Le westwerk de l'abbatiale de Corvey
Nous n'avons pas visité cette abbatiale.
Notre étude de cet édifice s'est inspirée de pages
d'Internet (ex : Wikipédia) et de l'analyse de galeries
d'images issues d'Internet. Nous avons en particulier
abondamment consulté le site Internet http
: //romanische-schaetze.blogspot.com/ qui a recueilli
les images de plusieurs centaines de monuments. Notre site
traitant seulement du premier millénaire, nous n'avons
conservé que les monuments susceptibles d'appartenir à cette
période, mais ce site, dont le nom se traduit en français
par « Trésors
romans », est beaucoup plus riche en monuments et
nous en conseillons la lecture. Certaines images ci-dessous
sont extraites de ce site Internet. De plus, nous avons pu
identifier un nombre important de monuments grâce au livre Westphalie
Romane de la Collecton Zodiaque,
écrit par Uwe Lobbedey.
La page du site Internet de l’UNESCO consacrée à cette
église nous apprend ceci :
« Le
bien est situé le long de la Weser, à la périphérie de la
ville de Höxter, où le Westwerk et la civitas furent
érigés entre 822 et 885 apr. J.-C. dans un environnement
rural encore largement préservé. Le Westwerk est l’unique
structure debout qui remonte à l’époque carolingienne,
tandis que l’ensemble de l’abbaye impériale d’origine est
conservé sous forme de vestiges archéologiques, dont une
partie seulement a été fouillée. Le Westwerk de Corvey
représente un des exemples les plus éminents de
l’architecture carolingienne. Il s’agit d’une création
authentique de cette période. De plus, l’articulation et
la décoration architecturales du Westwerk illustrent
clairement le rôle joué au sein de l’Empire franc par les
monastères impériaux, en assurant le contrôle territorial,
l’administration ainsi que la diffusion du christianisme
et de l’ordre politique et culturel carolingien dans
l’ensemble de l’Europe. [...]
Le
Westwerk de Corvey à Höxter sur la Weser est une des rares
structures carolingiennes dont les parties principales
aient été préservées et le seul exemple de massif
occidental de cette époque qui soit encore debout. Il
combine innovation et références à des modèles antiques à
un degré élevé. En tant que type de bâtiment, il a eu une
influence considérable sur l’architecture religieuse
occidentale aux époques romane et gothique. Corvey fut
l’un des monastères de l’Empire franc les plus influents.
Son rôle de missionnaire fut extrêmement important en ce
qui concerne les processus politico-religieux dans de
nombreuses parties de l’Europe. En tant qu’abbaye
impériale, Corvey exerça non seulement des fonctions
intellectuelles et religieuses concernant la conversion de
la Saxe et des zones voisines, mais eut également une
importance politique et économique en tant qu’avant-poste
de l’Empire franc à la limite du monde chrétien de cette
époque. Le hall d’origine voûté, qui est préservé, avec
des colonnes et des piliers au rez-de-chaussée, et la
salle principale entourée de galeries sur trois cotés à
l’étage supérieur, font de Corvey l’un des exemples les
plus saisissants de la Renaissance carolingienne. Cela
s’applique à la décoration artistique documentée d’origine
ornant les éléments qui existent encore au niveau du sol
et aux étages supérieurs, parmi lesquels des personnages
en stuc grandeur nature et des frises mythologiques
représentant le seul exemple connu de peintures murales
décrivant la mythologie classique avec une interprétation
chrétienne de l’époque carolingienne. La structure et la
décoration se réfèrent au monde des idées de l’époque
carolingienne, qui est devenu une partie essentielle de
l’histoire de l’Occident. Corvey est liée à des centres
culturels de l’Europe au travers de la tradition
historique et par le biais de la conception préservée de
l’édifice et de vestiges archéologiques extérieurs à
l’ancien Empire carolingien. Une tablette portant une
inscription provenant de l’époque de la fondation du
monastère mentionne le nom de la civitas de Corvey, qui
peut être identifiée comme la zone du monastère grâce aux
vestiges archéologiques. La ville désertée près du
Westwerk et de l’enceinte monastique conserve des traces
archéologiques d’un établissement très important du Haut
Moyen- Âge et du Moyen-Âge tardif. »
Le contenu de ce texte est, à tout le
moins, dithyrambique. On s'attendrait donc à ce que les
explications sur l'histoire et l'architecture du monument
ainsi que les images soient à la hauteur de cette
réputation. Or nous n'avons trouvé sur les diverses pages
d'Internet rien de précis sur l'histoire du monument. Quant
aux images, elles sont peu nombreuses ; quelques unes de
fresques (image 12),
aucune de stucs.
Pour trouver des renseignements plus précis sur l'histoire
du monument, il faut lire le livre Westphalie
Romane de la Collecton Zodiaque.
