Les contraintes symboliques : les psychopompes  

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Les psychopompes sont des personnages associés à des mythologies qui accompagnent les âmes des défunts (par exemple Charon ou Orphée pour la mythologie gréco-latine).

Le titre de cette page est un peu restrictif pour une question se révélant de fait beaucoup plus complexe.


Le soleil meurt-il ?

Essayons de nous replonger dans la conception du monde tel que l'imaginaient les anciens : la terre est plate ; le ciel a la forme d’une demi-sphère et je suis au centre de cette sphère ; le soleil décrit un arc de cercle autour de moi ; chaque soir il disparaît de ma vue et si je cherche à savoir où il va;  je bute sur un obstacle infranchissable : la mer. Donc chaque soir le soleil plonge dans la mer. Et chaque matin il reparait de l’autre coté en sortant de la mer. Lorsqu’il plonge dans la mer, le soleil donne l’impression de mourir. Lorsqu’il s’élève au dessus de la mer, il donne l’impression de naître.

Il ne s’agit pas seulement d’une impression. Car le trajet du soleil a servi d’exemple à l’idée fondamentale de mort et de résurrection. Cette idée avait commencé à se développer avant même l’ère chrétienne. Et on sait que le pharaon Aménophis Akhenaton avait voulu imposer le culte du dieu solaire Aton. La religion chrétienne quant à elle n’est pas un culte dédié au soleil. La Bible n’en fait pas mention. Cependant il faut noter que des empereurs romains du IIesiècle comme Elagabal, qui a parfois été appelé Heliogabale (littéralement : cheval du soleil ), ont voué un culte à Apollon, dieu du soleil. Il est donc possible qu’il y ait eu syncrétisme entre les deux religions. Ou adoption par la religion chrétienne de certaines pratiques païennes qui ne risquaient pas de nuire au culte chrétien. Une de ces pratiques païennes pourrait avoir été l’adoration perpétuelle (il s’agit d’une prière effectuée à toute heure du jour ou de la nuit par des participants qui se relaient mutuellement). Par leur rythme régulier de prières durant toute la journée (matines, laudes, etc.), les communautés monastiques contemplatives renouvellent cette pratique. Et ce, alors que les textes sacrés chrétiens ne l’ont jamais proposée.


Le baptême chrétien

En étant plongé dans l’eau le soleil meurt. Il renait en sortant de l’eau. De même, quand le catéchumène est plongé dans l’eau du baptême, il est considéré comme mort. Il ressuscite en sortant de l’eau. Il nous faut envisager que, très certainement, aux tous débuts de la pratique du baptême, la mort et la résurrection étaient effectives. C’est-à-dire que lorsque le catéchumène était plongé dans l’eau, il y était maintenu jusqu’à perte de conscience. Puis après réanimation il était considéré comme ayant vaincu la mort.

Tertullien, qui écrit vers l’an 200, en parle mais pour certifier qu’il s’agit d’une accusation non fondée des païens à l’encontre des chrétiens. Son argumentation est d’ailleurs excellente : les chrétiens sont accusés de tuer des jeunes gens par noyade. En conséquence, on les pourchasse et on cherche à les faire avouer qu’ils sont chrétiens. Mais une fois qu’ils ont avoué on ne cherche pas à en savoir plus et, en particulier, on ne cherche pas à savoir quels crimes ils ont commis. Alors que, pour tout autre délinquant, l’enquête est poussée un peu plus loin.

En conséquence, il est peu probable que du temps de Tertullien le baptême ait causé la mort de catéchumènes. Mais Tertullien a écrit plus de 150 ans après les débuts du christianisme et il est fort possible que, aux tous débuts, il y ait eu des morts accidentelles par excès de zèle des baptiseurs. Par la suite la pratique aurait été mieux contrôlée mais le souvenir de ces morts aurait perduré.

Remarquons aussi que le baptême n’est pas une invention chrétienne puisque le premier baptiseur connu (il est fort possible qu’il y en ait eu d’autres avant lui) est Jean Baptiste, prédécesseur du Christ.

L’eau du baptême devient à la fois symbole de mort et de résurrection (durant la cérémonie des funérailles, le célébrant asperge le corps du défunt).


L’énigme du trajet du soleil

Entre le moment de la disparition du soleil à l’ouest et celui de son apparition à l’est, il décrit un trajet inconnu (du moins il l’était pour les gens de l’époque). Et ce trajet suscite beaucoup d’interrogations du style : s’il plonge dans l’eau pourquoi ne sort- il pas mouillé ?


