La basilique d’Odzoun
• Proche-Orient • Article
précédent • Article suivant
L’église d’Odzoun se présente isolée dans le village. À la
différence des villages français, nombre de villages
d’Arménie n’ont pas de centre.
Lisons ce commentaire extrait du livre « L’Arménie
au Moyen-Âge » : « À
en croire les chroniques, le monument a été fondé vers 720
par le catholicos Jean III. Toutefois cette date a été
contestée par des archéologues arméniens qui veulent en
faire un édifice du VIe– VIIe
siècle, sous prétexte qu’au début du VIIIe
siècle une construction d’une telle ampleur était
incompatible avec la domination arabe. Or précisément à ce
moment-là un concordat très favorable était établi entre
Jean III et le calife Omar. »
Nous n’allons certainement pas intervenir dans cette
polémique. Remarquons cependant que le débat entre ces
chercheurs concerne une période relativement courte puisqu'
il existe un écart de 120 ans, entre la date 600, médiane de
la période VIe – VIIe siècle et la
date 720. Si cet édifice s’était trouvé en France, nous
l’aurions daté de l’an 600, mais avec un écart estimé de
plus de 150 ans. Donc une incertitude supérieure à celle des
chercheurs qui ont étudié ce monument. Ceci étant, les
archéologues français (ou ayant étudié les seuls monuments
français), l’auraient, quant à eux, daté du XIIe
siècle.
On retrouve là une forte distorsion des évaluations de
datation déjà dénoncée plus haut : le même type de monument
est estimé nettement postérieur à l’an 1000 en France (par
des spécialistes français) et nettement antérieur à l’an
1000 à l’étranger, plus particulièrement au Proche-Orient.
Nous pensons que c’est l’estimation
arménienne (celle des archéologues arméniens ou celle de
l’auteur du live, « L
‘Arménie au Moyen-Âge ») qui
est la plus proche de la vérité. Entre des dernières
évaluations, il est difficile de faire un choix. D’une part,
nous ne sommes pas certains que l’occupation arabe ait pu
être néfaste, au moins dans un premier temps, aux
populations chrétiennes. Pour s’imposer dans ces régions, il
a bien fallu que les arabes s’allient avec des potentats
locaux et le sentiment de prier le même Dieu a pu être
bénéfique aux chrétiens. En conséquence, la date de 720 est
envisageable. Inversement, la présence de croix pattées
militerait en faveur d’une datation plus ancienne. C’est en
tout cas ce que nous envisageons pour les croix pattées
d’Europe Occidentale (IVe, Ve ou VIesiècle).
Cependant il faut retenir que nous sommes en Asie Mineure,
que ces croix sont différentes de celles d’Europe (branches
non égales) et que le modèle de croix pattée a pu avoir un
développement différent en Asie Mineure.
Le plan de l’édifice (image
4) extrait du livre « Pierres
sacrées d’Arménie » de Fabien Krähenbühl et Patrick
Donabédian, est celui d’une basilique à trois vaisseaux et
trois absides entourée sur trois cotés d’une galerie.
On peut ainsi détailler :
- le vaisseau central : image
5 , en orange sur le plan.
- le collatéral Sud : image
6 , en couleur chair sur le plan.
- le collatéral Nord : en couleur chair sur le plan.
- la galerie Nord : image
12 en bleu sur le plan.
- la galerie Sud : image
22 en bleu sur le plan.
- la coupole centrale : image
9 en rouge sur le plan.
Les galeries Nord et Sud, extérieures à la nef à trois
vaisseaux, sont très inhabituelles. On en rencontre
cependant en Europe Occidentale, à Epfig en Aksace ou en
Espagne. C’est cependant dans le Proche-Orient que le modèle
semble être le plus courant, à Chypre (Kourion : ruines de
la basilique), en Géorgie(Bolnisi) ou ici à Odzoun. Ces
galeries étaient sans doute réservées aux catéchistes
préparant le baptême.
Il semblerait que la coupole centrale (image
9) ait été installée ultérieurement à la
construction primitive. Ce fait n’est pas signalé dans les
documents que nous avons consultés et il faudrait des études
plus poussées que celle-ci pour obtenir une confirmation.
Néanmoins, plusieurs constations militent en ce sens. D’une
part, le mur extérieur Nord a pu avoir été refait (image
13). En tout cas, la porte Nord n’est pas dans
l’axe du pignon du croisillon Nord du pseudo-transept.
Une seconde constatation vient du plan (image
4). Observons en effet les piliers de la nef côté
Sud : en partant de la gauche (côté Ouest) le premier pilier
est de type R1000.
Les deux suivants sont de type R1111.
Ces deux suivants supportent la coupole avec leurs
symétriques, côté Nord. Si on enlève à chacun de ces piliers
de type R1111 les
saillies qui aident à supporter la coupole on obtient des
piliers de type R1010.
On obtient alors le plan d’une basilique à 3 travées et
piliers de type R1010 (hormis
ceux de gauche de type R1000,
très proches de la façade Ouest).
Une troisième constatation peut être faite à partir des images 8 et 10. On voit
très nettement que, pour chaque image, la croix pattée est
recouverte par des pilastres verticaux. Ces pilastres ont
très certainement été ajoutés pour supporter la coupole de
croisée.
Le monument commémoratif (image
14) est exceptionnel. Il serait caractéristique de
l’Arménie. Il existe des restes de monuments analogues (on
en verra à Talin) mais ce serait de tous le mieux conservé.
Ce ne serait pas un monument funéraire et il est difficile
d’en comprendre la signification. On y voit des
représentations de saints (images
15, 16, 17 (les 3 saints portent des croix pattées
hampées), 19). En
bas de l'image 19 ,
les deux personnages non auréolés ont les bras levés comme
les Orants de l'Antiquité Tardive. Sur l'image
18 on peut voir en-dessous une croix pattée aux
branches égales, et, au-dessus , la représentation d’une
cité à trois portes (peut-être la Jérusalem céleste).
Remarquer que les arcs sont nettement outrepassés. En haut
de l'image 16, le
personnage à tête de sanglier serait le roi Tiridate qui
aurait vécu à la fin du IIIesiècle.
Essai
de datation
Il apparaît tout d’abord qu’il a dû y avoir plusieurs étapes
dans la construction de cet édifice : tout d’abord un
premier édifice à plan basilical, puis, presque au milieu de
cet édifice, une coupole de croisée. Nous pensons que la
construction de la basilique s’est faite à une date
relativement tardive par rapport aux basiliques primitives.
En effet, il s’agirait d’une basilique à piliers de type R1010 caractérisée par
des arcs à double rouleau (images
5 et 6). Nous pensions jusqu’à présent que ce type
d’arc avait dû apparaître plus tardivement, vers le IXesiècle.
La date de 720 nous invite à réfléchir à nouveau à la
question.
La construction de la coupole de croisée a pu s’effectuer
plus tard (Xe ou XIesiècle).