Conclusions sur les monuments d'Allemagne 

• Allemagne - Autriche - Suisse     •  Carte interactive d'Allemagne-Autriche-Suisse


L'étude des monuments d'Allemagne a été pour nous une surprise que nous n'attendions pas.

Nous nous sommes intéressés à l'art roman il y a un peu moins de 60 ans. À cette époque, nous pensions que l'art roman était réduit à un seul pays, la France, et une seule période, le XIIe siècle. Petit à petit, grâce à la lecture des ouvrages de la collection Zodiaque, nous avons réalisé que l'art roman s'était répandu à l'Europe, du Nord (Îles Britanniques, Scandinavie), au Sud (Espagne, Italie). Mais à la lecture des ouvrages sur cet art roman, nous restions convaincus du rôle prépondérant de la Bourgogne dans le développement de cet art, avec en particulier, Cluny. Concernant la datation, c'était le XIIe siècle qui revenait comme un leitmotiv.

Une sorte de chape était jetée sur l'art préroman. Le mot en lui même était parfois nié. D'un côté, les spécialistes définissaient l'art roman comme postérieur à l'an mille. Mais de l'autre, ils refusaient le mot de « préroman » car il n'existe pas d'art pré-gothique. En somme, il n'existait rien ou presque entre l'an 400 et l'an 1000. Certes, les arts mineurs (orfèvrerie, enluminures,…) étaient évoqués, mais l'architecture des édifices était réduite à une peau de chagrin : églises de très petites dimensions, monuments sortant de l'ordinaire comme le Baptistère de Poitiers. Les livres de la collection Zodiaque ont fait apparaître l'ancienneté de quelques monuments en Espagne (principalement dans les Asturies), en Irlande, ou en Allemagne. C'est en particulier en Allemagne que nous avons l'occasion de visiter deux d'entre eux : Lorsch en avril 2005, Aix-la-Chapelle en octobre 2006.

Ce n'est donc que très progressivement que nous avons découvert l'existence d'une architecture préromane. Au démarrage de ce site Internet, il y a 8 ans (soit dix ans après la découverte d'Aix-la-Chapelle) , nous avions identifié plus d'une centaine d'édifices susceptibles d'être antérieurs à l'an mille. Depuis, nous en avons découvert d'autres mais jusqu'à l'analyse systématique des monuments d'Allemagne ayant débuté il y a environ 9 mois, nous étions convaincus que la France occupait un rôle central. Pour nous, la construction d'édifices avant l'an mille avait dû s’arrêter au Rhin. Avec, aux alentours de l'an mille, des monuments exceptionnels comme les cathédrales de Mayence et de Worms.

Nous avons eu une première surprise : il pouvait y avoir des églises préromanes de l'autre côté du Rhin ! Mais d'abord, une des premières remarques que nous avons faites est que les villes allemandes situées sur le Rhin se trouvaient surtout sur la rive gauche du Rhin (côté Gaule et non Germanie). Cela vient probablement du fait que ces villes ont été créées en tant que garnisons militaires romaines dans une zone moins hostile susceptible d'être mieux défendue en cas de conflit. Cette remarque n'entre pas en conflit avec celle-ci : le Rhin, qui a souvent été décrit comme étant une frontière, un limes, entre les mondes romain et barbare germain, n'en était pas une. Certes, il pouvait servir de barrière lors d'une tentative d'incursion, mais dans le cas le plus fréquent de paix, il constituait une formidable voie de communication. C'est ce que nous avons essayé de montrer dans notre page intitulée « Conclusions sur la Rhénanie » qui s'efforce de regrouper les monuments de la vallée du Rhin de la Suisse aux Pays-Bas en passant par la France (Alsace) et l'Allemagne.



L'énigme des monuments de Basse-Saxe et Saxe-Anhalt

Nous avons donc découvert que le nombre de monuments de part et d'autre du Rhin était plus important que prévu. Mais nous avons eu une autre surprise. Elle apparaît sur la carte de l'image 1. Le parcours du Rhin, en bleu, se superpose aux drapeaux de nombreux monuments préromans. Tous les monuments voisins du Rhin ne sont pas indiqués : il manque ceux d'Alsace et du Benelux. Il faut donc imaginer un ensemble de monuments encadrant le Rhin et certains de ses affluents de Bâle au Sud, jusqu'au delta au nord Ouest. Si on envisage que le Rhin a joué un rôle de voie de communication, il doit logiquement y avoir une bande d'environ 100 km de large à l'intérieur de laquelle on trouve un grand nombre de monuments.


