L'église San Pancrazio de Montichiari
Nous n'avons pas visité cette église. Apparemment banale,
elle se révèle être un « chaînon manquant » dans notre enquête
sur l'évolution dans la construction des nefs à plan
basilical.
Les images ci-après sont extraites d'Internet.
Cette église a fait l'objet d'une description détaillée
écrite par Sandro Chierici dans l'ouvrage « Lombardie
Romane » de la collection Zodiaque.
En voici des extraits :
« La belle église de
Saint-Pancrace se dresse au sommet d'une colline d'où elle
domine la plaine environnante. Elle constitue un
témoignage intéressant des influences véronaises sur
l'architecture lombarde orientale du XIIesiècle.
[...]
La partie orientale de
l'église a subi des réaménagements (voir le plan
de l'image 7) : les nefs latérales ont été
reconstruites, mais elle se terminaient par des absides
semi-circulaires ; l'abside centrale est, par contre,
intacte : elle est parcourue, dans sa partie supérieure,
par une série d'arcatures divisées deux par deux par des
lésènes
(il s'agit de ce que nous appelons les « arcatures
lombardes »). [...]
L'intérieur baigne dans
une lumière chaude et diffuse qui se répand dans l'ample
nef et les bas-côtés plus étroits. Les arcs longitudinaux,
huit par côté, qui divisent la nef et les bas-côtés,
s'appuient alternativement sur des colonnes et des piliers
cruciformes de type simplifié (images de 7 à 11). Sur
les piliers, sont placés en outre des arcs transversaux
puissants qui scandent les trois travées précédant
sanctuaire et abside. [...]
Comme nous l'avons vu,
prévus pour porter un toit plat et non des voûtes, il
existe bien des rapports entre Saint-Pancrace et certaines
églises véronaises datant des années entre 1120 et 1150 ;
de plus, le premier document qui parle de cette église est
une bulle papale de 1172 à laquelle ont succédé d'autres
jusqu'à 1197, et c'est vraisemblablement à cette époque
qu'on peut placer la reconstruction de cet édifice.
»
On retrouve dans ce texte écrit par M.
Chierici la démarche commune à de nombreux spécialistes (en
fait la quasi totalité) de l'architecture romane. Ceux-ci
privilégient une datation basée sur les textes anciens, en
négligeant tout le reste. En particulier celle basée sur
l'évolution de l'architecture. Le dernier paragraphe du
texte ci-dessus est caractéristique de cette démarche : les
dates citées 1120, 1150, 1172 et 1197, sont très
probablement issues des textes les plus anciens mentionnant
l'existence des églises citées ; dans la plupart des cas,
les renseignements obtenus à partir de ceux-ci sont d'un
faible intérêt. Surtout, l'interprétation qui leur en est
donnée est très restrictive. Ainsi, par exemple, une église
citée dans deux documents, l'un en 1120, l'autre en 1150,
devient une église construite entre 1120 et 1150. C'est
probablement ce qui s'est passé pour les églises véronaises
dont parle M. Chierici.
Il nous faut cependant avouer que la prose de Monsieur
Chiérici est bien supérieure à la nôtre. Du fait de notre
formation scientifique, nous développons un discours froid
et dépassionné bien différent de celui de ce monsieur. Nous
remarquons par ailleurs qu'il se révèle perspicace dans son
analyse de l'architecture de l'intérieur de la nef. Il a
bien constaté la disposition des piliers, supports du
vaisseau central, en alternance cylindriques et cruciformes.
Il a aussi constaté que seuls les piliers cruciformes
portaient les arcs transverses, supports des charpentes du
toit. Enfin sa remarque, « prévus
pour porter un toit plat et non des voûtes »,
montre qu'il a fait le rapprochement entre la forme des
piliers et le mode de couverture des piliers. Il est
cependant regrettable que, focalisé sur l'étude des textes
anciens, il n'ait pas tiré tout le parti de cette petite
découverte.
