La basilique Sainte-Marie et Saint-Donat de Murano 

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Nous avons visité cette église le 11 novembre 2005. Il y a donc un peu moins de vingt ans, bien avant la création de ce site Internet, en janvier 2016. Mais dès ce moment-là, nous nous intéressions à l’art et à l’architecture en « Europe des invasions barbares » et nous commencions à réaliser que l’importance de l’un et de l’autre avaient pu être négligés par les historiens de l’art. Lorsque nous avons visité cette église ainsi que plusieurs autres de la lagune vénitienne, à Venise et Torcello, nous étions en possession du livre Vénétie Romane de la collection Zodiaque, écrit par Gianna Suitner Nicolini, architecte. Ce livre nous a été très utile dans notre recherche.

Un bon nombre d’images des pages de ce site sur la basilique Sainte-Marie et Saint-Donat de Murano ont été prises lors de cette visite. Les autres sont extraites de galeries d'images d’Internet.

La page du site Internet Wikipédia consacrée à cette église nous apprend ceci :

« Histoire

Fondée peut-être au milieu du VIIe siècle (en 999 est la promesse du curé Michele Monetario à l’évêque de Torcello "secundum antiquam consuetudinem"), l’église était initialement dédiée à Santa Maria Assunta. L’église de Santa Maria Assunta était l’église-mère dont dépendaient toutes les églises de Murano. L’église avait un baptistère, érigé devant la façade, où tous les nouveaux-nés de Murano étaient baptisés.


En 1125, saint Donat martyr, évêque d’Evorea, y fut associé lorsque le corps du saint fut transporté de Céphalonie, après la conquête de la ville par l’armada navale commandée par le doge de Venise Domenico Michiel.

Les reconstructions postérieures à cette date (elle a été restaurée au IXe siècle et entièrement reconstruite auXIIe siècle) ont produit le précieux artefact du sol, datable d’environ 1141, qui a grandement influencé la production artistique de l’époque (en particulier les artefacts similaires de l’abbaye de Pomposa). Ces mosaïques sont composées de marbre et de pâtes de verre polychromes. […] »


Bref commentaire de cet extrait

Ce texte nous apprend une foule de choses : que l’église était à l’origine dédiée à Notre-Dame de l’Assomption, que c’était une église-mère d’autres églises, qu’un baptistère était situé à proximité immédiate, qu'ultérieurement, grâce au déplacement et à la réception d’insignes reliques de Saint Donat, elle a aussi été dédiée à ce saint. Et enfin, la page du site de Wikipédia étant intitulée « Duomo - Murano », nous apprenons que cette église est une cathédrale.

En fait ce texte ne nous apprend rien ! Nous avons en effet découvert grâce à notre site Internet que les premières communautés chrétiennes étaient présidées par des episcopi  (ce qui a donné le mot « évêque »). En fusionnant entre elles, ces communautés se sont agrandies en restant sous la dépendance d’un seul évêque. Mais la taille des diocèses était bien inférieure à celle d’un diocèse actuel. Et au cours du premier millénaire, chaque localité de la lagune vénitienne (Chiogga, Pellestrina, Malamocco, Venise, Mestre, Altina, Murano, Torcello, Cittanova, Burano), avait son évêque. L’évêque avait son siège (appelé cathèdre) dans une église qui sera appelée « cathédrale ». L’évêque avait un pouvoir qui lui était conféré par la communauté. Ce pouvoir, tant temporel (droit de justice, de percevoir des dîmes, de défendre la communauté, que spirituel (baptiser, ordonner des prêtres) était sacralisé par le fait qu’il était successeur des Apôtres envoyés évangéliser le monde par la Vierge Marie lors de son Assomption. En conséquence, toutes les cathédrales devaient être dédiées à Notre-Dame de l’Assomption. Au fil du temps cette notion a disparu. La concentration qui avait commencé au premier millénaire s’est amplifiée : les évêques d’Occident ont fini par reconnaître la primauté de l’évêque de Rome, successeur de Pierre, premier évêque de Rome. De nombreuses cathédrales ont conservé la dédicace à Notre Dame de l’Assomption. Certaines ont perdu la référence « de l’Assomption ». D’autres ont changé de dédicace. C’est souvent arrivé à l’occasion d’un déplacement de reliques d’un saint. Ce déplacement crée un engouement, suivi de pèlerinages, de guérisons. Et la basilique qui a accueilli le corps du saint prend le nom de celui-ci.

