La collégiale Saint-Martin de La Canourgue
Un panonceau situé à l'entrée de
l'édifice nous révèle ceci : « La collégiale Saint-Martin.
Le monastère Saint-Martin aurait été fondé par Sainte
Énimie, sœur du roi Dagobert. Il fut cédé le 4 juillet
1065 à l'abbaye Saint-Victor de Marseille qui construisit
au XIIesiècle l'église actuelle, l'une des
plus grandes du Gévaudan. Son style est celui des églises
auvergnates de pèlerinage : une longue nef centrale
séparée des deux nefs latérales par cinq ouvertures avec
des arcs en plein cintre. Pour assurer dans de bonnes
conditions la circulation des pèlerins, les deux nefs
latérales se prolongeaient par un « déambulatoire » qui
encerclait le chœur. Trois absidioles voûtées en
« cul-de-four » étaient greffées sur ce déambulatoire.
Cette église a subi maintes destructions au cours des
siècles. Aux XVeet XVIesiècles,
effondrement du chœur et déprédations par les ligueurs et
les protestants, chœur reconstruit et fermé aujourd’hui
par un grand mur de style Renaissance avec une fenêtre
rectangulaire au-dessus de l'autel. En 1670, le «
clocher-porche » s'effondre à son tour, entraînant dans sa
chute des deux dernières travées de l'église qui n'ont
jamais été reconstruites. L'église d'aujourd'hui est un
peu disproportionnée car elle a gardé sa hauteur
primitive, mais elle est deux fois plus courte qu'à
l'origine. »
Dans le texte précédent, il y aurait
beaucoup d'idées à remettre en question. Nous n'en
retiendrons que deux. D'abord le ton, un ton affirmatif.
L'auteur est certain de ce qu'il avance. Alors que
nous-mêmes ne proposons que des hypothèses. Et puis,
deuxième idée audacieuse : il nous apprend que cette église
est du XIIesiècle. Comme pour le ton de
certitude, il s'agit là d'une dérive que nous avons
rencontrée à de nombreuses reprises ... et que nous avons
critiquée. Entendons nous bien ! Il est fort possible que
cette église soit du XIIesiècle. Mais que
l'église soit du XIIesiècle alors que le
monastère est cité en 1065 est quand même un peu gros.
Pendant près d'un siècle, les moines auraient vécu à La
Canourgue sans aller à la messe ? Nous avons de la
difficulté à le croire. Cependant, direz-vous, il y avait
bien une église au XIème
siècle, mais cette église a disparu et a été remplacée
par l'église actuelle au XIIesiècle. Sauf que
cette église, on aimerait bien la voir. Un bâtiment ne
disparaît pas comme par enchantement. Il y a toujours des
restes. Que l'on doit rechercher si on veut prouver
l'affirmation. Et, en admettant que, à certaines occasions,
on puisse envisager qu'une église citée au XIesiècle
ait été entièrement détruite pour être remplacée par une
église du XIIesiècle, il est douteux que cette
pratique doive être généralisée à toutes les églises.
Essayons à présent d'étudier
l'architecture de cette église. On vérifie sur l'image
1 de la façade Ouest la véracité d'un effondrement
partiel de la nef en 1670. Les traces des voûtes des
collatéraux sont visibles sur cette façade.
La phrase du panonceau : « Son
style est celui des églises auvergnates de pèlerinage
... » est probablement issue de l'examen du chevet (et non
de la nef). Ce type de chevet, à déambulatoire et chapelles
rayonnantes (images 4 et
5), est présent dans les églises majeures
d'Auvergne (plus exactement du département du Puy-de-Dôme).
Nous ne pensons pas cependant qu'il soit caractéristique
d'un art roman auvergnat ou d'une église de pèlerinage. On
le trouve en effet ailleurs qu'en Auvergne ou dans des
églises pour lesquelles un pèlerinage de portée
internationale n'est pas avéré (ce pourrait être le cas de
La Canourgue). Nous pensons plutôt que ce type de chevet est
caractéristique d'une période et de changements liturgiques
au cours de cette période. Une période qui se situerait au
cours d'un deuxième âge roman (XIIesiècle)
avec continuité dans les siècles suivants. La plus grande
densité de ce type de chevet en Auvergne viendrait selon
nous d'une plus grande richesse de cette région au cours de
cette période.