  • Notre surprise a été de découvrir qu'il y avait une autre bande à l'Est du Rhin et de ses affluents (image 1 ci-contre). Elle va bien au delà de la vallée du Rhin et traverse même la frontière avec l'ancienne RDA. Il est impossible d'imaginer que le Rhin a constitué une voie commerciale pour cette région où la présence de monuments se révèle importante.

    Cependant la carte de l'image 2 permet de réaliser qu'il existe d'autres fleuves de moindre importance que le Rhin, la Weser et l'Elbe, qui ont pu servir de voies de communication.


L'énigme des monuments de Bavière

On se serait attendu que la région de Bavière, éloignée du Rhin et des autres fleuves qui se jettent dans la mer du Nord, soit privée de monuments anciens (antérieurs à l'an mille). Or, la carte de l'image 1 montre qu'il n'en est rien. Nous en ignorons la raison. Cependant, sachant qu'au Sud de la Bavière, se situe la zone de contact entre Rhin et Danube, il est possible que cette zone ait constitué un point d'échanges entre la Mer du Nord et la Mer Noire. Nous voyons une confirmation de cette idée par ce texte d'Éginhard concernant un projet de Charlemagne en l'an 793 : « Il était alors convaincu que, s’il pouvait creuser un canal capable de porter bateaux, entre les fleuves du Reduitz et de l’Almone, dont l’un joint le Main et l’autre le Danube, on naviguerait commodément du Danube dans le Rhin. Aussitôt il vint dans ce lieu avec toute sa cour, y réunit une grande multitude, et passa toute la saison de l’automne à faire poursuivre cette œuvre. Le canal fut donc creusé sur deux mille pas de longueur, et trois cents pieds de largeur, mais en vain, car la continuité des pluies et l’inconvénient d’une terre marécageuse, déjà imbibée d’eau par sa nature, empêchèrent cet ouvrage de s’achever. ».
Le canal Rhin-Main-Danube a été finalement construit, mais beaucoup plus tard, car inauguré en 1992. La portion de canal entre les deux rivières, la Rednitz, sous-affluent du Rhin, et l'Altmühl, affluent du Danube, serait de 34 km.


  • Ce texte, peu susceptible d'avoir été inventé par Éginhard, même s'il peut y avoir quelques exagérations, montre tout l'intérêt que pouvait représenter pour le royaume franc la liaison entre Rhin et Danube, et donc l'importance du commerce fluvial et maritime. Il montre aussi l'importance des grands travaux. Car même s'il y a exagération de la part d'Éginhard et un défaut d'évaluation de faisabilité du chantier de la part des ingénieurs de Charlemagne, on doit admettre que la mise en chantier a dû mobiliser beaucoup de moyens. Et on comprend mal que les historiens modernes ayant pris connaissance de ce projet presque pharaonique, aient ignoré ou négligé la construction au même moment d'églises de grandes dimensions.


L'énigme de l'absence de monument dans d'autres régions


On constate une absence presque totale de monuments dans des territoires de grande superficie : le Schleswig-Holstein, le Nord de la Basse-Saxe, le Mecklembourg ; le Brandebourg, la Saxe, la Thuringe, l'Est du Bade-Wurtemberg. Nous en ignorons la raison, ou plutôt les raisons car elles peuvent être multiples. On constate en effet que plusieurs de ces régions (le Mecklembourg, le Brandebourg, la Saxe, la Thuringe) se situent dans l'ex RDA. Ces régions ont pu être négligées pendant l'ère communiste. Pour le Schleswig-Holstein, la ressemblance des monuments avec ceux du Nord des Pays-Bas ou du Danemark fait envisager une communauté de comportements (à l'origine utilisation du bois, puis de la brique). Il nous est plus difficile d'expliquer cette absence de monuments en ce qui concerne le Bade-Wurtemberg. Il faut cependant observer que la présence des monuments est vérifiée à partir de petits effectifs qui ne constituent pas une base statistique convaincante. Ainsi, il est possible qu'une région ait fait l'objet d'une étude très poussée grâce à une équipe dynamique alors qu'une autre en ait été privée.