Nous poursuivons la lecture du texte de Wikipédia :

« Description

Extérieur : Selon les modules imposés par Saint-Marc de Venise, l’architecture tend à dissoudre les masses. La façade, dans un style sobre de Ravenne, fait face à l’ouest, tandis que l’abside, donnant sur le canal, fait face à l’est et, se présentant d’abord à ceux venant des fondations, joue un rôle de premier plan. À l’extérieur, l’abside présente un plan heptagonal, avec sept niches concaves dans le registre inférieur surmontées d’une frise avec des dents de loup d’ascendance médiévale précoce et dans le registre supérieur, un faux portique, avec sept niches et colonnes appariées en deux ordres
(image 3).

Les loggias, avec des arcs en plein cintre et des piliers, la double bande ornée de triangles, le soupçon d’évasement des arcs dérivé des multiples viroles, tout contribue à décaper la masse, à renforcer le contraste chromatique entre le rouge de la brique et le blanc du marbre. Dans les deux ordres, l’ouverture des arcs présente progressivement des amplitudes différentes, aidant à donner du rythme à différentes visions, également basées sur la lumière (image 4 et 5).

De nombreux éléments décoratifs ont dû être perdus au fil du temps : des fragments de barrières du IXe siècle ont été retrouvés. […]

Le clocher (image 9) est une tour carrée divisée en trois ordres (marqués à leur tour par des pilastres) et conclue par un beffroi à trois fenêtres et arcs suspendus. Le clocher avait une élévation qui a été démolie car elle n’était pas sûre en raison de la foudre qui l’avait frappé. […] »

Concernant la datation de cet édifice, l’auteur du texte de Wikipédia avait écrit auparavant :

« C’est un important lieu de culte dédié aux saints Marie de l’Assomption, Donat martyr et Cyprien, évêque et martyr. Construite au VIIe siècle, restaurée au IXe, reconstruite au XIIe, cette basilique est un exemple classique de l’art de l’exarchat qui, au XIIe siècle, a subi des influences romanes venues de l’Occident et byzantines de l’Orient. C’était l’église-mère de toute l’île de Murano. Elle a la dignité d’une basilique. […] »

Dans le livre Vénétie Romane, Madame Gianna Suitner Nicolini écrit à peu près la même chose : « Pour la cathédrale de Murano, …, comme pour de nombreuses églises lagunaires, la longue histoire architecturale se termine au XIIe siècle par une reconstruction globale qui confirme l’emplacement (sinon exactement la même orientation) des églises antérieures des VIIe et IXe siècles, prend appui au moins en partie sur les fondations originelles (elles demeurent sous celles de l’église actuelle) et récupère en le remployant une grande partie du matériel décoratif en pierre. […]

Face à l’église, comme à Torcello et Aquilea, se trouvait le baptistère, disparu, dont on recherche les vestiges dans les fouilles actuellement en cours.

Le plan basilical, assignable aux premières décennies du XIIe siècle – le pavement est daté de 1141 – est divisé en trois nefs. […] »


Analyse de l’architecture de l’édifice et essai de datation

Réflexion générale concernant la datation d’un édifice
. Nous avons un défaut commun à tous : lorsque nous visitons un monument, nous avons tendance à valoriser les parties les plus spectaculaires de ce monument. Ainsi, lorsque nous visitons une église, nous regardons en priorité les voûtes alors que, logiquement, les parties inférieures ont été construites avant les parties supérieures, parfois longtemps avant. Et si les voûtes sont gothiques, on dira que l’église est gothique alors que, à la base, elle peut être préromane ou romane. Il faut bien comprendre qu’un monument vieux de mille ans a subi durant cette période de nombreuses transformations ou modifications. La difficulté pour un historien de l’art est de dater non seulement la première construction, mais aussi les diverses transformations. Et avant cela, la première des difficultés est d’accepter qu’il ait pu y avoir des transformations. Bien souvent, l’historien de l’art confronté à la demande « De quand date cet église ? », se sent obligé de répondre d’une façon précise par peur d’être taxé d’incompétence. C’est sans doute ce qui s’est passé ici (« Le plan basilical, assignable aux premières décennies du XIIe siècle – le pavement est daté de 1141 – est divisé en trois nefs. […] ». Nous répondrons à cette phrase un peu plus loin).

