L'église Santa Maria Maggiore de Tuscania
Nous n'avons pas visité cette église.
Les images de la présente page proviennent d'Internet.
Ce monument a fait l'objet d'une étude approfondie par
Enrico Parlato dans le livre «
Rome et Latium romans » de la Collection Zodiaque.
En voici des extraits :
« L'édifice
actuel est le résultat de deux campagnes de construction
distinctes qui se sont succédé dans un laps de temps
relativement court : à la fin du XIesiècle,
s'éleva l'église à nef unique et transept à trois absides,
précédée du clocher ; dans la seconde moitié du XIIesiècle,
on procéda à un agrandissement qui lui donna la structure
basilicale actuelle. Cette deuxième campagne commença
peut-être sous le pontificat d'Alexandre III (1159-1181).
[...] ou
bien en 1182, année où eut lieu une solennelle translation
de reliques. [...]
La reconsécration de
l'édifice le 6 octobre 1206 marque par ailleurs le terme
de cette campagne. [...] »
Notons tout d'abord que le mot de «
reconsécration » confirme une idée que nous
avions avancée, à plusieurs reprises : la consécration d'une
église ne doit pas être synonyme d'une date de fin de
travaux.
C'est aussi, à de multiples reprises, que nous avons fustigé
les positions des historiens de l'art qui, dans leur refus
de valider des datations antérieures à l'an 1050, attribuent
au XIIesiècle tous les monuments dits «
romans ». Nous renouvelons ces critiques par
rapport au texte ci-dessus. Résumons le : il y a eu deux
campagnes de construction, l'une à la fin du XIesiècle,
l'autre dans la seconde moitié du XIIesiècle,
la fin ultime des travaux étant fixée en 1206. «
Quoi de plus normal ? », direz-vous, ami lecteur.
Pourtant ce n'est pas normal. Même à notre époque réputée
celle du changement perpétuel, deux campagnes de travaux
bien distinctes sur un même monument et en moins d'un siècle
constituent un phénomène exceptionnel. Et la plupart du
temps pleinement justifié (exemple : les défauts de
construction ou d'entretien puis l'effondrement pour le pont
de Gènes).
Une campagne de travaux dure à peu près 25 ans entre le
lancement du projet et son achèvement. Deux campagnes en
moins d'un siècle signifie que moins de cinquante ans se
sont déroulés entre la fin du premier projet et le début du
suivant. Moins de 50 ans après, cela signifie que, à la
veille du second projet, il existe encore des témoins du
premier, qui, sauf urgence absolue, ne peuvent que s'opposer
à des réalisations qui modifient ce que certains de leurs
proches, voire eux-mêmes, ont créé. En conséquence, il nous
faut accepter l'idée que ces deux campagnes de travaux se
sont étalées dans le temps.
L'église est précédée d'un campanile
totalement détaché d'elle. Les deux premiers étages de ce
campanile sont décorés d'arcatures lombardes de première
génération semblables à ceux observés en Catalogne française
ou espagnole.
Avant d'étudier la datation de l'église, examinons les
tympans des deux portails de la façade occidentale (image 2).
Commençons par le portail central (image
4). Son tympan est représenté sur l'image
5. Grâce à la collection des images disponibles sur
notre site, nous commençons à appréhender l'évolution dans
la construction des tympans. Initialement, il n'y avait pas
de tympan, mais un espace vide entre le linteau horizontal
situé au dessus de la porte et l'arc de décharge protégeant
la baie. Puis cet espace vide a été comblé par des
marqueteries de pierre, des panneaux de mosaïque ou des
enduits décorés de fresques. Simultanément (ou
postérieurement : c'est ce que nous cherchons à savoir) ont
été posés, parfois dans le désordre, des bas-reliefs
sculptés, pour combler les vides. Ce ne serait que plus tard
que les bas-reliefs auraient été sculptés en forme de
demi-disques à l'usage exclusif de tympans, adaptés à chaque
porte.
Formé de trois pièces de dimensions différentes qui semblent
préromanes, le tympan de l'image
5 fait partie de la catégorie intermédiaire. Au
centre (image 7),
une statue presque en ronde-bosse de Vierge à l'Enfant.
S'agit-il bien d'une Vierge ? Son visage au menton allongé
semble porter une barbe. Notons aussi la bizarrerie de son
auréole, en arrière de sa tête. Il semblerait qu'elle est
formée de deux disques distincts (le soleil et la lune ?).