Il existe enfin une autre explication de l'absence de monuments antérieurs à l'an mille, dans la partie Est de l'Allemagne, et très probablement, passée la frontière, dans les pays à l'Est de l'Allemagne. Nous pensons que la cause en est la presqu'île du Jutland. Cette presqu’île avec les îles de Fionie, Seeland, Lolland et Falster, constitue à la fois un point de barrage et un point de passage entre la Mer du Nord et la Mer Baltique. Nous pensons qu'avant l'an mille, les Danois contrôlaient cette zone de détroits. Il devait y avoir deux zones d'échanges, la Mer du Nord et la Mer Baltique, indépendantes entre elles. Plus tard sans doute, il n'y aura plus qu'une zone avec la création de la Ligue Hanséatique. Les bâtiments de commerce pourront alors relier les ports de la Mer du Nord à ceux de la Baltique. Mais auparavant, le Danemark devait assurer la séparation. Il s'agit là bien sûr d'hypothèses fragiles qu'il conviendra de vérifier par un examen plus ciblé des monuments d'Europe de l'Est.



Des monuments antérieurs à l'an mille

Notre surprise a été aussi grande de découvrir de l'autre côté du Rhin des églises préromanes. Nous étions restés dans l'idée couramment admise que la pénétration du christianisme s'est opérée d'une façon très lente. Et cette idée était en grande partie confortée par la rareté des églises romanes en Allemagne, la rareté … et l'archaïsme. Car nous avions constaté à partir des quelques documents dont nous disposions que ces églises d'Allemagne, qualifiées de romanes (du XIIe siècle!), étaient peu représentatives de l'art roman (absence de chapiteaux sculptés hormis des chapiteaux cubiques très peu ornés, nefs charpentées, absence de piliers cruciformes, …). Mais cela se passait avant nos travaux sur les églises de Béziers et de sa région où nous avons repéré les mêmes traces d'archaïsme et les avons attribuées à un art préroman. Notre recherche sur les églises d'Allemagne nous a permis de comprendre ce qui s'est passé. Les églises qui ont été qualifiées de romanes sont en fait des églises préromanes (ou plutôt initialement préromanes et transformées par la suite par voûtement et adjonction de corps de bâtiments). L'absence d'églises romanes se justifie pleinement. Puisqu'il y avait des églises préromanes, il n'était pas nécessaire d'en construire de nouvelles.

En fait, la découverte de ces églises d'Allemagne nous a permis de comprendre un peu de ce qui s'est passé en France. La christianisation a accompagné une colonisation (ou une exploitation des terres riches). Les églises nouvelles ont été construites d’abord dans ces zones en expansion. Exemples : le Bas-Languedoc pour la France, la Vallée du Rhin pour l'Allemagne. Les églises romanes, plus tardives, ont été construites dans des zones mises en culture ultérieurement, comme le Cantal en France.