Devant ces difficultés de datation, avec, en particulier, la datation de la construction initiale, nous proposons ceci : la construction initiale doit être datée à partir du premier plan de construction ; ce plan peut être connu par des images de maquettes présentées par le donneur d’ordres ou par le relevé des fondations de l’ouvrage.


Datation par les fondations

Rappelons le texte ci-dessus de Madame Gianna Suitner Nicolini : « Pour la cathédrale de Murano, …, comme pour de nombreuses églises lagunaires, la longue histoire architecturale se termine au XIIe siècle par une reconstruction globale qui confirme l’emplacement (sinon exactement la même orientation) des églises antérieures des VIIe et IXe siècles, prend appui au moins en partie sur les fondations originelles (elles demeurent sous celles de l’église actuelle). ». Si nous comprenons bien cette phrase, il y a eu construction d‘églises au VIIe et au IXe siècle, puis destruction totale de ces églises et construction au XIIe siècle d’une nouvelle église sur les fondations de ces anciennes églises. Tout d’abord, au vu de l’architecture, nous ne sommes pas certains qu’il y ait eu, au XIIe siècle, une destruction totale des parties anciennes. Mais avant cela, nous disons que s’il y a eu construction sur les fondations anciennes, cela signifie que le plan originel du VIIe ou du IXe siècle a été respecté. Et dons, pour nous, l’église n’est pas du XIIe siècle, mais du VIIe ou du IXe siècle.


Analyse de l’architecture

Examinons tout d’abord l’extérieur. On distingue sur les images 1 et 5 plusieurs parties ; soit, de gauche à droite, la nef, le transept, l’avant-chœur, et le chœur. À cela, il faut ajouter la façade Ouest (image 7). Le campanile (image 9) est, quant à lui, détaché de l’église. Nous constatons des différences de parement de certaines de ces parties. Le chevet (image 2) apparaît nettement plus décoré que la façade Ouest (image 7). Mais il existe d’autres différences plus subtiles : entre la façade Sud du transept et les deux portions de nef qui l’encadrent (image 5), entre la même façade Sud et la façade Ouest (images 6 et 7). Par ailleurs, les divers auteurs envisagent une influence double : locale provenant de l’architecture des monuments de Ravenne et française (ou européenne) avec la construction du transept. Bien sûr, ces auteurs estiment que toutes ces influences se sont combinées à la même époque, aux alentours de 1141. Ce qui est problématique sachant que les monuments de Ravenne ont été construits près de 500 ans auparavant. Par l’expérience rencontrée lors des études précédentes sur plus de 2000 églises, nous savons que de nombreuses modifications peuvent être apportées sur un édifice d’origine constitué, dans le cas d’une église, de deux corps de bâtiment simples : la nef et le sanctuaire. Parmi ces modifications, nous avons observé l’introduction d’un transept et l’embellissement du chevet.

Introduction d’un transept. Prenons par exemple les images 2 et 4 de la page de Saint-Apollinaire in Classe de Ravenne. Introduisons dans cette image au travers de la nef un corps de bâtiment transverse à cette nef : nous obtenons l'image 5 de la cathédrale de Murano. Nous avons constaté à de nombreuses reprises qu’un transept avait été introduit dans une nef préexistante. Nous avons aussi constaté que pour l’opération soit possible, il fallait renforcer les quatre piliers situés à la croisée des deux bâtiments. Et c’est ce que nous voyons sur le plan de l'image 8 et sur les images 10 et 12. Les gracieuses colonnes cylindriques monolithes de la nef ont été remplacées par de massifs piliers à section rectangulaire. Il y a là une faute sur le plan de l’esthétique mais s’ils voulaient un transept, les architectes ne pouvaient pas faire autrement. Nous situons l’introduction de ce transept (transept haut donc de la deuxième génération de transepts) dans le courant du XIIe siècle.