Et puis il y a le fait que l'Enfant Jésus ne porte pas
d'auréole. Par contre, sa main brandit le signe de pouvoir :
deux doigts (annulaire et auriculaire) pliés, trois doigts
(majeur, indes et pouce) dressés.
À gauche (image 6),
la scène représente le sacrifice d'Abraham. Il lève l'épée
sur son fils Isaac, alors que sur sa gauche, des anges
interviennent pour arrêter son geste. En dessous, l'agneau
qui sera sacrifié à la place d'Isaac.
Il est possible que ce bas-relief soit, de la composition,
la seule pièce romane. Il aurait été placé là en corrélation
avec la pièce de droite (image
8) représentant l'Agnus Dei qui porte une croix
pattée hampée, pièce que nous estimons préromane.
Continuons avec le portail de droite (image
9). Son tympan est représenté sur l'image
10. Un
examen superficiel de cette image amène à conclure qu'il
s'agit là d'un décor barbare à entrelacs et monstres divers,
sans doute empreint de superstitions. Un examen en détail
nous fait découvrir un univers bien différent. Tout d'abord,
nous voyons dans l'image
10 une scène bien connue : les «
oiseaux au canthare » . La scène originelle des « oiseaux au canthare
» représente deux oiseaux disposés symétriquement et
encadrant un grand vase. Mais cette scène a évolué avec le
temps. Les oiseaux ont pu être tour à tour des pigeons, des
canards ou des paons. Mais aussi des oiseaux fantastiques,
des phénix, des griffons. Ou des taureaux ailés. Le vase a
lui aussi changé. Il a pu devenir chrisme, croix pattée,
Arbre de Vie. Dans le cas présent, nous avons bien des
oiseaux, mais à tête humaine. Et entre les deux (image
11) nous avons l'Arbre de Vie représenté par deux
pampres de vigne auxquelles sont accrochées des grappes de
raisin. Un petit personnage s'accroche à ces pampres. Ce
personnage s'apparente à un autre que nous avons rencontré
en Cantal/ Auvergne/France : le personnage de la Femme aux
longues nattes. Mais ce personnage s'apparente aussi à la
sirène étudiée sur notre site. Ou encore Jonas dévoré par la
baleine. Cette association pourrait nous faire comprendre
l'ensemble du symbolisme de ces scènes apparemment
incongrues, le symbolisme associé aux histoires ou légendes
de Jonas, des Néréides, des sirènes, de la femme nattée. Il
se résume en peu de mots. : tout comme le soleil meurt
chaque jour en plongeant dans la mer et ressuscite le
lendemain, nous ressusciterons le dernier jour en sortant de
la gueule du poisson qui nous a dévoré (comme l'a été
Jonas). Accrochés aux rameaux, nous accèderons au ciel
(symbolisé par l'arc de cercle formé par les nattes).
L'interprétation la plus mystérieuse reste encore celle des
oiseaux (image 12).
Que représentent-ils dans cette histoire ? Nous avons vu à
Terracina qu'ils pouvaient symboliser les forces
protectrices de l'ordre du monde (ordres de chevalerie,
structures ecclésiastiques). Dans le cas présent, l'hybride
semble à la fois être recouvert, donc protégé, par le
feuillage de l'Arbre de Vie, mais aussi propagateur (par sa
bouche) de ses bienfaits. L'interprétation est néanmoins
bien fragile et doit être confirmée par d'autres
observations.
Essayons à présent de décrire
l'évolution de cette église dans le temps. Enrico Parlato
nous a parlé d'une construction en deux campagnes de
travaux. Voici certaines des précisions qu'il nous apporte.
:
« La
juxtaposition presque sans coupure de ces deux campagnes
de construction demande à titre préliminaire d'identifier
ce qui reste aujourd'hui de la première construction
romane : l'abside et le transept avec les petites
absidioles creusées dans l'épaisseur des murs terminaux.
La nef unique (disparue) devait être plus courte comme le
suggère l'emplacement du campanile adossé à la façade
postérieure. [...]
