Le golfe des Pictons (ou marais poitevin) : page 1 

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Bien que cet article soit situé dans le chapitre «Monuments», il ne décrit pas un ou plusieurs «monuments» tels que ceux que nous avons l'habitude de décrire, principalement des édifices civils ou religieux. Et ce, bien que nous ayons l'occasion de mentionner dans cette page l'existence de certains édifices anciens. Le «monument» dont il est question ici est le marais poitevin, ancien golfe des Pictons. Ainsi, nous raisonnons à l'image de ce qui est fait sous la dénomination de, «inscrit au Patrimoine Mondial de l'Unesco», où l'on peut retrouver sur le même plan des édifices, des ensembles d'édifices (fortifications de Vauban), des éléments de culture. Nous estimons que le marais poitevin est en lui-même un monument historique. Et un monument historique des plus intéressants car il s'agit d'une «histoire stratifiée» -nous aurons l'occasion de décrire cette expression en fin de page-.

Genèse de la réflexion. À l'occasion d'un voyage effectué au Liban, notre guide nous a communiqué l'information suivante : on constate que, sur une carte de l'ancienne Phénicie (image 1), les principales villes étaient des ports situés à intervalles réguliers d'une trentaine de kilomètres. Selon lui, les marins-marchands phéniciens pouvaient franchir cette distance en une journée de navigation. Ce qui explique la distance entre deux villes successives. Nous avons été convaincus par cette explication. Et nous avons songé à la transposer à d'autres contrées que le Liban. En particulier, la France. Par ailleurs, nous avions appris que la civilisation phénicienne avait été florissante entre le Xesiècle avant J.-C. et le IVesiècle avant J.-C. Cette civilisation a fondé la ville de Carthage, elle-même florissante aux
Ve et IVesiècles avant J.-C. Dans le même temps, les cités grecques ont aussi connu une période prospère dans le commerce maritime, fondant de nombreux comptoirs dans le monde méditerranéen. Ces fondations, comme celle de Marseille, étant plus ou moins légendaires, nous ne sommes pas certains des datations, qui auraient besoin d'être réexaminées à la lecture des données archéologiques. Autre information dont nous disposons : un commerce important existait déjà dès la période néolithique ; des objets de pierre taillée ont été retrouvés à des centaines de kilomètres de l'emplacement du matériau d'origine. Une partie de ce commerce était effectuée par voie maritime.

L'idée inspirée par la répartition des cités de la côte phénicienne est donc la suivante : dès la période néolithique, un commerce maritime s'effectue par cabotage le long des côtes. Au début, les objets circulent par échanges entre marchands et indigènes. Les points d'ancrage des bateaux deviennent de petits ports (ce que l'on voit encore dans la forêt amazonienne). Puis ces ports prennent un peu plus d'importance et deviennent de petites cités. Durant la protohistoire, qui correspond à la période faste de la civilisation phénicienne, ces cités, alors nettement moins importantes que les villes de Phénicie, sont espacées d'une distance correspondant à une journée de navigation. À partir du Ve ou du IVesiècle avant J.-C., les progrès en matière de navigation (architecture navale, cartographie, météorologie, signalétique navale) permettent d'augmenter les distances de trajet d'un port au port suivant. Ces derniers ports, mieux localisés, prennent plus d'importance et deviennent des pôles en vue d'une colonisation du territoire.

Venons en, à présent, à la carte de France de l'image 2. Sur cette carte, nous avons identifié les ports antiques (du moins ceux que nous connaissons).

En ce qui concerne la Côte de la Méditerranée, nous avons marqué successivement et de gauche à droite : Narbonne, Béziers, Agde, Lattes (près de Montpellier), Nimes (ou dans son voisinage), Arles, Fos, Marseille, Fréjus, Antibes.

En ce qui concerne la Côte de l'Atlantique et de la Manche, successivement :Dax (?), Bordeaux, Saintes (?), Nantes, Vannes, Saint Pol de Léon, Dinant (?), Dol (?); Portbail, Lillebonne. Il y aurait aussi, plus au Nord, Boulogne. Et, au Sud, sur la côte méditerranéenne, Port-Vendres.

Il existe d'autres ports cités dans la documentation mais que nous n'avons pas identifiés (exemple : Ruscino et Illiberis sur la côte roussillonnaise).

L'historien scrupuleux de la lecture des sources écrites objectera sans doute que nous citons sans preuve comme ports côtiers des villes situés à plusieurs kilomètres, voire plusieurs dizaines de kilomètres des côtes. Nous lui répondrons tout d'abord que lui-même certifie que des ports comme Port-Vendres, Antibes, Bordeaux étaient antiques alors que, à notre connaissance, il n'existe aucune preuve archéologique de cela. Mais au delà de toute cette polémique stérile, il faut revenir à ce que nous avons dit au début concernant le commerce méditerranéen : durant la période protohistorique, il devait y avoir un port tous les (environ) trente kilomètres de côte ; durant les débuts de la période historique, il devait y avoir un port tous les (environ) cent kilomètres de côte. C'est ce qu'illustre la partie de carte du Golfe du Lion : durant la période protohistorique les ports de Port-Vendres, Illiberis, Ruscino, Narbonne, Béziers, Agde, Lattes, Nimes, Arles, Fos, dont certains sont reliés par les traits en rouge. Aux Veet IVesiècles avant J.-C., les ports grecs d'Empurias (en Catalogne), Agde et Marseille, reliés par les traits en ocre.

