L'abbatiale bénédictine d'Alpirsbach
Nous n'avons pas visité cette église.
Notre étude de l'édifice s'est inspirée de pages d'Internet
(ex : Wikipédia) et de l'analyse de galeries d'images issues
d'Internet. Nous avons en particulier abondamment consulté
le site Internet http
: //romanische-schaetze.blogspot.com/ qui a recueilli
les images de plusieurs centaines de monuments. Notre site
traitant seulement du premier millénaire, nous n'avons
conservé que les monuments susceptibles d'appartenir à cette
période, mais ce site, dont le nom se traduit en français
par « Trésors
romans », est beaucoup plus riche en monuments et
nous en conseillons la lecture. Certaines images ci-dessous
sont extraites de ce site Internet.
La page du site Internet Wikipédia consacrée à cette église
nous apprend ceci (extraits) :
« Histoire. Fondation
Dans le cadre de la réforme grégorienne, des moines venus
de l’abbaye de Saint-Blaise (Sankt Blasien dans
le Bade-Würtemberg) s'établirent en 1095 dans cette partie
de la Forêt Noire. Le noyau primitif de l'abbaye dût être
un predium,
concession accordée aux frères dans le cadre du
défrichement du pays au Haut Moyen-Âge. [...] Ses
protecteurs furent les comtes Alwik von Sulz, Adalbert de
Zollern et le baron Ruodman von Hausen de Neckarhausen.
Elle fut consacrée par l'évêque de Constance le 16 janvier
1095. Ce même évêque, ainsi que l’abbé de Saint-Blaise,
Uton Ier, accordèrent aux frères le droit de
libre élection de leur propre abbé, ainsi que la propriété
et jouissance exclusive de leur domaine. Ainsi, le premier
abbé fut le frère Cunon, de Saint-Blaise. Dès 1099,
l’évêque de Constance y consacrait le premier oratoire en
pierre. En 1101, l'abbaye reçut la protection du pape
Pascal II, confirmée par l’empereur Henri V en 1123. En
1128, l'église fut elle-même consacrée par l'évêque Ulrich
II de Constance.
Au cours de ces premières décennies, l'autorité morale de
l’Abbaye de Hirsau s'imposa à la confrérie, dont les abbés
venaient de Hirsau. [...]
Architecture clunisienne
Au simple cloître avec un oratoire en charpente (1095),
succéda bientôt une église en pierre (1099), puis une
basilique à trois nefs au toit en terrasse (erreur
de traduction de Wikipédia ?)
avec transept, chœur et absides (1125–1133), qui fut
consacrée en 1130 à la Saint Nicolas. [...] »
Commentaires sur cette
première partie de texte
Nous relevons dans ce texte plusieurs propositions
apparemment contradictoires entre elles. Il n'y a cependant
pas de notre part une certitude absolue. Le texte nous dit
d'abord que l'abbaye d'Alpirsbach a été créée par des moines
venus de l'abbaye de Saint-Blaise située à un peu plus de
100 km, que le premier abbé venait de Saint-Blaise et que
l'abbé de Saint-Blaise a accordé dès le début des
libéralités au monastère d'Aspirbach. Il est donc difficile
d'imaginer que cette abbaye ait pu passer dans le même temps
sous la dépendance de l'abbaye de Hirsau située à une
soixantaine de kms de là, à l'opposé de Saint-Blaise. Une
telle opération est néanmoins possible, car il a pu y avoir
des transactions ou des contreparties financières dont les
traces auraient été perdues. La réflexion autour de cet
épisode qui nous est probablement connu à partir d'un seul
texte daté de 1095 met en évidence une erreur
d'interprétation que nous avons dénoncée à de nombreuses
reprises sur ce site Internet : à partir d'un seul document
« miraculeusement » conservé, alors que beaucoup d'autres
ont été perdus, on déduit une foule de conclusions. Ainsi,
dans le cas présent, la date de 1095 correspond à la fois à
la fondation d'une communauté, à son installation en un
lieu, à la consécration de ce lieu. Ce sont là trois actes
totalement différents : une communauté peut être fondée en
un lieu et ultérieurement installée en un autre lieu. La
consécration de certains bâtiments de ce lieu peut être
antérieure à l'installation de la communauté; ou postérieure
si la communauté se développe ultérieurement.
Une autre observation peut être faite. Elle concerne les
consécrations. Nous avons constaté que, dans de nombreux
cas, les consécrations étaient assimilées à des
inaugurations. Or le mot consécration
vient des racines latines « cum » et « sacrare ». Il traduit
le fait que l'objet contenant une relique sacrée est « aussi
sacré ». L'objet en question peut être un autel, un
reliquaire, un sarcophage, une crypte d'église ou l'église
elle-même. L'acte de consécration peut donc être multiple
pour un même lieu. C'est le cas ici. On apprend en effet
qu'il y a eu trois consécrations, en 1095, en 1128 et en
1130. Et il y en a eu sans doute davantage. La phrase « Le
noyau primitif de l'abbaye dût être un predium,
concession accordée aux frères dans le cadre du
défrichement du pays au Haut Moyen-Âge. » fait en
effet envisager qu'une communauté était installée en cet
emplacement durant le Haut Moyen-Âge (donc avant l'an
mille). Il y avait donc nécessairement une église qui a dû
être consacrée dès l'origine.
