La « Vérité » extraite des écrits de Grégoire de Tours ( Ie partie : la France )

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  • L’idée d’effectuer une étude statistique a été consécutive à la lecture des œuvres de Grégoire de Tours. Il est apparu au cours de cette lecture que la masse de données fournies permettait d’effectuer une analyse fine.

    Grégoire de Tours s’intéresse à un grand nombre d’événements de différentes natures (politiques, militaires, religieux). Une multitude de personnages sont acteurs de ces événements. Afin de les identifier correctement il a été obligé de préciser leurs fonctions et leurs villes de résidence. Ainsi lorsqu’il parle d’un certain Héraclius, il ajoute « évêque d’Angoulême ». Cette façon de procéder explique le grand nombre de villes citées par Grégoire de Tours.

    Cette œuvre constitue un document historique de première qualité.

    Que nous apprend en effet la précision « évêque d’Angoulême » qui a priori, nous semble de peu d’impor-
    tance ? Elle nous apprend qu’au VIe siècle il existait une ville appelée Angoulême suffisamment grande pour accueillir un évêque. Pas seulement l’évêque, mais aussi très probablement, le siège de cet évêque, c'est-à-dire sa cathédrale. Donc il doit y avoir à Angoulême les restes d’une cathédrale du VIe siècle. Et aussi, très probablement, ces restes, réduits à l’état de fondations, sont actuellement invisibles .. . ou non identifiés comme tels . Et il convient de se poser la question de savoir où ils sont.  

Cependant l’existence d’un évêché à Angoulême n’est qu’un phénomène ponctuel susceptible de n’intéresser que les habitants d’Angoulême. Il peut se révéler plus intéressant d’analyser le phénomène d’une façon plus globale en effectuant une étude statistique sur l’ensemble des évêchés du VIe siècle.

Et l’œuvre de Grégoire de Tours se révèle ici exceptionnelle. Il fait état, en effet, de l’existence de 78 évêchés pour la seule France actuelle. Ce nombre est à comparer avec, d’une part, le nombre d’évêchés actuels (environ 90 évêchés répartis uniformément sur le territoire français), et le nombre d’évêchés avant la Révolution Française (environ 170 répartis non uniformément).

Le nombre de 78 évêchés est en lui-même révélateur de l’intérêt d’une œuvre qui ne prétendait pas à l’exhaustivité. Cependant l’analyse dans le détail risque de se révéler encore plus intéressante. Prenons l’exemple de la ville d’Angoulême déjà citée, évêché au VIe siècle. Si elle existe encore et si elle est restée évêché on peut en déduire une continuité historique à la fois sur le plan politique et sur le plan religieux. Si elle n’existe plus, cela signifie qu’il y a eu discontinuité. Cette expérience, répétée avec les 77 autres évêchés permet d’avoir une vision d’ensemble. De là on pourra en déduire si le Haut Moyen-âge a été une période de grands bouleversements ou, au contraire d’une grande stabilité.


Densité des Églises en France

Les 3 tableaux ci-dessous ont été extraits d’un unique tableau sur lesquels ont été introduits, en première colonne, le nom des évêchés cités par les historiens anciens. Soit : en deuxième colonne, Grégoire de Tours (G.T.), en troisième colonne, Venance Fortunat (V.F.), en quatrième colonne, Frédégaire ou un de ses continuateurs (Fré.). La cinquième colonne (L1516) provient de la liste des 170 évêchés de France établie en 1516.

Les conventions suivantes ont été adoptées: pour chacun des historiens et pour chaque ville on a noté dans la case correspondante le nombre de fois où elle est citée (une case vide correspond à 0).

En règle générale toutes les villes enregistrées dans la première colonne ont été citées comme des évêchés par Grégoire de Tours. Néanmoins certaines, comme Amiens, ont été seulement mentionnées par Grégoire de Tours, mais sans autre précision. Cependant, en 1516, ces villes sont bien des évêchés. Pour afficher cela, dans la colonne G.T. on a ajouté au nombre le symbole « Ev ? ».