La nef comporte 3 vaisseaux. Le vaisseau central est porté
par des piliers de type R1111.
Les arcs reliant ces piliers sont doubles. Ce vaisseau
central est voûté en croisée d'ogives (images
6 et 7).
Le collatéral Nord est quant à lui voûté en berceau plein
cintre. La présence d'une paire de colonnettes placées sur
des pilastres adossés aux parois fait envisager qu'il a pu
être surélevé (image 8).
L'examen des piliers (images
9 et 10) fait apparaître une « interruption
stylistique ». Le tailloir situé au-dessous des deux
chapiteaux est prolongé côté vaisseau central par un bandeau
ou une corniche de forme identique. Mais au milieu du
pilier, la colonne demi-cylindrique vient couper ce bandeau.
Nous avons rencontré cette « interruption stylistique »
assez fréquemment. Nous pensons même qu'il s'agit d'un «
taxon », un caractère significatif de deux opérations
successives : la pose de la corniche puis la pose de la
colonne demi-cylindrique. Si les deux opérations avaient été
simultanées, les maçons auraient pris soin de réaliser le
contournement de la colonne par le bandeau ; voir à ce sujet
la page
consacrée à Til-Châtel (Côte d'Or/ Bourgogne).
Nous déduisons de cette constatation que l'édifice primitif
devait être charpenté. Les piliers devaient être de type R1010 ou
éventuellement, de type R1110.
Ultérieurement, on aurait transformé ces piliers en piliers
de type R1111 par
l'ajout côté des voûtes des colonnes demi-cylindriques
permettant de porter les arcs doubleaux soutiens de ces
voûtes. Cette idée, nous l'avions émise pour les églises
étudiées précédemment à Chirac et Ispagnac. Mais sans
disposer d'arguments solides permettant d'étayer la théorie.
Ces arguments solides, nous estimons les avoir en ce qui
concerne l'église Saint-Martin de La Canourgue. En effet, la
voûte en croisée d'ogives du vaisseau central est « gothique
», donc nettement postérieure aux piliers et aux voûtes en
plein cintre des collatéraux. Sachant qu'on ne peut laisser
une construction sans couverture d'un toit pendant plus d'un
siècle, on peut envisager deux possibilités :
Première possibilité : une
construction en deux temps. La nef primitive est à
trois vaisseaux ; les collatéraux sont voûtés, le vaisseau
central est charpenté. Dans un deuxième temps, le vaisseau
central est voûté.
Deuxième possibilité : une
construction en trois temps. La nef primitive est à
trois vaisseaux charpentés. Dans un deuxième temps, les
collatéraux sont voûtés en berceau plein cintre, le vaisseau
central reste charpenté. Dans un troisième temps, le
vaisseau central est voûté en croisée d'ogives.
Les images 11, 12 et 13 décrivent
le chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes. Nous
pensons que ce chevet, qui a par ailleurs souffert, n'est
pas le chevet primitif. Le chevet primitif devait être
constitué de trois absides (une abside centrale encadrée par
deux absidioles) situées dans le prolongement des vaisseaux
de la nef. Ultérieurement, lorsque la mode des chevets à
déambulatoire s'est imposée, il a été décidé de créer un
déambulatoire autour de l'abside centrale après avoir
supprimé les absidioles. Il ne s'agit là que d'une hypothèse
déjà formulée pour certaines églises comme Bozouls. Nous
attendons les résultats d'autres études pour la confirmer.
Les images
de 14 à 18 permettent d'observer le décor de
quelques chapiteaux. Malheureusement, ces images ne sont pas
(pour le moment) significatives d'un style ou d'une période.
Le seul chapiteau présentant un décor vraiment original est
celui de l'image 18.
Mais nous n'arrivons pas à le dater.
Datation envisagée pour
l'église Saint-Martin de La Canourgue : an 900 avec un écart
de plus de 100 ans.