n'y ait pas cette
mosaïque. Quelle datation proposeraient-ils ? Le XIe
siècle ! Soit un demi millénaire après. C'est en tout cas ce
que nous verrons dans les pages suivantes. De nombreuses
églises semblables à celle-ci sont toutes datées du XIe
siècle (hormis les églises en ruines : si on veut qu'une
église soit datée du VIe siècle, la meilleure
façon est de la détruire au ras du sol, de mettre en
évidence les fondations et de dire sous les applaudissements
:
« Il y avait là une église du VIe siècle »).
Mais des ambiguïtés
Dans la page précédente, nous avons parlé d'une basilique
pré-euphrasienne. La formulation pourrait faire penser que
c'est la basilique qui a précédé la basilique euphrasienne,
une basilique qui était trop vétuste, et qui a été détruite
par Euphrasius pour permettre la construction de l'autre. Le
raisonnement est logique mais il se heurte à une objection :
la basilique pré-euphrasienne décrite dans la page
précédente n'est pas au-dessous, mais à côté, de la
basilique euphrasienne. Il nous faut donc admettre qu'il n'y
avait pas une basilique ayant précédé la basilique
euphrasienne, mais deux : celle que nous avons étudiée et
celle dont les restes actuels (exemple : les mosaïques des images 16 et 17) sont
situés sous le sol de la basilique euphrasienne.
D'autres ambiguïtés ont été relevées ci-dessus : un
monogramme qui ne correspondrait pas aux lettres du mot
EVFRASIVS, des chapiteaux dépareillés. Par ailleurs,
quelques questions se posent. Le texte de l'inscription de
l'abside comporterait au moins une lacune. Il est possible
que Euphrasius n'ai pas assisté à la réalisation complète de
son œuvre et que ce soit un autre qui ait présidé à sa
consécration.
Nous devons aussi insister sur le fait suivant : il n'est
pas possible que cette église ait pu exister durant plus de
1400 ans sans avoir subi de dommages. Ne serait-ce que ceux
dus à la vétusté de l'ouvrage. Il y a eu très certainement
des colonnes fendues qui ont été remplacées, des arcs qui se
sont aplatis, des fenêtres murées. En conséquence, cette
église qui apparaît presque trop belle a été probablement
très restaurée au cours du temps.
Datation envisagée pour
la basilique euphrasienne de Poreč : an 550 avec un écart de
50 ans.