Que constate-t-on ? que cette structure est présente sur le Golfe du Lion et pas ailleurs en France. Pourquoi cette anomalie ? Ou, plus exactement, ces anomalies. Car il y a plusieurs phénomènes qui interviennent simultanément.

Le premier d'entre eux est celui de la transgression marine qui se traduit par une montée des eaux (ce serait plutôt une descente des zones terrestres) depuis la dernière glaciation. Cette montée des eaux s'est décélérée au cours des siècles. Elle serait d'environ un mètre depuis l'an 1 de notre ère sur la côte narbonnaise.

Le deuxième phénomène est celui de l'érosion terrestre due aux précipitations. Elle se traduit par l'aplanissement des montagnes et le comblement des vallées et des fosses marines. Dans la plupart des cas, son effet est supérieur à celui de la transgression marine.

Le troisième phénomène est celui de l'érosion marine. Celle-ci a un effet différent de celui de l'érosion terrestre. Cette dernière se déroule verticalement alors que la première se déroule horizontalement : les caps sont rabotés, les baies sont comblées. C'est la raison pour laquelle on n'a pas trouvé de restes de ports antiques à Port-Vendres ou sur la côte entre Marseille et Fréjus. Situés dans des caps, ils ont été au fur et à mesure emportés par la mer. Inversement, les ports qui étaient situés dans les estuaires des fleuves côtiers existent encore ... mais sous quelques mètres d alluvions. À ce sujet, nous n'avons pas été très honnêtes en ce qui concerne les ports antiques de Narbonne, Béziers, Lattes, Nîmes. Leur localisation n'est pas forcément fixée à ces villes. Situés à l'embouchure des fleuves, ils ont été déplacés au fur et en mesure de leur enfouissement par les alluvions de ces fleuves. Ainsi le port de Narbonne a occupé successivement les emplacements suivants : Montlaurès, Narbonne, la Nautique, la Nouvelle.

Venons-en maintenant à la côte Atlantique. Nous savons que les navigateurs carthaginois, puis grecs, ont franchi le détroit de Gibraltar et se sont dirigés, soit vers le Sud en longeant les côtes africaines, soit vers le Nord en contournant la péninsule ibérique. Nous ne savons pas si ces navigateurs ont créé des comptoirs permanents mais c'était chose faite pour les romains. Ceux-ci avaient une connaissance approfondie des contrées nordiques. Ils ont envahi l'Angleterre au premier siècle de notre ère. Une telle expédition a dû exiger d'importants déplacements de troupes par bateaux. Même si certains de ces bateaux ont été fabriqués sur place, à Boulogne, la plupart des autres sont venus de Rome ou d'autres villes de la Méditerranée. Un tel déplacement a été très probablement programmé, et la possibilité d'affronter une tempête, prise en compte. En conséquence, les organisateurs de cette expédition avaient prévu d'utiliser des ports disposés tout le long du trajet ayant une capacité d'accueil suffisante. Des ports qui existaient auparavant On peut donc penser que sur toute la longueur de la côte atlantique, de la péninsule ibérique et de la France, étaient échelonnés des ports ; de grands ports tous les 100 km de côte, de plus petits ports tous le 10 km.

Ces ports, on n'en voit qu'une petite partie sur notre carte de France. Certains existent encore à leur emplacement d'origine : Bordeaux, Lillebonne, Nantes. Nous avons appris récemment l'existence du site de Barzan sur la côte Nord de l'estuaire de la Gironde. Mais entre Barzan et Nantes, apparemment aucun port. Sauf que ... ! Il y a la ville de Saintes, ancienne cité romaine, située sur le fleuve Charente à 40 km de son embouchure sur l'Océan. Mais à une altitude minimum de seulement 2m. À titre de comparaison, l'altitude minimum de Béziers, que nous estimons avoir été port d'estuaire dans l'Antiquité, est de 4m. Nous pensons donc que Saintes, pourtant fort éloigné de l'Océan, a aussi était un port maritime romain. Il en serait de même pour Dax dans les Landes et Dol dans la Baie du Mont-Saint-Michel.

Cependant il doit exister encore des ports antiques non repérés. Ainsi sur toute la côte des landes de Gascogne, la côte vendéenne et la côte armoricaine.


Venons en à présent au marais poitevin.

Deux articles de l'encyclopédie en ligne Wikipedia nous ont particulièrement inspirés. Nous vous en conseillons la lecture. Les références sont les suivantes :

Golfe des Pictons : https://fr.wikipedia.org/wiki/Golfe_des_Pictons.

Marais poitevin : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marais_poitevin.

