Conclusions sur les monuments de Toscane
Les
pièves
C'est au cours de notre étude sur la Toscane que nous avons
découvert ce mot de piève.
Nous l'avions certainement lu auparavant en étudiant des
territoires comme la Corse ou le Piémont, mais nous n'y
avions pas attaché une grande importance, estimant sans
doute que ce mot devait être la traduction en italien de nos
mots français tels que « paroisse » ou « doyenné ». C'est
donc en analysant les diverses pièves
de Toscane que nous avons compris la spécificité de ce type
de construction. Nous avions été auparavant sensibilisé à un
autre mot. Il s'agit du préfixe « plou
» du nom de nombreuses localités bretonnes. Les mots « plou
» et « piève
» ont une même origine, le latin plebs,
qui signifie « peuple » dans le sens « bas peuple ». Lorsque
nous avons étudié la Bretagne, nous avons envisagé que
l'occupation de ce territoire aux terres pauvres s'était
faite en deux temps. Tout d'abord une colonisation romaine
avec création de localités en « plou
» (Plougastel, Pleumeur, Plovan …) suivie d'une autre
colonisation par des peuples bretons issus des îles
britanniques avec création de localités en « lan
» (Landerneau, Lanleff, Landévennec,...).
Dans le cas des pièves,
l'organisation serait semble-t-il un peu différente car il
n'y a pas création d'une localité autour du centre
administratif de gestion ; les pièves
sont des églises isolées en pleine nature.
Avant de rédiger ce paragraphe de conclusion sur la Toscane,
nous avons décidé de faire un retour en arrière et d'essayer
de comprendre ce qui avait pu nous échapper concernant les
pièves en rédigeant des pages sur l'ensemble des régions
d'Italie. Nous avons donc consulté sur Wikipédia la page
intitulée « Liste
des pièves de Corse ».
En voici des extraits :
« La
plus ancienne division administrative de Corse connue est
la piève,
mot venant du latin plebs (peuple)
qui désignait déjà, un siècle avant notre ère, une
circonscription administrative établie par Rome. Au IIe
siècle, Rome crée de nombreuses localités et organise
l'île en pievi (environ
200 à cette époque). À ces structures civiles, viendront
s'ajouter des structures religieuses avec les diocèses. Au
IIIe siècle, le diocèse se divise en
pièves,
calquées sur les pièves civiles. L'ensemble de ces
structures administratives subit d'incessantes
modifications en raison du dépeuplement causé par
l'occupation sarrasine au IXe siècle et les
incessantes incursions barbaresques. Aussi la Corse du XVe
siècle compte-t-elle 2 à 3 fois moins d'évêchés et de pièves
qu'au
Ve siècle. [...]
Dans
la description de l'île que fait Mgr Giustiniani (1470 -
1536), évêque de Nebbio, dans son Dialogo nominato
Corsica,
la Corse avait au Moyen-Âge six évêchés (Mariana, Nebbio,
Accia, Sagone, Aléria et Ajaccio) pour soixante-six
pievi. »
On constate tout d'abord dans ce texte le grand écart entre
le premier siècle avant notre ère énoncé au début et le
quinzième siècle de la fin. Très certainement, la réalité a
été plus complexe. C'est ce que nous découvrons avec cet
autre texte de la page intitulée Diocèse
de Wikipédia :
« Diocèse. Un sens premier :
circonscription de l'Empire Romain
Le dioecesis
(ou diœcesis,
pluriel ou collectif), dans l'Empire romain tardif (à
partir de la Térarchie fondée par Dioclétien à la fin du
IIIe siècle) est une circonscription
administrative regroupant plusieurs provinces et sous la
responsabilité d'un vicaire, représentant civil de
l'empereur; le diocèse à son tour se décomposait en
provinces. Le diocèse était régi par un vicaire du préfet.
(Remarque : les diocèses gèrent des territoires très
vastes. Au moment de leur création, l'empire romain est
partagé en seulement 12 diocèses qui contiennent en tout
96 provinces).
Diocèse. Un sens second dans
les Églises
Dans le catholicisme, le mot désigne le territoire sur
lequel s'exerce l'autorité d'un siège épiscopal
c'est-à-dire d'un évêque.
Les apôtres n'ont pas fondé de diocèse. Ils ont fondé des
Églises, c'est-à-dire des paroisses, en rassemblant des
chrétiens et en les plaçant sous la responsabilité d'un
évêque pourvu de la succession apostolique.
Dans
les Gaules, on trouve les premiers évêques au chef-lieu
des anciennes cités gauloises, devenues circonscriptions
romaines, puis laissées en déshérence au Bas-Empire.
[...]
C'est
le premier concile de Nicée qui a confirmé en 325 ce
principe territorial que les apôtres avaient établi aux
premiers temps de l'Église.