En voici des extraits :
« […]
Entre les IXe et XIe siècles,
l'abbaye de Corvey devient l'une des principales de
l'Empire. Son massif occidental (westwerk) s'est conservé
jusqu'à nos jours. Il s'agit en fait d'une antéglise
accolée entre 873 et 885 à une église abbatiale antérieure
et non d'une œuvre primitive. […]
Dans
une Saxe à peine conquise et récemment christianisée, on
fonde des communautés de clercs en même temps que les
sièges épiscopaux. Certaines de ces communautés reçoivent
visiblement des règles monastiques. Toutefois, dans un
premier temps, il n'y a pas d'abbaye autonome. C'est
pourquoi Charlemagne charge un de ses hommes de confiance,
Adalhard, abbé de Corbie en Picardie, de fonder une abbaye
dans l'Est. […] L'empereur
meurt avant que le projet ne voit le jour. Son fils Louis
Ier le Pieux bannit Adalhard en même temps que
d'autres conseillers de son père. […] Malgré
cela, en 815, une Nouvelle Corbie est fondée en un site
dont on ne connaît que le nom, Hethis. […] Les
moines envoyés là ne tardent pas à sombrer dans la misère,
si bien que l'on cherche un autre emplacement pour le
monastère. Après leur réhabilitation, Adalhard et son
frère Wala peuvent s'occuper d'une nouvelle fondation. Ils
trouvent un site approprié sur les rives de la Weser, près
de la colonie de Höxter. L'empereur en fait l'acquisition
pour l'abbaye. Le 6 août 822, les moines d'Hethis s'y
rendent, célèbrent l'office religieux et empoignent
piquets et cordeaux pour dessiner sur le sol le bâtiment
de l'église et des bâtiments conventuels. Le 25 août,
l'évêque de Paderborn, Badurad, vient leur rendre visite,
érige une croix à l'emplacement de l'autel et bénit le
lieu. La plupart des moines retournent alors à Hethis, à
l'exception de quelques uns qui se préparent à passer
l'hiver. Nous tenons tous ces détails de la
Translatio Sancti Viti,
rédigée au milieu du IXe siècle.
Le
véritable acte de fondation est établi en 823 par Louis le
Pieux à Ingelheim. […]
Afin de mieux remplir les devoirs incombant à son
monastère, Warin (un proche de l'empereur nommé abbé en
826) se rend dans le royaume franc pour y accueillir des
reliques de saints. Malgré ses relations à la cour, ses
premières tentatives sont vaines. Toutefois,..., l'abbé de
Saint-Denis,Hilduin,… offre le corps de Saint Guy (ou Vit,
martyr sicilien mort vers 304, 305). Ses ossements
reposaient depuis 756 à l'abbaye de Saint-Denis, près de
Paris. Le 13 juin 836, le convoi transportant le saint
atteint Corvey… Les anciennes chroniques de l'abbaye nous
renseignent également sur les dates importantes : 844,
consécration de l'église ; 857, chœur endommagé par la
foudre ; 873, pose des fondations du massif occidental ;
885, dédicace de celui-ci. »
Commentaires de ce texte
Nous devons d'abord relever la phrase : «
Dans une Saxe à peine conquise et récemment christianisée,
on fonde des communautés de clercs en même temps que les
sièges épiscopaux. » Nous pensons que cette phrase
est le résultat d'un « effet-carence ». Que signifie, selon
nous, ce terme d'»effet-carence ». Il s'agit d'un mécanisme
de l'inconscient qui, lorsqu'il y a carence d'une
information, fait que notre cerveau l’interpréte comme une
inexistence. Ainsi, par exemple, lorsqu'on est pris dans un
brouillard au point de ne pas voir à plus de 5 mètres, on a
tendance à s'imaginer qu'il n'y a rien après ces 5 mètres :
puisque je n'y vois rien, c'est parce qu'il n'y a rien. De
même, pour un historien , l'absence de texte historique peut
être interprété comme une absence d'histoire. Or tous les
peuples ont eu une histoire, et ce, même si cette histoire
n'a pas été racontée. Le peuple saxon, ici concerné, a eu
une histoire. Mais il semblerait qu'aucun document n'en
parle. Est-ce tout à fait un hasard ? S'il est vrai qu'il y
a eu des affrontements entre francs et saxons et que les
francs en sont sortis vainqueurs, ces derniers ont plus
favorisé la mémoire franque que saxonne. Ajoutons à cela que
plus on remonte dans le temps, plus les documents se
raréfient.
Les mots, « Dans
une Saxe à peine conquise et récemment christianisée
», sont sans ambiguïté. Ils nous invitent à croire que vers
l'an 820, la Saxe n'était que récemment christianisée. Mais
on sait qu'il y a eu bien avant cette date des évêques à
Cologne. Grégoire de Tours qui vivait vers l'an 580, soit
240 ans auparavant, nous parle de ses collègues de Cologne.
