Essai de taxonomie du bâti au Moyen-Âge 

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Qu’est-ce que la taxonomie ?

Et pourquoi utiliser un mot aussi compliqué ?

Et ce, alors même que dans le « glossaire » nous allons nous efforcer de supprimer tous ces mots très compliqués qui nous rebutent.

D’après le dictionnaire, la taxinomie ou taxonomie, est la « science des lois de la classification ».

Alors ? pourquoi ne pas utiliser le mot « classification » et donner pour titre à cette page : « Essai de classification du bâti au Moyen-Âge » ?

Parce que la taxonomie est un peu plus compliquée que cela.

La taxonomie a été inventée par les naturalistes qui ont procédé à une classification des espèces vivantes. Et pour la question de faire des classifications les naturalistes ont une solide expérience commencée au XVIIIesiècle.

Pour effectuer cette classification les naturalistes ont utilisé le concept de « taxon », autre mot compliqué ainsi défini : « entité conceptuelle censée regrouper des êtres vivants qui possèdent des caractères en commun ».

L'idée était de ranger dans la même catégorie tous les individus ayant les mêmes caractères. Et de rejeter dans d’autres catégories les individus ayant un caractère différent. Cette façon de faire a permis de ranger les divers organismes vivants dans des « boites » de plus en plus grandes portant les noms successifs : espèce, genre, famille, ordre, classe, embranchement, règne, domaine.

Ce concept de taxon s’est révélé très intéressant lorsqu’il a fallu classer de nouvelles espèces et en particulier les espèces disparues. C’est ainsi que l’iguanodon a été ainsi nommé parce que sa dent ressemblait à celle de l’iguane.

La taxonomie a permis de promouvoir la Théorie de l’Évolution. Et maintenant encore des naturalistes ou des préhistoriens s’efforcent de reconstituer le squelette d’un animal ou d’un humain à partir de fragments d’os ou de dents. Car, et c’est ce que la taxonomie a révélé, une partie du corps d’un être vivant ne peut être dissociée du reste.

Au début de la théorie de l’évolution on a pensé, sous l’influence de Darwin, que cette évolution s’effectuait par des séries de sauts répétés résultats de modifications génétiques aléatoires régulées par la viabilité du mutant. L’exemple était le suivant : supposons que, au milieu d’une population d’herbivores, l’un d’entre eux naisse avec des canines au lieu de molaires. Il deviendra alors carnassier. Si autour de lui il y a suffisamment de viande il se développera, continuera à vivre et fondera une nouvelle espèce de carnassiers. S’il n’y a pas suffisamment de viande, il mourra et l’espèce génétique s’éteindra avec lui.

Voilà donc à peu de chose près quel était le schéma « darwinien ». La taxonomie a appris aux naturalistes que c’était un peu plus compliqué. Si un herbivore nait avec des canines, il mourra rapidement. En effet la différence entre un herbivore et un carnassier ne se situe pas seulement au niveau des dents. Mais aussi de la mâchoire : les dents du carnassier doivent mordre, celles de l’herbivore doivent râper. Le tube digestif du carnassier est lui aussi très différent de celui de l’herbivore.

La taxonomie a permis aux naturalistes de comprendre les rapports entre les caractères distinctifs d’un individu et les capacités de cet individu.

Pour parler plus clairement : la taxonomie ne s’est pas contentée de décrire, elle a aussi essayé d’expliquer pourquoi tel individu avait tel ou tel caractère distinctif.

C’est ce que nous voulons faire avec le bâti du Moyen-Âge.

Jusqu’à présent on a beaucoup décrit les monuments. On les a fort peu interprétés.

Prenons deux exemples pratiques : un préhistorien trouve une dent d’hominidé. Ce qu’il voit dans cette dent c’est l’individu qui est autour. Un individu qu’il essaie de reconstituer.

Un historien de l’art roman découvre un chapiteau dans un musée. Ce qu’il voit dans ce chapiteau, c’est seulement le chapiteau. Est-il beau? Que représente le motif sculpté ? Mais il ne cherche pas à connaître le bâtiment qui était autour de ce chapiteau. A déterminer quelles pouvaient être les dimensions ou la forme de ce bâtiment.

Car, de même que l’examen d’une dent permet de donner une représentation à peu près cohérente de l’animal qui portait cette dent, l’examen d’un chapiteau ou l’analyse du plan d’un pilier peuvent amener à reconstituer un édifice dans son originalité.

Une autre qualité caractérise les naturalistes : ils cherchent à décrire l’être vivant dans sa totalité. Y compris dans ses bizarreries ou anachronismes. Alors que le spécialiste de l’art roman néglige les anomalies qu’il rencontre, « ce sont des repentirs de maçon ».



Pourquoi chercher à « taxonomiser » le bâti ?

Parce que les diverses tentatives de datation ont échoué. Jusqu’à présent les spécialistes qui ont cherché à dater une œuvre du Moyen-Âge se sont exclusivement fiés aux textes écrits. Parfois même ils ont tiré des arguments de ces textes écrits pour contester les datations proposées par d’autres auteurs.

Souvent ces spécialistes étaient des acteurs locaux qui ne cherchaient à dater que les édifices situés dans leur environnement. Parfois même un seul édifice. Et ils ne cherchaient pas à confronter leurs résultats à ceux d’autres collègues.

La caractéristique principale des textes du Moyen-Âge est leur rareté. Et plus on remonte dans le temps, plus les textes deviennent rares et imprécis. Inversement, plus un édifice est ancien, plus il a subi de transformations au cours du temps. Dans ces conditions les causes d’erreurs étaient multiples.

On doit à présent admettre que l’acte de fondation d’une communauté monastique n’est pas synonyme de pose de la première pierre de l’abbatiale. Car la communauté monastique peut utiliser les locaux et l’abbatiale d’un monastère créé plusieurs siècles auparavant. Ou, au contraire la construction d‘une grande abbatiale peut suivre de plusieurs siècles la fondation de la communauté.

Il en est ainsi de beaucoup d’autres actes signalés par les chartes.

Il est possible qu’un jour on ait les moyens scientifiques et techniques permettant de dater une construction en pierre. Comme on sait le faire pour des constructions en bois (méthode au C14 et dendrochronologie). Sans attendre cette innovation majeure, la seule méthode envisageable consiste à classer les monuments et à les ranger par ordre chronologique.

Réaliser une taxonomie du bâti n’est pas un simple mot placé ici pour en « mettre plein la vue ». Mais c’est tout un programme qui consiste à rechercher toutes les explications permettant de comprendre l’évolution entre l’art antique romain et l’art médiéval roman. Une évolution qui a accompagné des progrès techniques, artistiques, sociaux, religieux.

On connaît déjà certaines de ces explications. Ainsi l’arc brisé a remplacé l’arc en plein-cintre pour des questions d’ancrage de forces. Et cet arc brisé a présidé à la naissance de l’art gothique.

Et il doit exister beaucoup d’autres explications analogues.

Dans les chapitres suivants, concernant le glossaire puis les contraintes, nous comptons développer ce concept sans toutefois trop utiliser le mot bien rébarbatif de « taxonomie ».

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