Embellissement du chevet

Reprenons la page de Saint-Apollinaire in Classe de Ravenne, avec cette fois-ci l'image 5 de cette page. Supprimons le bâtiment à côté de l’abside et recouvrons les murs de cette abside de galeries, de colonnettes et de tout un ensemble de décors. On retrouve à peu de choses près l'image 2 du chevet de la cathédrale de Murano. En fait, ce serait peut_être un peu plus complexe. Dans la partie inférieure du chevet (image 2), on repère une série de niches (7 pour l’abside, 2 pour chaque corps de bâtiment de part et d’autre de l’abside). Une de ces niches est représentée sur l'image 4. Nous pensons que ces niches faisaient partie du bâtiment d’origine. Mais pas les colonnettes qui les encadrent et les arcs portés par ces colonnettes. Le bloc de maçonnerie contenant ces niches devait à la fois servir de contrefort à la base de l’abside et de support à une terrasse faisant office de déambulatoire entourant l’abside. Les colonnettes en marbre, arcs, décors et toitures du déambulatoire auraient fait partie d’un ajout tardif, peut-être au XIIIe siècle.


L’analyse de l’intérieur (images de 10 à 14)

La nef (images 10 et 11) est caractéristique de celle issue d’une basilique paléochrétienne : nef à trois vaisseaux charpentés avec un vaisseau principal surhaussé par rapport aux vaisseaux latéraux, vaisseau principal porté par des colonnes cylindriques monolithes. Nous pensons cependant qu’elle n’est pas d'époque paléochrétienne : les arcs reliant sont à double, voire triple rouleau, innovation exécutée selon nous peu avant l’an mille (mais qui a pu être effectuée plus tard). Nous notons aussi une particularité : des poutres en bois relient les piliers au-dessous des arcs. Nous avons envisagé que ces poutres en bois devaient servir à porter des tentures comme on le voit sur une image de Saint-Apollinaire-le-Neuf à Ravenne. Mais nous trouvons ces poutres trop épaisses pour cet usage. Nous pensons à présent que ces poutres peuvent servir à atténuer les vibrations.

L'image 14 sans doute prise au début du siècle dernier permet d’observer une partie du pavement en mosaïque. Nous pensons que ce pavement est fondamental pour l’étude de la datation de cette église. Nous l’examinerons dans la page suivante. De même, dans cette page suivante, nous examinerons la mosaïque de fond d’abside. Si, comme nous le pensons, la mosaïque est très ancienne, remontant à la première église estimée du VIIe siècle, alors l’abside est-elle même ancienne dans son côté intérieur. De même, certaines parties du pavement de sol pourraient être très anciens.

Image 15. Cette mosaïque serait datée de l’an 1141. Ce serait elle qui aurait permis de dater l’ensemble de l’église du milieu du XIIe siècle. Voici un extrait du texte de Wikipédia : « La mosaïque complexe du XIIe siècle qui constitue le sol de la basilique des Saints Marie et Donato contient une inscription indiquant la date de sa construction : septembre 1141. En effet, au centre de la nef principale, on lit : In nomine Domini nostri Jhesu Christi Anno Domini Millesimo C.X.L. Primo mense semptembri indictione V (Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, en l’an du Seigneur 1141, au mois de septembre, dans la cinquième indiction). L’œuvre remonte donc à la même époque que le sol en mosaïque de la basilique Saint-Marc. ». Il est difficile de savoir à partir de cette phrase si elle concerne la datation de la basilique ou seulement celle de son sol. Mais ne serait-ce que pour le sol, on peut avoir quelques doutes. En effet, le sol est pavé de deux types de mosaïques : opus tesselatum et opus sectile (c’est le cas de celle-ci). Très probablement, ces deux types de mosaïques ont été installés à des époques différentes.

Quant à la datation de cette église, au milieu du XIIe siècle, nous venons de mettre à mal cette information.


Les mosaïques

Poursuivons la lecture de la page de Wikipédia :