Le plan irrégulier de
l'édifice actuel (rapport entre les nefs et le transept,
désaxement des colonnades à l'intérieur) résulte donc de
la superposition de la nouvelle construction à l'ancienne
; le désaccord entre les parties se manifeste avec
évidence au transept, dans les proportions réduiters du
cul-de four absidal, dans les arcs qui terminent les nefs
latérales - restes probables du mur de clôture primitif -
et dans les piliers polystyles qui auraient dû sans doute
recevoir l'arc triomphal jamais construit. Les colonnes
surmontées d'arc à double rouleau mouluré dans la nef
[...] confèrent un
caractère spatial différent. [...] »
Commençons par répéter la dernière phrase : «
Les colonnes surmontées
d'arc à double rouleau ... confèrent un caractère spatial
différent. » . On croirait entendre le discours
d'un commentateur d’œuvre d'art moderne : des heures pour
parler de quelques traits noirs sur un tableau blanc. Nous
rappelons que, selon nous, l'arc double représente un
progrès technique par rapport à l'arc simple, l'arc brisé
représentant un autre progrès. On aurait certainement bien
fait rigoler les maçons de l'époque en leur parlant du « caractère spatial
différent »
qu'ils donnaient à leurs œuvres.
Mais venons-en à l'évolution de l'édifice. Nous avons dit
dans la page précédente consacrée à Saint-Pierre de Tuscania
que les premières églises ne contenaient pas de transept. Et
que, dans de nombreux cas, le transept avait été construit
après la construction d'une première église, en remplacement
d'une partie de la nef ; le plus souvent la partie de nef la
plus proche du chœur. C'est ce qui se serait passé pour
Saint-Pierre de Tuscania. Et probablement aussi pour la
présente église Santa Maria Maggiore de Tuscania. Car les
chapiteaux des piliers du transept (images
de 19 à 23) sont typiquement romans, postérieurs
aux chapiteaux des colonnes de la nef.
On aurait donc a priori deux campagnes de travaux. Une
première aurait concerné la construction d'une nef de 7
travées prolongée par l'actuel chevet à une abside et deux
absidioles. Au cours de la deuxième campagne, un transept
aurait été créé à l'emplacement des deux premières travées
de nef. Remarquer une différence avec Saint-Pierre de
Tuscania : la crypte, absente à Santa Maria Maggiore. Et
consécutivement à cela, une autre différence : la nef de
Santa MariaMaggiore est plus haute que celle de
Saint-Pierre.
Il reste deux problèmes à résoudre. Le premier est signalé
par Enrico Parlato, un problème de dissymétrie : «
Le plan irrégulier de l'édifice actuel (rapport entre les
nefs et le transept, désaxement des colonnades à
l'intérieur)
». Il y a plusieurs réponses possibles. La première est
qu'il y ait eu, non pas deux campaqgnes de travaus, mais
trois
(si deux campagnes sont peu envisageables sur un siècle,
trois sont possibles sur 6 siècles). Une seconde
possibilité. Pour la deuxième réponse, nous avons constaté à
plusieurs reprises sur des églises du Haut Moyen-Âge que les
axes de la nef et du choeur n'étaient pas alignés. Nous
avons sans nul doute beaucoup de choses à apprendre.
Le deuxième problème concerne le mur Sud du collatéral Sud (image 17). On y
voit de grandes arcades soutenues par des piliers. De telles
arcades peuvent s'expliquer adossées à un mur pour soutenir
une voûte. Mais dans le cas présent, il n'y a pas de voûte.
Nous en concluons qu'il devait y avoir de l'autre côté un
autre vaisseau de nef.
Il reste à étudier quelques sculptures.
Image 18 : Le
baptistère. Nous avouons notre méconnaissance de ce type de
baptistère.
Image 19 :
Chapiteau du transept : thème inconnu.
Image 20 :
Chapiteau des lions vu de droite : dans le coin, deux
oiseaux affrontés. Au-dessus de l'un deux, un autre disposé
transversalement. En ce qui concerne le lion, son attitude
est la même que celle de lions vus à plus de mille
kilomètres de là, en France : la queue du lion passe entre
les pattes pour remonter le long du corps.
Image 21 :
Chapiteau des lions vu de gauche. Là encore, c'est le même
style que les chapiteaux aux lions dominants d'Auvergne ou
de Bourgogne. Les deux corps de lions regroupés dans l'angle
en une seule tête dominent une tête humaine.
Image 22 :
Chapiteau de la fuite en Égypte vu de gauche : Joseph.
Image 23 :
Chapiteau de la fuite en Égypte vu de droite : Marie et
Jésus.
Image 24 :
Bas_relief à entrelacs.
La datation
envisagée pour l'église Santa Maria Maggiore de
Tuscania est identique à celle de San Pietro.
Pour la nef et le chevet de l'église Santa Maria Maggiore :
an 850 avec un écart de 150 ans.
Pour le transept de l'église Santa Maria Maggiore : an 1050
avec un écart de 100 ans.
Pour la rosace de la façade Ouest de l'église Santa Maria
Maggiore : an 1225 avec un écart de 75 ans.