Poursuivons la lecture du site Internet
:
«
Le plan de l'abbaye s'inspire du schéma-type des couvents
bénédictins, tout en manifestant les traits
caractéristiques de la réforme clunisienne : style roman
archaïsant, simplicité et lisibilité du plan au sol,
prédilection pour le développement des surfaces unies à
l'intérieur comme à l'extérieur, abandon des concepts de
double-chœur, de crypte et de croisée d'ogives, décoration
fruste. Les canons en remontaient à la basilique de Cluny
(Cluny II, consacrée en 981).
La
révision de la liturgie avait relégué à un rôle mineur la
vénération des saints. Chaque prêtre devait
quotidiennement lire la messe, et devait pour cela
traverser l'église par les allées réservées aux prêtres.
Les principes de la Réforme de Cluny transparaissent dans
l'ordonnance de toutes les églises affiliées, avec une
séparation claire des rôles au sein du couvent. On
distingue ainsi trois espaces réservés chacun à une
fonction pendant les offices :
1.
Le sanctuaire, appelé « chœur» par les censeurs
clunisiens, était exclusivement réservé aux officiants.
Outre le maître-autel, il y a un autel dans chacune des
trois niches de l'abside principale de cet édifice massif,
et un autre autel surélevé, qui est une des particularités
d'Alpirsbach. La multiplication des autels dans l'abside
principale s'explique par les canons clunisiens, qui
stipulent que certaines messes, par ex. les requiem, ne
doivent pas être célébrées sur le maître-autel.
2.
À la croisée du transept, le grand chœur (chorus
major),
marquait l'espace réservé aux choristes.
3.
Suivait le petit chœur (chorus minor),
dans la travée Est de la nef, marqué par une colonnade
(opposée aux autres colonnes) et séparée de la nef par une
tribune de bois où les moines malades, blessés ou
particulièrement âgés, pouvaient s’asseoir pour assister à
l’office. Les ailes du transept étaient réservées aux
frères convers.
Les
tours se dressent à l'extrémité Est du transept, et
viennent flanquer le sanctuaire (tradition souabe),
marquant une séparation entre l'espace liturgique et le
recueillement. Les autels en niches de l'abside
intermédiaire, fermée en demi-lune (comme à Hirsau) sont
surmontées par une sorte de tribune supportant un
quatrième autel, à l'Ouest du narthex couvert en terrasse.
La hauteur sous voûte inhabituelle de l'espace intérieur
correspond à l'augmentation des proportions typique des
premières décennies du gothique, au début du XIIe
siècle. Les chapiteaux cubiques hors de proportion
rappellent la dilection des artistes souabes pour les
formes biscornues. [...] »
Commentaires sur cette
seconde partie de texte
Remarquons tout d'abord que cette partie de texte est
probablement directement inspirée par la lecture des règles
de l'abbaye de Cluny (Bourgogne/ France). Nous ignorions
jusqu'à présent l'existence d'un tel texte qu'il nous semble
important de connaître. Il nous faut cependant nuancer cette
importance. Car les renseignements qu'il peut nous apporter
dépendent probablement de la date de rédaction de cette
règle. En effet, Cluny, tout comme Alpirsbach, sont des
monastères bénédictins. L'ordre bénédictin a été fondé par
Saint Benoît de Nursie, mort en l'an 547. Ce serait Saint
Benoît qui aurait créé la première règle. Mais au fil du
temps, des sous-ordres bénédictins auraient été fondés, les
plus connus étant les clunisiens, les cisterciens, les
mauristes et les trappistes, chacun d'eux observant sa
propre règle. En conséquence, certaines des informations qui
nous sont ici données (interdiction d'utiliser le
maître-autel pour les messes de requiem, « La
révision de la liturgie avait relégué à un rôle mineur la
vénération des saints. ») peuvent être spécifiques
à une filiale bénédictine ou à une période temporelle.
Revenons à présent au premier paragraphe de cette partie de
texte : « Le
plan de l'abbaye s'inspire du schéma-type des couvents
bénédictins, tout en manifestant les traits
caractéristiques de la réforme clunisienne : style roman
archaïsant, simplicité et lisibilité du plan au sol,
prédilection pour le développement des surfaces unies à
l'intérieur comme à l'extérieur, abandon des concepts de
double-chœur, de crypte et de croisée d'ogives, décoration
fruste. Les canons en remontaient à la basilique de Cluny
(Cluny II, consacrée en 981) ». Après avoir
consulté le livre Bourgogne
Romane qui contient des renseignements sur Cluny,
nous convenons avec l'auteur que le plan d'Alpirsbach
correspond bien à celui de Cluny II. Mais il correspond à
celui de beaucoup d'autres églises indépendantes de Cluny.