« La mosaïque de l’abside

Dominant l’abside, est le bassin décoré d’une splendide Madone religieuse immergée dans un fond d’or, debout sur un suppedaneum (NDLR : planchette de bois sous les pieds du crucifié), les mains ouvertes sur la poitrine en signe de prière, son doux regard tourné vers sa gauche et sa silhouette élancée, enveloppée dans le manteau et dans le manhorion (NDLR : manteau de la Vierge Marie) d’un bleu intense. Très similaire à la Theodokos (NDLR : titre donné à la Vierge Matie lors du concile d’Éphèse ; il signifie Mère de Dieu) qui domine le bassin de l’église voisine de Santa Maria Assunta in Torcello (même les deux inscriptions contractées M? T? – ??t?? Te?? – sur les côtés sont identiques), cette mosaïque de Murano représente l’une des plus hautes réalisations d’un maître vénitien bien formé à la langue byzantine de la première moitié du XIIe siècle : le style est en fait celui des artisans byzantins qui travaillaient également à San Marco à Venise, par exemple dans la Vierge priant sur le dôme de l’Ascension, et dans la basilique de Torcello datable du dernier quart du XIIe siècle ; mais la linéarité répétée et légèrement plâtrée du drapé et les formes élancées le détachent nettement de la main byzantine qui avait travaillé sur l’abside de Torcello, montrant enfin l’autonomie et le langage artistique typiques de la nouvelle génération de mosaïques vénitiennes après le milieu du siècle. »

Notre point de vue concernant cette mosaïque murale (images 16, 17, 18)

Nous sommes en désaccord avec une partie de ce texte, en particulier en ce qui concerne la datation. Mais auparavant, il nous faut rectifier l’explication sur le coussinet en forme de parallélogramme sur lequel reposent les pieds de la Vierge Marie (image 18). Ce n’est pas selon nous la planchette de bois sous les pieds du Christ en Croix, mais une image, soit de la Terre entière, soit du territoire diocésain de Murano. Il s’agit d’une représentation idéalisée. La terre est mise en image comme un carré, déformé ici par la perspective.

Abordons le problème de la datation. Ie texte de Wikipédia annonce pour celle-ci, « la première moitié du XIIe siècle ». Nous émettons un sérieux doute sur cette affirmation. Et ce pour plusieurs raisons. La première de ces raisons est que nous avons là une mosaïque sur fond d’or. Ce type de mosaïque de mur est rare. Hormis la mosaïque voisine de Torcello que nous devons étudier prochainement, on a à proximité les mosaïques de Ravenne datées du VIe ou VIIe siècle ou du baptistère d’Albenga en Ligurie. Ce sont à notre connaissance les seules situées au Nord de l’Italie. Il y avait semble-t-il, en France, à Toulouse, une mosaïque représentant la Vierge sur fond d’or. Cette mosaïque a disparu, donnant seulement son nom à l’église, Notre-Dame de la Daurade. Pour toutes ces églises, la datation des mosaïques se situe aux alentours du VIe ou VIIe siècle. Ce n’est qu’en Sicile que l’on pourrait trouver des datations plus tardives, à la chapelle palatine de Palerme, à Santa Maria dell’Amiraglio, à Monreale, ou Cefalu. Et nous ne sommes pas certains qu’elles soient toutes du XIIe siècle.

C’est avec la basilique euphrasienne de Poreč (Istrie/Croatie) que nous devons chercher des éléments de comparaison. L’intérêt de cette mosaïque est qu’elle est datée par la présence sur la mosaïque de l’évêque Euphrase, vivant lors de sa réalisation. La date : milieu du VIe siècle. Principale difficulté liée à cette comparaison, les deux représentations de la Vierge sont différentes : celle de Poreč est assise sur le trône céleste portant l’Enfant sur les genoux. Mais on sait que, dans le cas de Poreč, ce n’est pas l’image primitive.de la Vierge. Il est possible que l’image primitive ait ressemblé à celle de Murano (on voit d’ailleurs dans d’autres mosaïques la Vierge représentée debout, dans une attitude hiératique, la tête couverte d’un voile).

Il existe un autre indice d’ancienneté : l’absence de fenêtres dans l’abside. En effectuant nos recherches, nous avons fait la constatation suivante : les premières absides n’étaient pas percées de fenêtres ! C’est d’ailleurs un des éléments qui nous a permis de réaliser une chronologie relative des absides : au début, pas de fenêtre. Puis une fenêtre axiale en forme de meurtrière. Puis éventuellement, ajout d’une autre fenêtre côté Sud-Est, puis élargissement des fenêtres et augmentation de leur nombre. Ceci concerne une évolution dans la construction d’églises nouvelles. Mais la même évolution peut se produire pour des églises anciennes. Car l’opération consistant à élargir une fenêtre ancienne ou percer une nouvelle fenêtre est relativement facile pour des maçons expérimentés.

