Les contraintes techniques : les structures architecturales
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L’observation attentive des constructions anciennes devrait
nous inciter à remettre en question des idées préétablies.
Observons en effet les images
1, 2 et 3 des remparts de Tarragone. Sur l'image
1 on constate que le mur romain construit en blocs
réguliers de dimensions moyennes est installé sur un mur dit
cyclopéen construit en de blocs irréguliers mais de grandes
dimensions, chacun de ces blocs pouvant peser plusieurs
tonnes. On retrouve ces gros blocs sur l'image
2. A l’entrée, la barrière à hauteur de ceinture
(90 cm), permet d’effectuer une estimation sommaire de la
masse du linteau : plus de 200 tonnes !
L'image
3 a été prise à partir de cette barrière. Elle
permet de voir l’épaisseur de cette muraille.
Le mur cyclopéen est, bien sûr, antérieur de plusieurs
siècles au mur romain (VIesiècle avant J.-C.
?).
Par leur importance, les dimensions de ces pierres (ici ou
ailleurs) ont donné naissance à de nombreuses légendes
concernant leurs constructeurs : une race particulière de
géants, des extraterrestres ou encore des êtres dotés de
pouvoirs extraordinaires.
Les fouilles archéologiques n’ont rien révélé de tout cela,
et, bien au contraire, il a été prouvé que de simples hommes
dotés d’un équipement rudimentaire, mais très nombreux et
bien organisés, étaient capables de déplacer et de
positionner des pierres de très grandes dimensions.
Les images
4, 5 et 6 font apparaître une évolution concernant
le bloc de maçonnerie de base. En partant du milieu du
premier millénaire avant notre ère chrétienne, pour laquelle
le bloc est cyclopéen (de masse plusieurs tonnes), on passe
au premier millénaire avec une masse du bloc de 250
kilogrammes. Pour arriver à l’époque actuelle : la masse du
parpaing est d’environ 18 kilogrammes.
Les images
7, 8 et 9 permettent de déceler une autre
caractéristique de cette évolution. Les blocs les plus
anciens ont été taillés irrégulièrement. Certes l'image
7 représentant la muraille cyclopéenne d’Alatri
nous montre bien que les pierres ont été déposées en couches
successives presque horizontales. Parfois même certaines de
ces pierres ont été taillées de manière que la suivante
puisse se loger plus facilement. Mais il n’y a rien de
comparable avec les pierres déposées par les romains ( images 5 et 8). Et à
plus forte raison avec le croquis de l'image
9 représentant le rempart romain composé de deux
murs de parement encadrant un noyau de petits blocs reliés
entre eux par un ciment. Ces pierres de parement ont été
soigneusement taillées « d’équerre » en blocs
parallélépipédiques ayant tous les mêmes dimensions.
Examinons à présent les images
suivantes 10, 11 et 12.
La première : image 10 est
celle d’un temple maya. Ces temples ont été construits
durant le premier millénaire mais abandonnés bien avant la
conquête du Nouveau Monde. Il faut remarquer que l’on peut
effectuer des correspondances étonnantes entre des
civilisations qui ne se sont jamais rencontrées. Ainsi la
construction de temples en forme de pyramides est présente
en Égypte, 2000 ans avant notre ère, en Mésopotamie, (2500
ans avant notre ère ?), au Cambodge (vers le VIIIesiècle
de notre ère), au Yucatan (vers le VIIIesiècle
de notre ère), au Pérou. Toutes ces civilisations avaient
acquis à peu près le même niveau de technicité.
L'image 11 quant à
elle est celle d’un borie (ou capitelle), de construction
sans doute relativement récente. Mais il est très difficile
de dater ce type de construction qui a dû être modifiée à de
multiples reprises. Son intérêt est d’utiliser le principe
de la voûte en encorbellement sans emploi d’un mortier de
liaison. Malgré les dimensions imposantes à l’extérieur,
l’espace intérieur se révèle très réduit.
A l’intérieur du temple de Dendérah (image
12), des colonnes de gros diamètre supportent des
linteaux parallélépipédiques tout aussi imposants.
L’ensemble donne une impression de puissance et de lourdeur.
Premières conclusions de ces observations : toutes ces
constructions réalisées au cours du premier millénaire
précédant notre ère (murs cyclopéens, pyramides, temples à
colonnes) suscitent notre émerveillement. Parfois aussi nos
doutes quant à nos capacités de faire mieux. Et l'image
6 montrant les petits agglos de 20X20X50 prêterait
plus à rire ou à se moquer.
