La « Vérité » extraite des guides touristiques  

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Un surprenant graphique

  • L’étude ci-dessous a été faite à partir des célèbres « Guides Verts Michelin ».

    L’objectif des guides touristiques est d’amener le touriste à découvrir les richesses d’une région. Des richesses qui peuvent être de diverses sortes : naturelles, culturelles, historiques, artistiques. Ces guides constituent donc un catalogue non exhaustif de ces richesses. L’idée que nous avons eue a été de relever sur des Guides Verts Michelin, pour chaque région de France, puis pour chaque pays Européen autre que la France, la datation des monuments et d’en faire le décompte siècle par siècle. Il y avait, bien sûr, dans cette démarche, une idée sous-jacente : à savoir que, dans le passé, la datation des bâtiments avait pu être mal effectuée, et que, globalement, des édifices officiellement datés du XIe ou du XIIe siècle pouvaient être antérieurs de plusieurs siècles.

    Cependant nous avons essayé de faire l’analyse la plus objective possible, compte tenu des difficultés inhérentes à ce type d’enquête. 

En nous fiant aux seules estimations de datation proposées par ces guides touristiques nous avons comptabilisé 4762 monuments pour la France, 423 pour l’Allemagne, 233 pour la Belgique et le Luxembourg, 133 pour l’Autiche, 699 pour l’Italie, 629 pour l’Espagne, et 189 pour la Suisse.

Ci dessous un tableau complet des résultats de cette recherche :

1. L’analyse a été faite entre le premier et le quinzième siècle. On peut considérer en effet, que, à partir du XIIIe siècle les datations sont à peu près correctes. Et donc le XIIIe , le XIVe et le XVe siècles ont été enregistrés uniquement pour compléter des fins de courbe.

2. Le tableau doit être analysé ainsi : pour chaque pays on a indiqué le nombre de monuments en fonction du siècle. Ainsi pour la France ont été catalogués 43 monuments datés du premier siècle, 35 du deuxième siècle, etc. Bien sûr et surtout pour les premiers siècles de notre ère, certains des monuments sont en ruine. D’autre part il est arrivé pour certains monuments que les guides ne mentionnent pas la date de construction mais la date où ils sont cités dans une documentation. Ce qui entraîne une certaine confusion car on n’est pas certain que la citation ne renvoie pas à un monument antérieur à celui actuellement visible. Cela concerne surtout le IXe et le Xe siècle époque durant laquelle les premières chartes apparaissent.

Remarquons enfin que le score important de monuments détectés en France (4762) vient du plus grand nombre de Guides Verts Michelin étudiés, chaque région de France ayant son guide vert. L’existence d’un guide vert pour chaque région de France a l’autre avantage d’autoriser une étude statistique et de vérifier si les résultats observés sur une région sont valables pour d’autres régions. C’est bien ce que l’on a constaté : Il existe une forte corrélation des résultats obtenus pour chaque région.


  • Le graphique ci-contre visualise, en abscisse, les siècles, et, en ordonnée, les fréquences du nombre de monuments construits.

    Ainsi le maximum de la courbe en bleu étant situé au point de coordonnés (12 ; 300) cela signifie que le nombre de monuments remarquables construits en France atteint son maximum au XIIe siècle (pour une période située entre le Ier et le XVe siècle). Et qu’il y a eu toujours au XIIe siècle 30% (=300/1000) des constructions.

    Il y a 3 courbes sur ce graphique. La courbe en bleu représente l’évaluation moyenne. Les deux autres courbes représentent les évaluations limites (en rouge : moyenne + écart-type ; en vert : moyenne – écart-type). Ceci signifie qu’en tenant compte des fluctuations d’échantillon la courbe réelle a une forte probabilité de se situer entre la courbe rouge et la courbe verte.

  • En conséquence on peut énoncer au vu de ces courbes (et plus particulièrement celle en bleu) qu’il y aurait eu très peu de constructions avant le Xe siècle (moins de 1% par siècle) ; seulement 1,6% au Xe siècle, mais, selon la remarque ci-dessus différenciant les édifices cités et les édifices construits, cela pourrait être moindre encore. Puis 8% au XIe siècle. Le pic de 30% aurait été obtenu au XIIe siècle. Une baisse très sensible au XIIIe et au XIVe siècle. La reprise serait venue au XVe siècle avec 21% des constructions d’édifices.