Lorsque nous avons vu pour la première fois la mosaïque de-cul-de-four de l’abside de Murano, nous avons cherché à savoir ce qu’il pouvait y avoir dans la partie inférieure. Il faut en effet savoir que dans la très grande majorité (pour ne pas dire la totalité) des cas, le cul-de-four est constitué de deux parties, une partie demi-cylindrique constituée par les parois verticales disposées en demi-cercle, et, posée au-dessus de cette partie une autre quart-sphérique. Les absides en cul-de-four des églises du Premier Millénaire étaient recouvertes côté intérieur de fresques ou de mosaïques. La partie supérieure était réservée à une Deisis. C’est à dire à une représentation d’une scène céleste : Jésus-Christ, la Vierge Marie, la Trinité, l’Assomption, le Paradis, etc. Dans la partie inférieure, on avait une scène sainte : par exemple, un cortège d’apôtres ou de saints.

La partie inférieure de la mosaïque de Murano (image 16) ne contient pas de mosaïque, mais deux grandes fenêtres et un décor baroque. Nous en avons déduit qu'à un moment donné, comte tenu des évolution,s on a senti le besoin d’éclairer l’abside. Mais sans toucher à la partie supérieure. On a donc ouvert des fenêtres dans la partie inférieure. Ce qui a provoqué la destruction d’une partie des mosaïques. On a alors décidé d’enlever toutes les mosaïques de cette partie inférieure. Si donc, comme nous l’avançons, il y a eu une ouverture tardive des fenêtres dans la partie inférieure, cela signifie qu’auparavant l’abside n’était pas éclairée. Même pas par une petite fenêtre axiale. Or l’éclairement des absides a selon nous commencé avant l’an mille. Et donc bien avant le XIIe siècle. Il est donc probable que l’abside et la mosaïque datent des alentours du VIIe siècle.


Suite du texte de Wikipédia :

« La mosaïque de sol

Fait de carreaux de porphyre, de serpentine, de marbre et de pierres précieuses, le sol est décoré d’images symboliques utilisées dans l’art chrétien telles que des paons, des griffons, un aigle avec un agneau dans ses serres, des nœuds de Salomon, symboles de l’éternité car il n’est pas possible de les défaire, des dragons et des oiseaux avec des proies, des vagues de mer ... , les grillons qui représentent le foyer domestique. "Le triomphe de la sagesse sur la ruse" est représenté par deux coqs portant un renard à l’envers ; La "grâce divine"» est représentée par des paons se nourrissant de l’Eucharistie qui se trouve dans un calice.

Il existe deux types de mosaïque dans le revêtement de sol :

– La mosaïque
TESSELLATUM (ad opus tessellatum), composée de petites tesselles de forme carrée, utilisées surtout pour les figures et les éléments symboliques typiques des bestiaires médiévaux, allégories des vices et des vertus humaines.

– Le SECTILE (ad opus sectile), quant à lui, ressemble à de petites plaques de marbre découpées en formes géométriques (triangles, carrés, hexagones, etc.). Il est utilisé pour représenter, en termes abstraits et géométriques, le symbolisme religieux le plus élevé. L’art de la mosaïque de la basilique est d’inspiration byzantine et fait référence à la pensée platonicienne : la beauté de la forme réside dans les figures régulières du cercle, du carré, du rectangle, de l’hexagone, de l’octogone. Les différentes compositions de ces figures sont chargées de la représentation visuelle de concepts théologiques. »


Analyse de la mosaïque de sol

Les images 19 et 20 montrent un pavement de mosaïque sectile ; des panneaux de pierres dures colorées ont été découpés dans des formes géométriques (cercles, rectangles , triangles) et diverses dimensions. Les matériaux obtenus ont été assemblées pour obtenir un pavement non figuratif. Ainsi sur l'image 20, on observe un pavement disposant en alternance trois disques et trois carrés. Chacun des disques contient une étoile à six branches. Chacun des carrés contient un plus petit carré muni de disques à chaque extrémité. On note une certaine maladresse dans l’exécution.

L'image 21 contient une partie en opus tesselatum. Cette partie est constituée par des tesselles colorées. Ce sont des petits cubes d’égales dimensions. Le dessin obtenu est en général figuratif. Sur cette image, un ensemble de feuilles fixées sur une tige émergeant d’un vase. Sans doute un Arbre de Vie.

