L'église San Pietro de Tuscania 

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Cette église était fermée lors de notre visite en ce lieu en avril 2006. La plupart des images ci-dessous sont extraites d'Internet.

Ce monument a fait l'objet d'une étude approfondie par Enrico Parlato dans le livre « Rome et Latium romans » de la Collection Zodiaque. La plus grande partie de cette étude porte sur des pièces de mobilier liturgique ou des fresques dont nous n'avons pu recueillir les images. Concernant l'histoire de l'édifice, voici ce que raconte Enrico Parlato : « La grande notoriété de ce monument [...] tient à la date précoce à lui assignée en son temps par Rivoira (1908) sur la base d'un acte de vente de 739 où l'on parle d'un certain Rodpertus, maître comasque considéré comme son premier architecte. Saint-Pierre devient ainsi le berceau du roman européen. Les nombreux éléments récupérés du Haut Moyen-Âge réutilisés dans la décoration ont contribué à accréditer une datation exagérément avancée que l'on répète encore aujourd'hui parfois. La mise au point définitive de la question par Hans Thümmler (1938) a ramené l'histoire architecturale de Saint-Pierre au sein du roman de la maturité. La construction de l'église ne peut se raccrocher qu'à un seul repère chronologique, la date de 1093 fournie par l'inscription gravée sur la corniche du ciborium. [...] C'est un terminus ante quem au moins pour la construction de la crypte et du sanctuaire. [...] »

Nous retrouvons dans ce discours une rhétorique que nous avons dénoncée à de nombreuses reprises. Pas seulement chez Enrico Palato ou Serena Romano, historiens de l'art roman du Latium, mais aussi chez la plupart des historiens de l'art roman. Une rhétorique qui consiste à proclamer : « Des documents montrent qu'une église existait avant l'an mille, mais ce n'est pas l'église que l'on voit. Puisque l'église que l'on voit est du XIIesiècle. ». Le tout assorti de « preuves irréfutables ». Ici, la référence explicite à Hans Thümmler qui aurait établi « la mise au point définitive de la question » .

Voilà plus de quatre ans que nous décrivons des monuments, et une fois sur deux, nous sommes confrontés à un même type de rhétorique ... que nous critiquons. Et jamais jusqu'à présent nous n'avons eu de retour. Il n'y a jamais eu de preuve irréfutable qui nous ait été opposée. Cela étant, les explications fournies peuvent avoir leur utilité. Ainsi, selon nous, la date de 1093 inscrite sur le ciborium, élément du mobilier liturgique, ne peut permettre d'en déduire une date de fin de travaux sur l'église. Par contre, elle doit permettre de dater le ciborium (ce n'est pas toujours le cas, l'inscription pouvant avoir été faite ultérieurement). Dater le ciborium peut être tout aussi important que dater l'église.

Plus important encore, nous semble être l'acte de vente de 739 négligé par Enrico Parlato. Car, en fonction de ce qui est écrit sur cet acte de vente, on peut éventuellement déduire la construction de l'église. Il faut cependant se garder de toute conclusion hâtive et de « la mise au point définitive de la question ».



Nous commencerons l'étude de l'édifice par l'extérieur.


La façade occidentale (image 1 , détails en images 2 puis 3) :

On constate le contraste entre la partie centrale de couleur blanche pour la partie supérieure (marbre ?), de couleur grise pour la partie inférieure, et les parties latérales de couleur rouge sombre. Notre idée est que cette façade a été réalisée en deux temps. Dans un premier temps, la façade était entièrement achevée. Sa partie centrale était de couleur rouge, analogue aux actuelles parties latérales. Dans un deuxième temps, on a décidé d'améliorer cette façade en plaquant sur cette façade le mur gris surmonté du décor de marbre (il est possible que cette opération n'ait pas été faite dans un seul but décoratif mais pour soutenir la façade).

Cette partie de façade est richement décorée. On observe sur l'image 2 une grande rosace encadrée par deux panneaux contenant des fenêtres géminées. Sur le panneau de droite, les fenêtres sont encadrées en haut et en bas par des têtes de Janus trifrons (à trois visages). La tête du dessous surplombe un corps fait d'entrelacs.

Au milieu, la rosace est encadrée par les symboles des évangélistes. Sur le panneau de droite l'Agnus Dei surplombe les fenêtres alors qu'un atlante les soutient en dessous (image 3).