En conséquence, on aurait tendance à s’imaginer qu’il y a eu
une véritable régression, que l’évolution s’est révélée
négative.
On aurait pourtant tort de réagir ainsi. Bien que moins
spectaculaires, les constructions romaines bâties au dessus
des murs cyclopéens de Tarragone devaient être plus
efficaces que ceux-ci. Quant aux pyramides, on s’est aperçu
que leurs formes s’apparentaient à celle d’un tas de sable.
Celui-ci reste stable si les pentes latérales ne dépassent
pas un angle d’environ 50 degrés. Les architectes des
pyramides auraient opté pour des pentes inclinées non par
choix volontaire mais par incapacité d’élever des murs
droits sur une grande hauteur. Il est d’ailleurs remarquable
que les indiens d’Amérique aient totalement oublié l’usage
des pyramides dès les débuts de la conquête espagnole alors
même qu’ils ont conservé beaucoup de traditions. Ils avaient
sous les yeux beaucoup mieux : les églises construites par
les espagnols presque aussi hautes que les pyramides et à
l’intérieur desquelles on pouvait pénétrer.
Quant aux temples égyptiens, on les admire certes. Mais
comment ne pas voir la différence entre la massivité de ces
temples et la légèreté d’une église comme la cathédrale
d’Amiens. Comment aussi ne pas réaliser que cette légèreté
est le résultat de nombreux progrès techniques : inventions
de la voûte en plein cintre, de la croisée d’ogives, de
l’arc brisé, etc. A coup sûr, si les égyptiens avaient connu
ces innovations, ils les auraient utilisées.
Le bois étant malheureusement un
matériau très périssable, il reste peu de témoignages de
l’évolution des techniques de constructions en bois.
Sur l'image 13, on
voit que les constructions en bois s’organisent à partir
d’un quadrillage « en 3D » fait de poutres de bois. On
installe d’abord les poutres de bois puis on effectue un
remplissage des murs et des plafonds en ménageant des
ouvertures. C’est d’ailleurs ainsi qu’on construit les
gratte-ciels, les poutres de bois étant remplacées par des
poutres d’acier.
L'image 15, plus
précise que l'image 14,
montre comment s’effectuent les poussées. On pourrait penser
que c’est la poutre centrale qui porte le toit. En fait
chacune des deux pentes du toit s’appuie sur les poutres
parallèles au toit qui sont ainsi compressées et qui
transmettent ces poussées à la poutre horizontale. Celle-ci
réagit non par compression, mais par traction sur chacune
des extrémités. Ces extrémités peuvent ainsi reposer
directement sur le mur ou sur des piliers verticaux.
L'image
16 montre un linteau de pierre surmonté par un arc
de décharge (époque romaine). Primitivement le linteau
devait être monolithe, mais il s’est fendu en plusieurs
endroits.
La petite construction artisanale de Puisserguier (image
17) a sans doute était faite à titre de
démonstration. Un linteau de pierre peut tenir tout seul et
sans adjonction de mortier. Il suffisait qu’il soit taillé
en biseau.
On en arrive à l'image 18.
Cette image est apparemment très anodine. Pourtant
elle représente pour nous l’aboutissement d’un long travail
de maturation.
A priori, ce que nous voyons ici n’est qu’une porte
surmontée d’un linteau de pierre. Ce linteau de pierre est
de faible épaisseur (par rapport à ceux vus précédemment).
Et il n’est pas surmonté d’un arc de décharge. En toute
logique, ce linteau ne devait pas supporter le poids
au-dessus de lui. Il devrait donc, pour le moins, être fendu
comme certains vus précédemment. Or, il n’est pas fendu !
Ou plutôt oui ! Il est fendu ! Mais de multiples façons ! De
fait on peut voir que ce linteau a fait l’objet de
multiplies découpes. Les pierres ont été taillées en biseau.
Et le linteau se comporte comme s’il était lui même un arc
de décharge.
L’orientation judicieuse des découpes opérées sur le linteau
a permis d’augmenter sa portance. S’il n’y avait pas eu de
telles découpes, il aurait rompu dès sa pose.
Cet exemple se révèle instructif dans la mesure où il fait
apparaître que des découpes judicieuses et un travail habile
de la pierre peuvent augmenter l’effet de portance. Cela
expliquerait pour quelles raisons certains arcs peuvent être
doublés ou triplés. Il n’y aurait pas en la circonstance le
seul effet esthétique mais une réelle prise en compte des
problèmes techniques de résistance des matériaux.
Cela permettrait du même coup de dater des monuments à
partir des innovations techniques mises en évidence.