Images 22, 25 et 26. On retrouve ici l’Arbre de Vie. Il est encadré ici par deux oiseaux. C’est la scène que nous avons désignée sous le nom des Oiseaux au canthare. Elle est représentée sous de multiples formes ; le canthare peut être remplacé par un Arbre de Vie ou une croix pattée. Les oiseaux sont remplacés par des hybrides ou des mammifères.

Images 23 et 24. Ici les oiseaux sont des paons et l’Arbre de Vie est un canthare.

Image 27. On a là deux hybrides à corps de quadrupède et tête et ailes d’oiseau. Probablement des griffons. Le canthare semble être très réduit.


Images 28 et 29 : Bien que différentes, ces deux images se ressemblent beaucoup. Les deux hybrides seraient des chimères, animaux marins à queue de serpent, corps, tête et ailes d’oiseau.

Image 30 : Entrelacs de cannage.

Image 31 : Aigle emportant un agneau.

Image 32 : Deux coqs portant un renard.

Images 33 et 34 : Sur chaque image, un aigle impérial.

Image 35 : Mosaîque représentant des arcades. Il y a eu peut-être une influence arabe.

Image 36 : Entrelacs disposés dans un octogone.

Images 37, 38 et 39 : Trois nœuds de Salomon, tous différents.


Petit arrêt de réflexion sur cette partie du texte de Wikipédia concernant les mosaïques

« La mosaïque de sol n’est pas seulement destinée à embellir l’église, mais veut transmettre un message : le but est de guider le croyant dans la contemplation, la réflexion et la prière. L’allée gauche illustre le chemin de l’Église, l’allée centrale le chemin du salut et l’allée droite le chemin du baptême. »

Il nous est difficile de vérifier s’il y a bien trois chemins clairement identifiés par leurs mosaïques dans cette église. Il nous semble que nous les aurions vus en 2005. Et nous ne pouvons pas les identifier sur les photos actuelles. Est-ce pour autant que l’auteur du texte a tout inventé ? Nous ne le pensons pas. En fait, il s’agirait sans doute d’une légende. Un légende est selon nous une histoire qui a été rapportée par voix orale et qui a souvent été déformée. Les trois chemins dont il est question ici pourraient être chacun des vaisseaux d’une nef à trois vaisseaux. À l’origine, les collatéraux devaient être réservés aux catéchumènes en attente de baptême. Le vaisseau central était occupé par les baptisés, le chœur, par le clergé. Ce n’est pas tout à fait la même description. Mais il peut y avoir d’autres explications qui s’interposent avec celle-ci. Comme la procession des vêpres commençant par le collatéral et finissant par l’allée centrale.


La datation des mosaïques de sol

L’auteur du texte d’Internet, se basant sur le texte d’une seule partie de mosaïque en déduit la datation de l’ensemble des mosaïques. Ce faisant, il semble ignorer que les mosaïques peuvent faire l’objet de multiples réparations ou modifications. C’est le cas des mosaïques de mur. Mais c’est encore plus vrai pour les mosaïques de sol. De multiples contraintes peuvent affecter un pavement. Ainsi il suffit parfois qu’une seule tesselle se détache pour que, si elle n’est pas remplacée, toute une partie de la mosaïque disparaisse en quelques mois. Et bien sûr il y a d’autres occasions de destruction.

Nous retenons surtout le fait qu’il y a ici deux méthodes de fabrication, l’opus tessellatum et l’opus sectile. Dans un récent voyage en Tunisie, nous avons appris que ces deux modes opératoires ont été successifs, l’opus sectile ayant été postérieur à l’opus tessellatum. Le problème vient du fait que ces deux modes opératoires se seraient développés avant le VIIIe siècle alors qu’il est question ici du XIIe siècle. Nous pensons cependant que, dans le cas présent, il y a bien eu au moins deux périodes successives. Au cours d’une première période, le pavement a été effectué en opus tessellatum. Durant la seconde période, le pavement en opus sectile a intégré des portions du pavement précédent en opus tessellatum.

Nous pensons qu’il serait nécessaire de faire un plan détaillé de l’ensemble du pavement afin de pouvoir répondre définitivement aux questions posées.