Ce type de subdivision confiée à un évêque fut d'abord
appelé parokia,
et c'est seulement vers le Ve siècle ou le VIe
siècle que le mot diocèse fut
repris de l'administration civile romaine. »
Notre interprétation
Comme nous l'avons écrit ci-dessus, la réalité devait être
plus complexe. Prenons par exemple la phrase « Au
IIIe siècle, le diocèse se divise en
pièves,
calquées sur les pièves civiles. », extraite du
premier texte. On y apprend qu'au IIIe siècle le
diocèse se divisait en pièves. Mais selon le second texte,
au IIIe siècle, le diocèse (dans son sens
religieux) n'existait pas. Par ailleurs, quelle est la
signification de la phrase ci-dessus ? La voici : Au IIIe
siècle, le diocèse est trop important. L'évêque du lieu
décide de le partager en plus petites unités territoriales.
Il a l'exemple des pièves
civiles. Il crée donc de nouvelles pièves,
« calquées
sur les pièves civiles.». Il s'agit là plus d'une
interprétation que d'une lecture raisonnée des textes. Les
historiens ne résistent pas à la tendance à décrire
l'histoire ancienne en comparaison avec l'histoire actuelle.
Nous vivons dans une période de séparation entre l'église et
l'état. On a donc tendance à reproduire cette séparation
dans les temps anciens ; un empire romain laïque à côté ou
opposé à une société catholique uniquement tournée vers la
religion. Et il est difficile d'admettre que des évêques
aient pu user ou abuser d'un pouvoir temporel et que des
princes laïcs aient pu exercer un pouvoir spirituel.
Dans le cas présent, la création de
pièves doit pouvoir être comparée avec
l'évangélisation des peuples du Sud au XIXe
siècle. Il y a envoi d'un ou plusieurs missionnaires dans
une région donnée. Puis conversion des habitants de cette
région. Compte tenu de l'éloignement du lieu, l'évêque ne
peut gérer les affaires de cette région. Il confie donc la
charge de s'en occuper (par exemple pour célébrer les
baptêmes), soit à un des missionnaires, soit à un des
nouveaux convertis. Celui-ci qui a toutes les prérogatives
d'un évêque devient à son tour évêque ou, à tout le moins,
un personnage important de l'évêché primitif.
Les
pièves d'Italie
Par ailleurs, nous avons cherché à savoir s'il existait des
pièves dans d'autres régions d'Italie que la Toscane. Nous
avons trouvé la page de Wikipédia intitulée Categoria
: Pievi d'Italia. L'auteur de cette page s'est
efforcé de recenser toutes les pièves d'Italie en
établissant des liens pour chacune d'elles. Nous ne sommes
pas certains que la liste soit exhaustive.
Grâce aux liens qui nous étaient fournis, nous avons
rapidement analysé chacune des églises citées en essayant
d'évaluer l'ancienneté par rapport à l'an mille. Pour
chacune des régions d'Italie (plus la Corse) évoquées sur
cette liste (couleur
brune, colonne 1),
nous avons indiqué le nombre NP
d'églises paroissiales (ou pièves)
(colonne 2), et,
parmi ces paroisses, le nombre NA
de celles antérieures à l'an mille (colonne
3). Nous avons de plus, en nous aidant des pages de
Wikipédia concernant les régions, évalué la superficie S de chaque région (colonne 4). Ici l'unité
de surface est de 100 km². Ce qui correspond à un carré de
10 km de côté. Cette superficie correspond à celle d'un
canton français de petite taille (de plus grands cantons
peuvent dépasser 400 km², soit un carré de 20 km de côté).
La colonne 5
suivante (couleur
bleue)
établit le pourcentage (NA/NP) x 100 d'édifices
antérieurs à l'an 1000 par rapport à l'effectif total. Il
s'agit là, bien sûr d'une estimation très approchée faite
dans le but d'évaluer des ordres de grandeur et non des
données précises. Les problèmes liés aux incertitudes
diverses sont en effet importants. Prenons la valeur
NP = Nombre de pièves d'une région donnée. Il est
extrait de la page Categoria
: Pievi d'Italia de Wikipédia. Très probablement,
cette page a été constituée d'une façon automatique en
allant cueillir dans toutes les églises documentées sur
Wikipédia celles désignées sous le nom de « piève
» . Mais il est possible que pour deux églises analogues,
l'une soit désignée comme « piève » dans une région, soit
désignée sous un autre nom dans une autre région. De plus,
sachant que chaque page de Wikipédia est une œuvre
individuelle, il faut prendre en compte la motivation du
rédacteur et l'effet d'émulation qu'elle provoque : dans une
région donnée, un individu se passionne pour un certain type
de monuments et crée des articles. D'autres de la même
région poursuivent la recherche ; dans une autre région,
personne ne se préoccupe de cela.
L'autre problème d'incertitude est lié à l'évaluation du
nombre de
pièves présumées antérieures à l'an mille.
Rappelons que cette évaluation, tout en étant basée sur des
critères assez précis, est purement personnelle, celle de
l'individu signant ci-dessous. Si on ne devait ne tenir
compte que de l'évaluation disponible sur les pages de
Wikipédia, il n'y aurait que des 0 dans la troisième colonne
(suivant la formule récurrente : « Il existait une église
avant l'an mille mais ce n'est pas l'église que l'on voit
qui date du XIIe (parfois XIe) siècle.