Les égyptiens ont apporté un élément de réponse à cette question. Selon eux, la terre est entourée d’eau. Lorsque le soleil plonge dans la mer il atteint une sorte de barque qui, durant la nuit, le ramène de l’autre côté de la terre en contournant celle-ci. D’où, le jour venu, il peu repartir pour un nouveau cycle. Durant la nuit il emporte les âmes des défunts, et, en particulier celle du pharaon. C’est pour cette raison qu’il existe des barques sacrées à proximité des pyramides ou dessinées sur les parois des tombes (image 1).


Les mêmes égyptiens (mais peut être à une autre époque) ont une autre explication : ce n’est pas seulement le soleil qui tourne mais toutes les étoiles. Il faut donc s’imaginer que le soleil et les étoiles sont fixés sur une sorte de sphère qui tourne sur elle-même. Mais il doit bien y avoir quelque chose qui la fait tourner. Et là, une image s’impose, celle du scarabée bousier qui, constamment, fait rouler sa boule de bouse. Dans ce cas le scarabée devient un être symbolique intermédiaire entre Dieu et les hommes. (image 2) .

Cette hypothèse d’un scarabée intermédiaire entre Dieu et les hommes est confirmée par le texte « la Paix » d’Aristophane, écrit en – 421. Le personnage principal, Trygée, haut en couleurs, lassé des conflits continuels, décide de s’adresser directement aux dieux afin de libérer la Paix. Et il le fait en utilisant comme moyen de transport le scarabée bousier des égyptiens de préférence au Pégase ailé des grecs (sans doute pour s’éviter le reproche de se moquer des dieux).

Cependant, le moyen de transport du soleil durant son trajet nocturne le plus fréquent est le char tiré par un cheval, voire le cheval seul. On le trouve chez les grecs (Pégase, Phaeton). Ou chez les romains (les Dioscures, image 6). Mais surtout chez les celtes où il est présent sur des chars votifs (image 3) ou au revers des monnaies
(images 4 et 5).


Selon les religions grecques, romaines et celtes, durant la nuit le trajet du soleil est terrestre. Le soleil est tiré sur un char ou il est porté par un cheval. Dans son trajet nocturne, le char solaire emporte avec lui les âmes des défunts. Il est remarquable de constater que cette image du char solaire a traversé les siècles. On la trouve sur la tapisserie de la Création de Gérone (XIesiècle ?), sur un bas-relief du chœur de la cathédrale de Narbonne (XIVesiècle : image 8), sur les miniatures des Très Riches Heures du Duc de Berry (XVesiècle image 7). Sur cette dernière image, le char solaire est représenté à l’intérieur du demi-cercle. Avec habileté le miniaturiste n’a seulement dessiné que les contours du char comme s’il s’agissait d’un objet en verre, quasi invisible. Par contre le soleil est bien apparent, moins vif que celui de juin.

On peut penser que la charrette qui, durant la Révolution Française, menait les condamnés à la guillotine, constitue la dernière survivance d’une pratique ancestrale liée à la croyance en un « char des morts ».

Quant à l’Ankou (image 9), c’est ce personnage des légendes bretonnes qui traverse d’ouest en est et la nuit les landes bretonnes en prenant au passage les âmes des défunts ou les malheureux humains qui ont la malchance de le rencontrer.


L’Ankou est un personnage de légende. Dans de nombreux cas ces légendes ont été combattues par l’église catholique. Néanmoins, certaines pratiques de religions non catholiques ont été copiées ou adoptées. Il en est ainsi des saints psychopompes. Certains d’entre eux comme, en particulier, Saint Pierre, qui garde les portes du Paradis, sont cités dans le Nouveau Testament. Pour d’autres les diverses légendes se contredisent souvent et il est difficile de reconstituer l’authenticité de leur existence. Et puis il y a les anges ou les archanges qui, a priori, n’ont pas eu d’existence terrestre. Le plus connu de ces anges psychopompes est Saint Michel qui préside à la pesée des âmes.

Une attention toute particulière doit être portée à Saint Georges. Saint Georges de Lydda a probablement existé. Il serait mort martyr en l’an 303. Il a eu une très importante destinée puisque le nom de Géorgie a été donné à deux états. On lui attribue le fait extraordinaire d’avoir terrassé le dragon. Il est d’ailleurs possible que ce fait légendaire reflète un événement bien réel, le mot « dragon » devant être lu au sens figuré : « dragon de l’hérésie », « monstre de la méchanceté », « hydre de la jalousie ».