Parmi ces questions, il en est une d’importance : nous ne voyons pas dans les scènes ici représentées de scène typiquement chrétienne. Il semblerait que la scène des Oiseaux au Canthare ou celle du Nœud de Salomon soient hautement symboliques mais on les retrouve sur des représentations pouvant dater du IIe ou IIIe siècle qui ne sont donc pas forcément chrétiennes. Par ailleurs, les hybrides comme le griffon ou la chimère sont visibles sur des sarcophages païens. Le paradoxe est d’autant plus grand que ces hybrides païens qui, dans le cas présent, pourraient avoir été récupérés sur les pavements antique, sont parfois présents sur des chapiteaux d ‘églises romanes datables du XIe ou XIIe siècle.


Le décor du chevet

Nous avions dit auparavant que le chevet avait été probablement modifié par plaquage sur des structures anciennes d’un décor de colonnettes et d’arcs. À cette occasion des pièces d'un décor plus ancien ont été déposées dans diverses niches. Nous pensons que l’ensemble du décor devait provenir d’une clôture de chœur. Voici quelques éléments de ce décor.

Image 40. Le chevet : on peut voir, au-dessus des arcs de la partie inférieure, une corniche formée de petites niches triangulées. Ces niches triangulaires contiennent des objets en marbre, le plus souvent triangulaires. 

Image 41 : Une galerie du chevet, avec à droite, une plaque de marbre contenant des entrelacs carolingiens.

Image 42 : Autre panneau de marbre. On retrouve ici la scène décrite plus haut des « oiseaux au canthare ». Ici on a un seul Arbre de Vie, mais quatre couples d’oiseaux représentés symétriquement picorant les fruits de cet arbre.

Image 43 : Deux chapiteaux de style préroman (d’époque préromane ?).

Image 44. Dans la partie inférieure : élément de corniche provenant d’un chancel carolingien avec un décor de tige sinusoïdale et de virgules accolées ; Dans la partie supérieure, au milieu : oiseau et Arbre de Vie.

Image 45 : À gauche : Arbre de Vie ; au milieu : deux oiseaux encadrent l’Arbre de Vie.

Image 46 : Arbre de Vie.

Image 47 : Animaux associés à un Arbre de Vie ; à gauche : un sphinx ; au milieu : un oiseau ; à droite : un lapin.

Image 48. Dans la partie inférieure : élément de corniche provenant d’un chancel carolingien ; on voit que le décor d’entrelacs a été en partie coupé afin d’introduire la corniche dans son logement. Dans la partie supérieure, au milieu : quadrupède et Arbre de Vie.

Image 49 : Vue d’ensemble d’un décor.

Image 50 : Vue détaillée de ce décor.

Image 51. À gauche et à droite : deux oiseaux encadrent l’Arbre de Vie.

Image 52 : Éléments de décor formés de plaques triangulaires en marbre ou autres pierres de couleur.

Image 53 : Photographie du chevet vers 1880. On constate que les niches de forme triangulaire de la bande horizontale contiennent un nombre assez limité de plaques en marbre. Cela permet de penser que les petites plaques triangulaires de l'image 52 ont été probablement ajoutées lors d’une restauration.


Image 54. Plaque gravée provenant probablement d’un chancel carolingien : « virgules », entrelacs, croix pattée encadrée par deux cyprès.

Image 55 : Face avant d’un sarcophage du VIIIe ou IXe siècle. Trois bandes verticales et deux horizontales encadrent des panneaux carrés. Chacun de ces panneaux contient quatre figures circulaires. Pour chacune des bandes verticales, des figures entrelacées s’extraient d’amphores, s’épanouissent et se terminent par une croix pattée

Image 56. Face avant d’un sarcophage du VIIIe ou IXe siècle : entrelacs et rosaces entourent une croix latine pattée.

Image 57. Face avant d’un sarcophage du IVe ou Ve siècle : un cartouche contenant une croix grecque pattée est encadré par deux personnages nus représentant sans doute des divinités funéraires.

Image 58. Face avant d’un sarcophage du VIIIe ou IXe siècle : sous une bande d’entrelacs, un rameau de feuillages se déroule, enveloppant trois figures en forme de svastikas. À droite, une croix pattée.

Image 59 : Face avant d’un sarcophage du VIIIe ou IXe siècle. C’est le sarcophage de l'image 55.

Image 60 : Le panneau du bas est un reste de chancel carolingien.