») . Malgré la précision des critères, il nous faut être
conscients que nous ne pouvons pas tout identifier. Ainsi,
nous avons été obligés d'écarter de nombreux édifices à
décor baroque mais susceptibles de cacher sous ce décor
baroque une appartenance au premier millénaire.
La colonne 6 (couleur verte)
permet de mesurer pour chaque région la densité NP/S
de pièves
(unité de superficie de 100 km²).
La colonne 7 (couleur parme)
permet de mesurer pour chaque région la densité NA/S
de pièves
antérieures à l'an mille (unité de superficie de 100 km²).
Région d'Italie + Corse | Nbre de
pièves = NP |
Avant
l'an 1000
= NA |
Surface
en 100 km² = S |
Pourcentage = (NA/NP) x 100 |
NP/S | NA/S |
Émilie-Romagne | 80 | 21 | 224,5 | 26,3 | 0,35 | 0,09 |
Frioul-Vénétie Julienne | 52 | 2 | 79,2 | 3,8 | 0,66 | 0,03 |
Ligurie | 12 | 3 | 54,2 | 25 | 0,22 | 0,06 |
Lombardie | 123 | 6 | 239 | 4,9 | 0,51 | 0,03 |
Marches | 2 | 1 | 94 | 50 | 0,02 | 0,01 |
Ombrie | 1 | 0 | 84,6 | 0 | 0,01 | 0 |
Piémont | 8 | 2 | 254 | 25 | 0,03 | 0,01 |
Toscane | 258 | 67 | 230 | 26 | 1,12 | 0,29 |
Trentin- Haut-Adige | 55 | 2 | 136 | 3,6 | 0,4 | 0,01 |
Vénétie | 21 | 3 | 184 | 14,3 | 0,11 | 0,02 |
Corse | 66 | 12 | 87,2 | 18,2 | 0,75 | 0,14 |
Nos conclusions à partir de ce tableau
Il faut tout d'abord noter que des régions comme l'Ombrie ou les Marches contiennent très peu de pièces (1 pour la première, 2 pour la seconde). Nous-mêmes avons trouvé beaucoup plus d'églises (20 pour la première, 26 pour la seconde). Cela vient très probablement du fait que les églises de ces régions n'ont pas été désignées sous le nom de « pièves ».,
Autre remarque : pour d'autres régions comme le Frioul-Vénétie Julienne ou le Trentin-Haut-Adige la densité de « pièves » semble à peu près normale, mais à l'inverse, celle des édifices antérieurs à l'an mille apparaît très insuffisante. Nous pensons que cela viendrait du fait que dans le cas de ces églises le mot de « piève » est synonyme de « paroisse ». Il identifie un territoire et non un monument. D'ailleurs on ne retrouve pas dans ces régions les éléments caractéristiques observés dans les pièves de Toscane. En particulier celui-ci : en Toscane, les pièves sont situées dans des lieux isolés. Dans ces régions, elles occupent le centre des agglomérations.
Qu'en est-il à des régions plus proches de la Toscane ? On pourrait en effet penser que par contagion de proximité, ces régions soient plus densifiées en « pièves ». Si on se base sur celles estimées antérieures à l'an mille, les densités sont les suivantes : le Piémont (0,01) ; la Vénétie (0,02) ; la Lombardie(0,03), à comparer avec la Toscane (0,29). La densité en pièves serait 10 fois plus forte en Toscane qu'en Lombardie ! C'est là une statistique à laquelle nous ne nous attendions pas ! Ce d'autant que durant notre étude, nous avons envisagé que les pièves pouvaient avoir été créées à destination des Lombards. Et où trouve-t-on des Lombards si ce n'est en Lombardie ? Une autre surprise est celle du Latium. A-t-il été oublié, à moins qu'aucune piève y ait été trouvée ?
Il reste deux autres régions : la Ligurie (0,06) et l’Émilie-Romagne (0,09). Nous pensons que ces deux régions, voisines de la Toscane, ont été en partie concernées par ce phénomène des « pièves de Toscane ». La Corse est-elle aussi concernée ? Il ne faut pas oublier qu'avant de devenir française, la Corse dépendait de Gènes, et auparavant de Pise en Toscane. Certaines églises de Corse sont tout à fait comparables aux pièves de Toscane.
Nous pensons que l'examen qui vient d'être fait n'est qu'une ébauche. Il apparaît que l'étude que nous avons faite est insuffisante. Tout d'abord en ce qui concerne notre recherche sur la Toscane, la liste de pièves révélées par la page Categoria : Pievi d'Italia nous a appris que l'on pouvait ajouter une quarantaine de monuments aux 70 décrits sur notre site. Il faudrait aussi effectuer un retour sur la Ligurie et l’Émilie-Romagne. Nous pensons aussi que l'étude des textes historiques (y en a-t-il beaucoup de cette période ?) et de l'iconographie comparée pourrait apporter des renseignements importants. Pour l'heure, il n'est pas question pour nous de nous en occuper car nous avons d'autres projets en attente. Nous espérons que quelqu'un d'autre prendra le relais.