Et ses écrits nous laissent envisager qu'une bonne partie
des territoires entre Tours et Cologne, villes distantes de
680 km, était christianisée, du moins au niveau des élites..
Hors la distance entre Cologne et Höxter n'est que de 240
km. Il aurait fallu attendre plus de 200 ans pour qu'un
territoire situé à 240 km d'une ville christianisée soit à
son tour christianisé ? Avouons que c'est un peu fort.
Comprenons bien que nous ne cherchons pas à nier la phrase,
«
Dans une Saxe à peine conquise et récemment christianisée,
on fonde des communautés de clercs en même temps que les
sièges épiscopaux. », mais l'accepter pose plus de
questions que de vraies réponses.
Cela étant dit, la suite du texte est quant à elle, beaucoup
plus intéressante car elle nous révèle l'existence de la
Translatio Sancti Viti, rédigée au milieu du IXe
siècle. Il faudrait bien sûr reprendre tout ce texte afin de
vérifier les diverses assertions. Il semblerait cependant
que le récit des débuts de l'abbaye soit fiable à 90%. La
révélation est importante car on aurait pour une fois
la fondation d'une abbaye « ex nihilo ». Nous ne
cessons de faire la remarque suivante : la fondation d'une
abbaye ne coïncide pas forcément à la construction de son
abbatiale. En effet c'est une communauté humaine qui est
fondée, et non une construction de bâtiments. Et, bien
souvent, la communauté est fondée et installée sur des
bâtiments construits auparavant. Et l'exemple que l'on a ici
confirme cette idée. Reprenons le teste ci-dessus : « Le
6 août 822, les moines d'Hethis s'y rendent, célèbrent
l'office religieux et empoignent piquets et cordeaux pour
dessiner sur le sol le bâtiment de l'église et des
bâtiments conventuels. Le 25 août , l'évêque de Paderborn,
Badurad, vient leur rendre visite, érige une croix à
l'emplacement de l'autel et bénit le lieu. La plupart des
moines retournent alors à Hethis, à l'exception de
quelques uns qui se préparent à passe l'hiver. Nous tenons
tous ces détails de la Translatio Sancti Viti,
rédigée au milieu du IXe siècle. ». Les
terrains sont achetés avant 822 en vue de la fondation d'une
communauté. En août 822, les moines d'Hetis se déplacent
pour préparer leur installation. Durant l'hiver, ils
laissent quelques uns d'entre eux pour occuper le terrain et
peut-être surveiller les premiers travaux. Mais ce n'est
qu'en 823 que l'acte de fondation est établi. Entre temps,
les moines ont probablement eu toutes les garanties pour que
la communauté puisse fonctionner et se développer.
Ce qui est important pour nous est de savoir que, à partir
de l'an 822, l'abbatiale a pu être construite. La
consécration datée de 844 (soit 22 ans après les débuts de
construction, ce qui est acceptable, pourrait donc être la
consécration de l’église, dans son ensemble. Les autres
dates, « 873,
pose des fondations du massif occidental ; 885, dédicace
de celui-ci. » sont à réexaminer mais plausibles,
compte tenu de l'architecture de l'édifice (piliers de type
R0000, arcs
simples).
Les conséquences en vue
d'une datation
C'est la première fois que nous rencontrons une église aussi
bien documentée. Elle remet sur la sellette nos estimations
de datation. En fait, depuis les débuts de nos recherches,
nous avons attendu une telle rencontre. Notre méthode
d'estimation étant basée sur la seule analyse de
l'architecture, nous devions confronter nos résultats avec
des édifices datés par des textes. Mais jusqu'à présent,
nous n'avions pas trouvé de tels édifices. Avec le westwerk
de Corvey, il semble que ce soit le cas.
Quelle datation attribuons-nous à Corvey avec notre méthode
? Il semblerait qu'à l'origine, le westwerk de Corvey
s'apparentait à une nef à trois vaisseaux charpentés, avec
des piliers de type R0000
et des arcs simples et en plein-cintre. Initialement, nous
avions daté ce type de nef de l'an 750 avec un écart de 200
ans. Mais, après avoir remarqué que dans le Nord de
l'Europe, le nombre de ces nefs était plus important, nous
avons repoussé cette date d'un demi-siècle : an 800 avec un
écart de 200 ans. La datation de Corvey permettrait de
repousser à nouveau d'un demi-siècle : an 850 avec un écart
de 150 ans.
En conséquence, la datation par les textes de Corvey fait
décaler d'environ un siècle nos estimations de datation.
Mais, à l'inverse, cette datation de Corvey remet en
question la datation de toutes les églises à piliers de type
R0000 qui, jusqu'à
présent étaient datées du XIe ou XIIe
siècle.
Datation
envisagée pour le westwerk de l'abbatiale de
Corvey : an 850 avec un écart de 75 ans.