Si bien qu'on ne peut pas parler d'une influence de Cluny.
Ajoutons à cela que, sur le plan de Cluny II, des dates sont
indiquées : 955 -965, pour le chœur et l’avant-chœur,
965-975 pour la nef, fin 981 pour le narthex. L'intérêt du
plan de Cluny est d'indiquer des datations de Cluny III :
1086-1097 pour le chœur et le transept, 1095 -1110 pour la
nef. Nous ne sommes pas certains de toutes ces dates qui
devraient être justifiées. Nous devons cependant remarquer
que les dates proposées pour la construction d'Alpirsbach
(1095-1130) coïncident avec celles de la construction de
Cluny III et non de Cluny II. Or Cluny III est nettement
plus évoluée que Cluny II ou Alpirsbach. Nous pensons que
deux siècles au moins les séparent. Si Alpirsbarch avait été
construite en même temps que Cluny III, son plan aurait été
analogue à celui de Cluny III (mais aux proportions plus
réduites) et non à celui de Cluny II.
Quels sont les éléments caractéristiques
de l'architecture d'Alpirsbach ?
Le plan (image 6)
est celui des premières basiliques paléochrétiennes. La nef
est à trois vaisseaux charpentés (images
7, 8 et 9 pour le vaisseau central, image
10 pour le collatéral Nord). Le vaisseau central
est porté par des colonnes cylindriques. Les arcs reliant
les piliers sont à plein cintre et à un seul rouleau. Il
nous faut cependant faire deux observations. D'une part, les
deux piliers de la nef voisins du transept ne sont pas
cylindriques, mais rectangulaires. D'autre part, l'ensemble
de la nef apparaît presque neuf. Il nous semble impossible
que cette nef ait pu subsister depuis plus de 1000 ans sans
qu'il y ait eu d'importants travaux de restauration. On le
sait déjà en ce qui concerne le collatéral Sud, qui a été
élargi et surmonté d'une galerie à l'époque gothique (image 5). Mais nous
pensons que des piliers de la nef, voire des pans de mur,
ont été remplacés durant les périodes Renaissance ou
Baroque. Ces transformations sont cependant invisibles,
placées sous d'épaisses couches de badigeon.
À partir du plan de l'image
6, nous
pouvons faire l'observation suivante : si on fait
abstraction du transept, il y a alignement des vaisseaux de
la nef avec les vaisseaux de l’avant-chœur. Qui plus est, il
semblerait que la largeur du transept soit égale à celle de
deux travées de nef. On envisage donc la situation suivante
: l'église primitive n'était pas pourvue d'un transept et de
l'ouvrage Ouest. Son plan était celui d'une nef à trois
vaisseaux avec trois absides en prolongement, l'abside
centrale étant semi-circulaire. Le transept aurait été
installé plus tard en remplacement de deux travées de nefs.
Plus tard encore, l’abside centrale aurait été prolongée par
une abside gothique. À l'occasion de l'aménagement du
transept et du chœur, on aurait construit une galerie
supérieure à claire-voie permettant d'assister aux offices (image 12).
À remarquer que cette galerie ou triforium
est absente sur les murs latéraux de la nef mais présente du
côté de l'ouvrage Ouest (image
8).
Image 13 :
Chapiteau de la nef. Sur les deux faces de ce chapiteau, on
retrouve à peu près la même scène : deux hybrides entourant
un masque (à gauche un homme, à droite un lion). Ces
hybrides dévorent (dents apparentes) deux appendices (ni des
oreilles ; ni des cornes) fixés sur les masques. L'image de
l'hybride dévorant est fréquente dans l'art roman. Nous n'en
connaissons pas la signification. Elle est traitée ici d'une
autre façon que celle que nous rencontrons plus au Sud. Le
masque occupe la partie centrale de la face du chapiteau
alors qu'ailleurs, il est dans les angles.
Image 14 : Autre
chapiteau. Le décor nous surprend un peu. Est-il authentique
? Notre connaissance dans l'art roman de Germanie est
insuffisante pour le prouver.
Image 15 : Base
de colonne.
Image 16 : Portail
de la basilique. Le tympan paraîssant « trop neuf », il est
possible que ce soit la copie d'un tympan plus ancien.
Image 17 :
Heurtoirs du portail précédent. Certains détails (stries
faisant penser à des tatouages sur les têtes animales,
entrelacs et volutes, cabochons) font penser à des ouvrages
d'orfèvrerie ou de ferronnerie du VIIe ou VIIIe
siècle. En tout cas, un très beau travail.
Image 18 :
Fresques d'une abside. Une crucifixion est représentée tout
au fond. Certains détails de cette crucifixion font penser à
une œuvre antérieure à l'an mille : les bras du Christ sont
horizontaux, il est vêtu d'un long pagne. Il est encadré par
la Vierge et Saint-Jean. À ses pieds, les deux soldats
romains porteurs de lances.
Datation
envisagée pour l'abbatiale bénédictine d'Alpirsbach
(église primitive dépourvue de transept) : an 800 avec un
écart de 200 ans.