Car c'en est bien une ! Depuis un bon moment, nous
cherchions une explication du système que nous appelons
mixte. Dans notre essai de classification des basiliques à
nefs à trois vaisseaux, nous avons repéré trois genres de
nefs : les nefs à colonnes cylindriques, les nefs à piliers
rectangulaires, et enfin, les nefs mixtes à colonnes
cylindriques et piliers rectangulaires disposés en
alternance. L'existence des deux premiers genres ne posait
pas de problème particulier. Par contre, nous nous
interrogions sur l'existence du troisième, nettement moins
fréquent que les deux autres, en particulier dans l'Ouest de
l'Europe. Grâce à cette église Saint-Pancrace, nous pensons
avoir trouvé une explication. Mais commençons à la décrire
avec nos propres termes lexicographiques : le vaisseau
central de la nef est porté pae des arcs simples eux-mêmes
portés par des piliers cylindriques de type C0000
et des piliers rectangulaires de type R0101.
Ce dernier type de pilier que Monsieur Chierici appelle « cruciforme simple » est
très rare, pratiquement inexistant pour les nefs à piliers
rectangulaires. Le plan en coupe du pilier de type R0101
: un rectangle auquel on a jouté côté collatéral une saillie
rectangulaire et pareillement, côté vaisseau central. Pour
les côtés Est et Ouest on n'a pas ajouté de saillie, ce qui
fait que les arcs rejoignant les piliers ne sont pas
doublés. Pour quelles raisons a-t-on ajouté les saillies
rectangulaires ? En fait, ces saillies rectangulaires ne
sont autres que les vues en coupe horizontale de pilastres
adossés aux piliers qui, par l'intermédiaire de chapiteaux,
portent des arcs transverses lesquels arcs supportent les
charpentes du toit.
C'est dans cette disposition que nous commençons à
comprendre l'alternance des piliers. Elle résulte d'une
amélioration apportée à la basilique romaine primitive. Nous
devons en effet réaliser qu'en architecture, peut être plus
que dans d'autres sciences ou techniques, l'objectif
principal est la réalisation de l'exploit : avoir la plus
haute église, le plus grand stade olympique, le plus beau de
tous les musées. En ce qui concerne la basilique romaine,
les architectes étaient confrontés à plusieurs défis : la
hauteur, la lumière, le décor intérieur. Un de ces défis
était la largeur du vaisseau central. Nous estimons que, à
cause des efforts de contraintes imposées aux poutres de
charpentes du toit disposées en travers du vaisseau central
de la nef, la portée de ces poutres ne pouvait excéder 13
mètres. L'idée a donc été de remplacer ces poutres par les
arcs transverses. On s'est aperçu qu'il n(était pas
nécessaire de construire un arc pour chaque pilier. On
pouvait le faire tous les deux piliers. On s'est aussi
aperçu que si on construisait les arcs sur des piliers
cylindriques, ceux-ci risquaient de ne pas résister à des
effets de vrille. C'est alors qu'on a eu l'idée de poser les
arcs sur des piliers rectangulaires plus larges et donc plus
résistants que les piliers cylindriques. Plus tard le modèle
sera affiné. La couverture en charpente sera remplacée par
une couverture en voûte et, en même temps, les raisons
permettant de justifier l'alternance des piliers
cylindriques et rectangulaires disparaîtront sous ces
transformations.
Autre observation, celle-ci mineure. Dans son analyse,
Monsieur Chierici semble considérer que la nef et l'abside
principale (mais pas les absidioles), sont contemporaines.
Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Nous constatons que
l'abside principale et le pignon Est de la nef (images
4 et 5) sont décorées d'arcatures lombardes. Ce
n'est pas le cas pour le mur Sud de la nef, et surtout pour
le pignon de la façade Est. Nous estimons donc que l'une des
parties (très probablement le sanctuaire et l'abside
principale : cas le plus fréquent) est plus récente que
l'autre.
Malgré le fait que les arcs reliant les
piliers sont des arcs simples (considérés comme plus anciens
que les arcs doubles), nous estimons que la disposition
particulière de la nef de genre mixte (alternance de piliers
rectangulaires et cylindriques) constitue une innovation.
Datation envisagée
pour l'église Saint-Pancrace de Montichiari : an 900 avec un
écart de 125 ans.