Contribution à une histoire monumentale du Premier Millénaire

Le titre ci-dessus peut étonner. Il veut traduire l'idée suivante : à savoir qu'une histoire peut être racontée par celle de ses monuments. Chaque monument a son histoire. L'ensemble des monuments rassemblés en un même lieu raconte une histoire : non seulement l'histoire de ces monuments mais celle du lieu. Nous connaissons cela depuis longtemps en ce qui concerne la préhistoire et la protohistoire. Ces mots définissent des peuples qui n'ont pas d'histoire. Lorsqu'ils ont été créés, on pensait que l'histoire était révélée seulement par des textes écrits. On a compris plus tard que les monuments que ces peuples avaient construits révélaient une histoire. Ainsi, un menhir n'est qu'une pierre isolée. L'ensemble des menhirs de Carnac dans le Morbihan nous révèle quelque chose d'un peuple ignoré, ne serait-ce que des questions du style : « Pour quelles raisons ont-ils fait cela ? ». Mais, de même que l'histoire des monuments est révélatrice en préhistoire ou en protohistoire, elle doit être aussi révélatrice pour des périodes dites historiques, comme celle du premier millénaire de notre ère. Il faut bien comprendre que les textes historiques du Premier Millénaire qui ont été conservés sont à la fois très partiels et très partiaux. Nous avons une connaissance très imparfaite de ce qui s'est passé. En ce qui concerne la période dite des Grandes Invasions, de l'an 400 à l'an 1000, tous les historiens actuels nous en donnent une image très négative de guerres, de massacres, de famines, d'épidémies. Or, si on fait un décompte précis des événements qui nous sont révélés, on s'aperçoit qu'en 6 siècles, il y a eu moins d'événements douloureux que durant les 23 années du 3e millénaire. Alors, bien sûr, des événements douloureux, il y en a eu très probablement beaucoup plus que ceux révélés par les textes authentiques. Mais beaucoup moins que ce que nous laissent envisager les historiens actuels. Et surtout, il y a eu parfois de grandes périodes de paix au cours desquelles il y a eu construction de grands bâtiments.

Et grâce à l'histoire de ces bâtiments (ou plutôt de ceux qu'il nous en reste, car beaucoup ont disparu), on peut essayer de reconstituer l'histoire des peuples qui les ont construits.

Dans le cas présent, on peut mettre en doute certaines informations de la Vie de Charlemagne racontées par Éginhard. Ce dernier est ouvertement favorable à Charlemagne qui, à ses yeux, ne commet aucune erreur. Les erreurs sont faites par ses subordonnés et les crimes par ses adversaires. Il en est ainsi des Saxons hostiles à Charlemagne, affublés de tous les défauts., réputés être des païens. On devine cependant au travers du texte d'Éginhard que ces Saxons ne sont peut-être pas aussi sauvages qu'il les décrit. Ils sont organisés, possèdent des villes. Nous nous posons aussi la question : sont-ils païens comme le déclare Éginhard ? Certes, à plusieurs reprises, il nous dit que des Saxons qui s'étaient rendus, se sont faits baptiser. Mais nous ne savons pas quelles étaient les conditions du baptême à cette époque. Il est possible que les Saxons qui ont été baptisés chez les Francs aient été auparavant baptisés dans un rite saxon. D'ailleurs, on connaît bien cela à notre époque, puisqu'un chrétien peut avoir été baptisé dans le rite protestant ou dans le rite catholique romain, parfois même les deux, successivement.

Si nous mettons en doute cela, c'est parce que nous avons constaté la présence d'églises préromanes estimées du IXe siècle en Basse-Saxe et en Saxe-Anhalt. Et compte tenu de la méthode employée par Charlemagne pour les réduire, il nous semble que les Saxons auraient refusé de se voir imposer une religion qu'ils n'auraient pas adoptée auparavant, une attitude de refus qui aurait pu durer plus d'un siècle. Remarque : remettre en doute ne signifie pas contester totalement. C'est ce que l'on appelle le doute scientifique : la nécessité de remettre en question des certitudes émises auparavant, y compris par soi-même.



Une première réponse en matière d'histoire monumentale


Nous avons constaté que pour de nombreux monuments de Rhénanie à nef à trois vaisseaux initialement charpentés, le vaisseau central était porté, soit par des piliers à section rectangulaire de type R0000 (c'est le cas de ceux de la basilique Gross Sankt Martin de Cologne : image 3), soit par des colonnes cylindriques (c'est le cas de celle de la basilique Saint-Georges de Cologne : image 4). Par contre, pour la Saxe-Anhalt, et dans une moindre mesure, la Basse-Saxe, le vaisseau central est porté par un système mixte de piliers (alternance de piliers rectangulaires et cylindriques) ; exemple : la collégiale de Gernrode : image 5). Ce système mixte de piliers est associé au système architectural dit lié, qui est d'ailleurs défini comme étant « saxon ». Nous pensons qu'il est plus évolué et donc plus récent que le système classique. L'analyse des monuments permettrait donc de définir une chronologie dans le développement des régions. Nous pensons que la Rhénanie a été enrichie de monuments avant la Saxe. Où placer le règne de Charlemagne dans tout cela ? La question reste en suspens.