Nous estimons que cette partie que l'on pourrait croire « romane » a été construite durant la période gothique, au XIIIesiècle. Ce n'est en effet qu'au cours de cette période que l'on construit des rosaces de l'ampleur de celle-ci.



Le chevet (image 4)  :

L'abside est décoré d'une série d'arcatures, dont en particulier des arcatures lombardes qui semblent être de deuxième génération.



La nef (plan en images 5, 6, 7, 8, 9) :

Il s'agit d'une église à nef à trois vaisseaux. Les trois vaisseaux sont charpentés.

Les piliers porteurs du vaisseau central sont cylindriques (de type C0000). Hormis les piliers les plus proches du transept qui sont rectangulaires de type R1010.

Revenons aux piliers cylindriques. Ce sont des colonnes monolithes. On remarque que ces colonnes sont dépareillées (de tailles différentes). Il en est de même pour les chapiteaux qu'elles portent ; certains sont corinthiens à feuilles d'acanthe, d'autres ioniques à volutes. Les historiens de l'art ont une réponse à cette anomalie : ces colonnes et chapiteaux auraient été récupérés sur des monuments romains ruinés. Cette explication est plausible en ce qui concerne les cryptes, ouvrages de moindre intérêt architectural pour la plupart d'entre elles. Elle l'est beaucoup moins en ce qui concerne les grandes basiliques qui, à l'origine, devaient présenter tous les signes de la perfection architecturale, et en particulier, des colonnes identiques entre elles, des chapiteaux identiques entre eux. Mais, comme toutes les constructions humaines, les églises subissent des transformations, soit à la suite de causes naturelles, soit du fait des humains. Et parfois, face à une urgence, un maçon peut être contraint de remplacer une colonne par une autre récupérée sur un monument détruit. Il existe une autre possibilité que nous n'avions pas envisagée jusqu'à présent : que la construction des églises ait été financée, non par une seule entité, mais par plusieurs entités (ou groupes d'individus) différentes et que chacune des entités ait voulu signer sa participation en installant le chapiteau qui la représente : corinthien pour l'une, ionique pour une autre.

Les arcs reliant les piliers sont doubles (ou à double rouleau). Ils présentent de plus l'originalité d'être denticulés. Nous estimons que l'arc double est une innovation par rapport à l'arc simple. En conséquence, nous avons estimé que l'art double devait apparaître après l'an 800. Compte tenu de l'incertitude de plus de 100 ans que nous attribuons à l'an 800, la date de 739 citée plus haut est possible pour la construction de ces piliers et arcs mais elle se situe en limite inférieure.


Le transept et la crypte (plans en images 5 et 9, image 11) :

On a tendance à considérer que dans une église, le déroulement des constructions est le suivant : d'abord la crypte, puis l'église supérieure en commençant par le chevet. Puis le transept, la nef. Et enfin la façade Ouest.

Le déroulement est plus complexe. Car les premières basiliques chrétiennes n'avaient pas de transept. Ni de crypte. Elles possédaient seulement une nef, en général à trois vaisseaux et un chevet (à une abside pour les église romaines, souvent à trois absides pour des églises plus au Nord de l'Europe). Le transept a été créé plus tard. Et pour les églises déjà construites, il a été édifié sur une partie de la nef. Parfois l'abside primitive a été conservée. Ce serait le cas ici ; l'image 9 fait apparaître les chapiteaux des piliers du transept. Ils sont romans, postérieurs aux chapiteaux des piliers de la nef. La crypte aurait été créée en même temps par séparation en deux de l'abside et du transept (les plans de la crypte et de l'église supérieure se superposent). Dans la foulée, les piliers de la nef auraient été enterrés d'environ deux mètres. Mais tout cela ne sont que des hypothèses qui doivent être assujetties à des vérifications.

L'image 12 représenterait le baptême du Christ. On voit la main de Dieu bénissant et la colombe de l'Esprit Saint descendant du Ciel.


Datation envisagée pour la nef de l'église San Pietro de Tuscania : an 850 avec un écart de 150 ans.

Datation envisagée pour le transept et la crypte de l'église San Pietro de Tuscania : an 1050 avec un écart de 100 ans.

Datation envisagée pour la rosace de la façade Ouest de l'église San Pietro de Tuscania : an 1225 avec un écart de 75 ans.