    Il est écrit en sous-titre de cette page et concernant ce graphique : « Un surprenant graphique ». En quoi ce graphique est-il surprenant ?

    Eh bien ! parce qu’il entre en contradiction avec ce qu’affirment la plupart des historiens. Selon eux, en effet, durant tout le premier millénaire il y aurait eu beaucoup de destructions de monuments et très peu de constructions nouvelles. Une nette reprise s’amorcerait à partir de l’an 1000 (c‘est-à-dire le XIe siècle). Elle se serait amplifiée durant les siècles suivants. Il y aurait eu ensuite un déclin dû aux épidémies et aux guerres, et ce à partir du milieu du XIVe siècle. Puis une reprise au XVe siècle.

    Si on suit cette logique on devrait assister à une courbe constamment croissante après le Xe siècle : fortement croissante au XIe siècle, un peu moins au XIIe siècle et au XIIIe siècle et stagnante au XIVe siècle (les progrès du début du XIVe siècle étant annulés par le déclin de la fin). Or ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit : selon cette courbe, le déclin aurait commencé au XIIIe siècle c’est à dire 150 ans plus tôt. Un déclin inexpliqué par les historiens.

    Une autre remarque doit être faite sur ce graphique : la contradiction entre l’absence totale de croissance des 10 premiers siècles et la très forte croissance des deux siècles suivants (X 20). Par comparaison on pourrait dire que cette dernière est la croissance d’une « start-up ». Sauf que la croissance d’une start-up est explicable par le développement subi et inattendu de l’informatique. Alors qu’on ne connaît pas de choc technologique aux alentours de l’an 1000. Et puis les peuples sont difficilement comparables aux entreprises. Ils évoluent plus lentement.

    Mon explication de ces contradictions est la suivante et rejoint l’hypothèse initiale : cette courbe est fausse. Ou, plus exactement, elle ne reflète pas la réalité. Les historiens de l’art incapables de dater les ouvrages du Moyen-âge à cause de l’absence de documents ont attribué la dernière datation possible. Les monuments les plus anciens pour lesquels on pouvait avancer une datation presque certaine étaient des monuments gothiques du XIIIe siècle. En conséquence les monuments qui les précédaient ont été tous appelés romans et attribués au XIIe siècle. Parmi ces monuments dits romans, certains apparaissaient réellement plus anciens que d’autres ; ou bien il existait des documents datés les concernant Les spécialistes se sont donc vu obligés de les dater du XIe siècle.

    L’idée est donc celle-ci : la courbe réelle est continue et toujours croissante (sans le « pic » accentué du XIIe siècle). Certains monuments attribués au XIIe siècle sont en fait du XIe siècle voire du Xe siècle. Quant aux monuments attribués au XIe siècle ils pourraient être bien antérieurs encore.

    Qu’est-ce qui aurait bien pu pousser les historiens de l’art à négliger les siècles antérieurs à l’an mille ? On vient de voir une première explication : l’absence de textes permettant de dater les constructions. Les historiens, trop scrupuleux, auraient préféré postdater la construction plutôt que de courir le risque d’une datation trop précoce.

    Une deuxième explication viendrait d’une lecture trop restrictive du texte célèbre du moine Raoul Glaber. Selon lui, en effet, à partir de l’an 1000, le sol de France se couvrit de « blanches églises » nouvellement construites. Ce texte a été utilisé pour justifier l’existence des « terreurs de l’an mille ». Une fois passée cette année fatidique les contemporains, rassurés de leurs peurs, auraient effectué un effort de construction sans précédent. On sait depuis longtemps qu’il n’existe pas de texte montrant la réalité de ces terreurs qui ne se sont peut-être pas produites. Malgré ce il est possible que des chercheurs aient ajouté foi aux propos de Raoul Glaber et qu’ils aient été convaincus d’une idée : il n’y a pas eu de construction d’église avant l’an mille mais par contre il y a une efflorescence de constructions après cette date. Cependant, il faut remarquer que les mêmes historiens de l’art n’ont pas cherché à identifier un seul des monuments que Raoul Glaber aurait vu en construction entre les années 1000 et 1050.