Sur la colonne L1516, on symbolise par la lettre « E », l’appartenance de la ville citée par Grégoire à la liste des évêchés de 1516. Deux autres cas sont possibles :

• Soit la ville citée par Grégoire de Tours n’appartient pas à la liste L1516 parce que, en 1516, cette ville était située hors du royaume de France. C’est le cas de Arras. Nous avons symbolisé cette situation par AL (pour Absent de la Liste).

• Soit la ville est bien dans le royaume de France mais elle n’est plus un évêché. C’est le cas de Arsat (près du plateau du Larzac en Bas-Languedoc, cité aujourd’hui disparue). Nous avons symbolisé cette situation par NC (pour Non Cité).


  • Examinons à présent la carte de France ci-contre (carte 5). Un point vert a été placé sur les départements contenant au moins un évêché cité par Grégoire.

    Il est bien évident que cette carte est la carte de la France actuelle. Et qu’elle ne coïncide en aucune façon à la carte du royaume des Francs de Clovis et de ses successeurs. Si elle a été choisie c’est parce qu’elle correspondait à un territoire partagé uniformément en environ quatre vingt dix parties.

    Et il apparaît que ce territoire est recouvert presque uniformément par les points verts.

    Il existe certes des « trous ». Grégoire n’était pas forcé de connaître tous ses confrères et il est possible qu’il en ait oublié. Très certainement, il devait y avoir au moins un évêché dans le Var (Fréjus, Toulon ?), dans le Finistère (Léon, Quimper), les Côtes d’Armor (Tréguier ?), l’Orne (Alençon ?). Et sans doute dans d’autres départements encore.

    Cette uniformité dans un territoire très vaste nous apprend au moins une chose. C’est que des hommes comme Grégoire de Tours pouvaient accéder à l’universel. Un universel qui ne se réduit pas à l’actuelle France puisqu’il parle aussi des évêques de Cologne, du Portugal ou de Rome.
Rappelons ce que l’on nous avait appris auparavant : les invasions barbares ont tout détruit et les gens se sont repliés sur eux-mêmes, derrière les murs de leurs forteresses. Cette carte témoigne du contraire.

On s’attendait à ce que des régions entières aient été vidées de leurs habitants. C’est aussi le contraire qui apparaît.

Mais, bien sûr, toutes les régions ne sont pas connues de la même façon. Et il est tout à fait normal que Grégoire qui vivait à Tours ait mieux connu la région qu’il contrôlait (l’actuel département de l’Indre et Loire) que des départements plus éloignés.

C’est ce que nous avons voulu faire apparaître sur la carte 6 ci-dessous. Sur chacun des départements dans lesquels Grégoire mentionne l’existence d’évêchés (il peut y en avoir plusieurs) nous avons placé un cercle vert dont la superficie est proportionnelle au nombre de fois où ces évêchés sont cités.


  • L’hypothèse émise précédemment se vérifie: la région de Tours est le plus souvent citée.

    Nous aurons l’occasion d’étudier plus précisément ces cartes et d’autres encore dans le chapitre concernant l’histoire.

    Pour le moment contentons nous de dire qu’il y avait au VIe siècle, dans le territoire de la France actuelle, au moins 78 évêchés.

    Donc au moins 78 cathédrales. Et ce n’étaient pas des petites cathédrales car, si l’on en croît certaines descriptions, c’étaient des édifices de plus de 30 mètres de long décorés de fresques ou de mosaïques.

    Ce n’étaient certainement pas aussi les seuls édifices bâtis. Grégoire de Tours mentionne l’existence de trois églises autres que sa cathédrale dans la seule ville de Tours.

    Dans la page suivante : « La Vérité extraite des écrits de Grégoire de Tours (2e partie)» , on essaiera de compléter ces informations par l’étude de deux évêchés : Tours et Arverne (Clermont-Ferrand) .