Mais l’essentiel n’est pas là. On constate que Saint Georges est à cheval (image 10). Et qu’il combat un dragon. Or le dragon, présent dans de nombreuses légendes, semble être lui aussi un être psychopompe. Dans ces légendes, il crache le feu, comme le soleil, il se jette dans la mer, toujours comme le soleil. Il est présent un peu partout. Dans le midi de la France, c’est le Drac. Ou encore la Tarrasque sur le Rhône (le mot « Tarrasque » viendrait peut-être de « Drac »). Chez les vikings, il a donné son nom aux drakkars dont les proues en forme de tête de dragon s’enfoncent impétueusement dans la mer.

C’est tout à fait par hasard, en cherchant des images sur Internet que nous avons découvert l’existence de processions équestres dans le pays Sorabe, à l’est de l’Allemagne. Sur l'image 11 on peut voir que la plupart des participants sont à pied; le prêtre, qui devrait les accompagner à pied, est installé sur un cheval. Et il porte le Saint Sacrement tout illuminé. N’y a-t-il pas là un rappel du cheval solaire ?

On retrouve dans l'image 12 une représentation vénérée cette fois-ci installée sur une charrette tirée par des chevaux


La fresque de l'image 13 fournit une représentation symbolique de la Terre qui semble être entraînée dans un mouvement de rotation par l’action des quatre anges qui l’encadrent (la forme de la croix laisse envisager une datation de peu antérieure à l’an mille).

Les images 14 et 15 sont aussi des images de processions (procession de la Fête-Dieu, procession du vendredi saint à Perpignan).

Souvent ces processions sont des circumambulations (on part d’un endroit donné pour revenir au même endroit). D’autres fois l’itinéraire part de l’ouest pour arriver à l’est.

Il faudrait décortiquer chacune de ces processions, religieuses ou profanes (carnaval) et, en particulier les plus anciennes, pour savoir s’il n’existe pas un sens symbolique caché lié à la marche du soleil. D’ores et déjà, un grand nombre de constatations permettent d’estimer que les coïncidences ne sont pas fortuites (exemple d’une de ces constations : le Poulain de Pézenas, animal totémique du Bas-Languedoc a le corps constellé d’étoiles) .

L’une des processions les plus intéressantes à décrypter serait la procession des vêpres avant les réformes de Vatican II. Au cours de cette procession le prêtre effectue un parcours à l’intérieur de l’église. Il porte la custode contenant l’hostie consacrée cachée sous un voile huméral (image du ciel) et se dirige vers l’autel. Arrivé à celui-ci, il place la custode à l’intérieur de l’ostensoir, rayonnant comme le soleil. Puis il élève l’ostensoir au-dessus des fidèles.


Conclusion : Vous êtes tenté de dire, ami lecteur : « Tous ces renseignements sont certes intéressants. Mais quel est le rapport avec l’architecture ? »

Ce rapport, il peut tout d’abord exister sur le plan iconographique. On doit pouvoir dater une œuvre en fonction de ce qu’elle représente. Et la connaissance du sens symbolique attaché à cette œuvre peut être une clé de compréhension.

Mais il existe un autre rapport à envisager. On vient de voir que les processions ou les pèlerinages tels qu’on les voit actuellement sont au moins en partie inspirés de la conception pré-copernicienne du monde et du trajet du soleil. Il est probable que, durant le premier millénaire, cette conception était encore plus ancrée dans les esprits.

En conséquence, il devait y avoir des trajets de processions.

Tout le monde a entendu parler des « Chemins de Saint Jacques », qui seraient jalonnés de grands sanctuaires. Et certains ont parfois affirmé que les chemins de Saint Jacques auraient conduit à la création de ces sanctuaires. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas du tout d’accord avec cette affirmation, car nombre de ces sanctuaires sont parfois très éloignés de la voie principale. Cependant nous pensons que les voies de procession ou de pèlerinage pouvaient être jalonnées de croix, d’oratoires de petite dimension ou d’hospices de pèlerin.

Ce que l’on sait des « Chemins de Saint Jacques » concerne une période postérieure à l’an 1000 (les pèlerinages à Compostelle se seraient lentement développés après l’an 800). Or les processions et les pèlerinages existaient bien avant. On sait que les premiers pèlerinages ont eu lieu à Jérusalem d’abord, puis à Rome et dans tous les sites où étaient enterrés des martyrs.

Mais où donc se passaient les nombreuses processions ? Il est probable qu’elles ont eu lieu à l’intérieur même des églises (surtout durant le temps des persécutions). Et, pour ce type de liturgie, les églises à plusieurs nefs devaient se révéler idéales car on pouvait faire des circumambulations. Ce serait peut être la raison pour laquelle le plan de l’église à 3 nefs a perduré pendant une bonne partie du premier millénaire?  Il est même des cas où les collatéraux sont tellement étroits que l’on se demande à quoi ils ont pu servir … si ce n’est à des processions.


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