    Une dernière explication concerne essentiellement la France et son histoire.. Nous avons vu dans les paragraphes de ce site concernant l’histoire que l’identité française s’est forgée non pas avec Vercingétorix et ses Gaulois ou avec Clovis et ses Francs, mais, vers l’an 1000, avec Hugues Capet qui aurait initié la reconstruction de tout le royaume des Francs à partir du noyau de l’Ile de France, en opposition avec les empereurs d’Allemagne héritiers de Charlemagne. C’est lui, Hugues Capet, le véritable fondateur de la France (selon une histoire réinventée). Il est remarquable de constater que jusqu’à une date récente, la plupart des monuments les plus représentatifs, identifiés comme étant antérieurs à l’an mille se situaient dans des régions proches de Paris (crypte de l’abbaye de Jouarre, crypte de St Germain d’Auxerre). Comme s’il était impossible que l’on ait pu construire en province et avant Paris des édifices prestigieux.

    L’idée est donc que, en ce qui concerne la France, l’existence de monuments antérieurs à l’an 1000 ait été occultée. Si cette hypothèse se révèle valable on en aura confirmation en comparant avec ce qui se passe avec d’autres pays.

    Reprenons donc notre décompte à partir des Guides Verts Michelin. A chaque fois on comparera la France avec d’autres pays d’Europe. Plus exactement on comparera la courbe de chaque pays avec les deux courbes représentant pour la première, la moyenne de la France plus l’écart-type, et pour la seconde, la moyenne de la France moins l’écart-type. Rappelons que ces deux courbes constituent un encadrement de confiance. Si la courbe d’un pays traverse une de ces deux courbes cela signifie que l’analyse de datation pour ce pays est fortement différente de l’analyse pour la France.


    Comparaison de la France à l’Allemagne :
  • On constate que le « pic » du XIIe siècle est beaucoup moins accentué. Il y a traversée de la courbe inférieure de la France.
  • On peut donc penser que les allemands ont beaucoup moins privilégié la datation du XIIe siècle. A remarquer que les allemands ont plus privilégié les monuments datés du IXe siècle.
  • Cela tient sans doute au fait que, en Allemagne, le « père fondateur » est Charlemagne qui vivait au IXe siècle.
Comparaison de la France à la Belgique :

  • Le graphique de la Belgique est celui d’une fonction constamment croissante jusqu’au XIVe siècle (et donc plus logique que celui de la France qui a un pic au XIIe siècle).
Comparaison de la France à l'Autriche :

  • Le graphique de l’Autriche présente une autre configuration. La répartition est constamment croissante dans le temps.

    On constate cependant un « pic » important au XVe siècle. En toute logique la croissance devrait être moins forte entre le Xe et le XIIe siècle, et surtout entre le XIVe et le XVe siècle. Il est certain que plus on s’approche de l’est de l’Europe et moins on rencontre d’église du Moyen âge .

    On constate de plus que la collection Zodiaque n’a pas publié de livre intitulé « Autriche Romane ». Ce qui laisse penser qu’il n’y a pas en Autriche suffisamment d’églises romanes pour permettre la constitution d’un livre. Cependant il est possible que des édifices aient été négligés car considérés par les historiens autrichiens comme de moindre importance que les édifices du XVe siècle. L’Histoire de l’Autriche commence aux Habsbourg, vers le XVe siècle. Il n’est pas étonnant que le graphique fasse apparaître cette singularité.
Comparaison de la France à l'Italie :


  • Comparaison de la France à l'Espagne :
  • Le graphique de l’Italie est presque analogue à celui de la France. La différence réside dans le fait que le « pic » principal ne se situe pas au XIIe siècle mais au XIIIe siècle. Rappelons que, à partir du XIIIe siècle, la datation devient plus précise. En conséquence ce pic peut être justifié. Mais alors comment l’expliquer dans un contexte de croissance continue ? Là encore, la formation de l’identité nationale peut être un vecteur d’interprétation des disparités. L’Italie s’est d’abord fondée autour de Rome. Il n’est donc pas étonnant qu’une grande importance soit accordée aux monuments romains comme on va le voir un peu plus loin. Mais l’unité italienne quant à elle, ne s’est formée qu’au XIXe siècle. Entretemps l’Italie existait mais dans la désunion. Le seul ciment fondateur était le lien artistique (principalement pictural) entre les cités italiennes. Lorsqu’on parle du « Trecento », on pense tout de suite à l’Italie. Et, non aux seules villes de Pise ou de Florence. Or une période phare de l’Italie est le « Quattrocento », le XIIIe siècle. Il est donc possible que certains édifices soient datés, non en fonction de la première période de construction, mais des fresques qui les décorent ; que la phrase « église construite au XIe siècle et décorée de fresques au XIIIe siècle » ait été remplacée par « église du Quattrocento ».
    On constate aussi que, par rapport à la France, le nombre d’édifices de l’antiquité romaine ou de l’antiquité tardive est nettement plus important.
  • En ce qui concerne l’Espagne, on constate l’existence de deux « pics ». L’un au XIIe siècle, l’autre au XIVe siècle.
  • Le deuxième pic est difficile à interpréter. Il est peut être dû à une fluctuation d’échantillon. En ce qui concerne le pic du XIIe siècle, qui correspondant à une trop forte croissance entre le XIe et le XIIe siècle, on doit pouvoir l’interpréter d’une manière analogue à celle vue en France : certains monuments attribués au XIIe siècle correspondent à une époque antérieure. On remarque que, entre le VIIe et le Xe siècle la courbe avoisine, voire dépasse la courbe de la moyenne de la France plus l’écart-type. Ce qui signifie que pour ces époques le nombre de monuments est nettement supérieur. Là encore l’imaginaire fondateur de l’histoire d’un pays peut être avancé.

    L’histoire de l’Espagne est celle de la « Reconquista ». Cette reconquête s’est faite à partir du royaume des Asturies au IXe siècle. Il n’est donc pas étonnant que les principaux monuments espagnols du IXe ou du Xe siècle soient localisés dans les Asturies. Par ailleurs les rois fondateurs des Asturies étaient ou se disaient descendants des wisigoths d’Espagne. Et (donc ?) on trouve des restes d’églises wisigothiques au nord de l’Espagne. A contrario, les Arabes envahisseurs sont exclus de cette histoire fondatrice.


Comparaison de la France à la Suisse :


  • Concernant la Suisse, la courbe est proche de celle de la France.

    On retrouve, là encore une croissance très (trop ?) rapide entre le Xe et le XIIe siècle.

Le dernier document concerne l’Europe  (à savoir  Allemagne,  Autriche, Belgique,  Espagne, France, Italie et Suisse) :


Comparaison avec le résultat de l’Europe et une progression de 31% par siècle :

  • Quant au dernier graphique, il a été bâti de la façon suivante : la courbe en bleu est la même que précédemment - c’est la courbe intitulée, Moy. Euro. - réalisée à partir des données extraites des Guides Verts Michelin : la moyenne des relevés a été effectuée sur le plan européen. La courbe en rouge est une courbe théorique : il s‘agit d’un modèle des constructions d’édifices sur le plan européen. Ce modèle part de l’idée suivante : la construction des bâtiments s’est effectuée durant tout le Moyen-âge d’une façon continue, croissante et sans « solution de continuité ». Ou si l’on préfère sans les « à-coups » (brusques changements d’orientation des portions de courbe) que présentent les graphiques précédents. Le modèle est celui défini par une progression dite géométrique (au sens mathématique du terme) de raison constante. La civilisation romaine représentant un cas à part, on fait démarrer cette suite à partir du IVe siècle avec la même valeur que la moyenne européenne du IVe siècle (12 millièmes). De même, on la fait terminer au XVe siècle à la valeur équivalente de la moyenne européenne (240 millièmes) . Pour que la corrélation soit convenable il faut que la somme totale sur une ligne soit voisine de mille.
    Ces conditions étant réalisées, un rapide calcul a fait apparaître que la raison de cette progression géométrique était de l’ordre de 1,31. Soit environ 1/3 d’augmentation des constructions par siècle.
Ce schéma théorique (en rouge) est sans doute loin de correspondre à la réalité. Il y a eu au cours de cette durée de 15 siècles premier des périodes plus propices que d’autres. Et certaines régions ont pu profiter plus que d’autres de ces instants de développement.

Malgré ces réserves la courbe en rouge ci-dessous me semble plus proche de la réalité que la courbe en bleu. Elle signifie qu’un grand nombre d’édifices ont été mal datés. Il importe donc de vérifier si d’autres analyses confirment ces hypothèses.

L’enjeu est-il important ? Très certainement car si l'on applique pour la France le même système de courbe théorique qu’on l’a fait pour l’Europe on s’aperçoit que sur les 1481 édifices attribués au XIIe siècle par les Guides Verts Michelin, environ 800 doivent être antérieurs et répartis dans le premier millénaire, du Ve au Xe siècle. Soit beaucoup plus que les 165 comptabilisés dans la liste ci-dessus.