L'image 3 est celle de la côte vendéenne (en blanc le département de la Vendée ; en-dessous à gauche, le département de la Charente, et, à droite, le département des Deux-Sèvres). Sur l'image 4, le marais poitevin est reconnaissable au tracé de canaux. L'image 5 représente une petite partie du marais poitevin. L'image 6 est celle d'une zone desséchée (le marais poitevin contient deux formes différentes d'espaces naturels : le marais humide et le marais desséché).


La carte de l'image 7 représente le Golfe des Pictons avant son comblement qui l'a transformé en marais poitevin. Nous n'avons aucune information sur cette carte conçue probablement par un érudit du XIXeou XXesiècle. Nous aimerions en particulier savoir quelle est la période de l'Antiquité concernée par cette carte. Car il y a plusieurs périodes possibles. Et les rédacteurs des pages d'Internet semblent privilégier la période néolithique. Sur cette carte, est marqué l'ancien nom de ce golfe, «duorum corvorum» : le golfe des deux corbeaux. Les corbeaux dont il est question ici ne sont certainement pas des oiseaux. Ni des pièces d'architecture. Nous pensons aux corbeaux qu'utilisaient les romains, des sortes de grands crochets faits pour harponner les navires. Peut-être que dans le cas présent, il s'agit de grands ponts basculants à l'image des corbeaux-harpons de la marine romaine.

Reprenons les explications données par le rédacteur de la page du site Wikipedia relative au marais poitevin : «- 5000 ans av. J.-C. jusqu'au IXe siècle : Avant cette période, la marée remontait jusqu’aux portes de Niort. Mais l’homme n’étant pas sédentarisé, nous n’avons pas de traces écrites. Des traces d'occupation pré-et-protohistorique ont été identifiées sur ses anciennes rives et sur les anciennes îles aujourd'hui incluses dans les terres. L'ancien golfe des Pictons, ou Lac des deux corbeaux (noms légendaires donnés bien plus tard, aucune preuve de l’utilisation à l’époque des Romains), se comble peu à peu. On estime qu'à l'époque gallo-romaine, la marée remonte jusqu'à Marans du côté de la Sèvre Niortaise, Champagné-les-Marais, Saint-Denis-du-Payré du côté de la Vendée. Les dépôts de bris avaient déjà bien comblé une bonne partie du Marais Poitevin actuel. »

Le texte nous dit : «Avant cette période...» - c'est-à-dire avant l'an 5000 av. J.-C - « la marée remontait jusqu’aux portes de Niort ».

Un peu plus loin nous avons la formule suivante; « Lac des deux corbeaux (noms légendaires donnés bien plus tard, aucune preuve de l’utilisation à l’époque des Romains) ». Ces phrases méritent quelques petits rectificatifs. D'une part, il est peu probable qu'avant l'an 5000, la mer ait pu remonter jusqu'aux portes de Niort. L'auteur ignore ou néglige les effets de la transgression marine décrite précédemment. On estime que durant les deux derniers millénaires, le niveau de la mer est monté d'environ 1 mètre et qu'auparavant la montée des eaux marines était plus forte encore (actuellement certains mégalithes sont dans la mer). En conséquence il y a 7000 ans le niveau de la mer devait être à au moins 3,5 mètres en dessous du niveau actuel.

Par contre, il est fort possible qu'à l'époque romaine, la mer ait atteint la ville de Niort. Et que des restes d'un port romain subsistent sous la ville de Niort. Faisons les calculs : L'altitude minimum de Niort est de 2m. Si on ajoute 1m dû à la transgression marine, le niveau le plus bas de Niort n'est qu'à trois mètres au-dessus du niveau 0 de l'époque romaine. C'est peu... mais c'est beaucoup pour des fouilles archéologiques qui, dans le cas présent, ne peuvent être effectuées qu'à l'aveuglette.

En ce qui concerne la dernière phrase « aucune preuve de l’utilisation à l’époque des Romains », elle traduit un état d'esprit : la volonté d'asseoir un raisonnement sur des «preuves» ; si un document -en général un texte écrit- existe, c'est une preuve. Si une hypothèse est émise, mais non confirmée par un document, l'hypothèse est rejetée. On oublie que, dans la plupart des cas, les documents ont disparu ou n'ont pas été constitués (je ne possède aucun document concernant mes arrière-grands-parents, mais je sais qu'ils ont existé ... et qu'ils ont eu des enfants, des petits enfants, et au moins un arrière petit-enfant).

La carte de l'image 9 est datée de 1690. On constate que, sur cette carte, les villages de Charron et de Marrans sont situés dans des îles au milieu de marécages (marais-humide) alors que, actuellement, les mêmes zones sont desséchées. La baie de l'Aiguilhon n'est pas encore formée. Les marais s'étendent jusqu'à Saint-Jean-de-Liversay. Il faudrait bien sûr procéder à un examen plus minutieux que ce que nous faisons et faire des études comparatives, mais il nous semble que le passage marais humide au marais desséché doit correspondre à une élévation du terrain (50 cm ?, 1m ?). Cette carte constitue pour nous un indice important. Elle tend à démontrer que le comblement du Golfe des Pictons a été rapide. Et il est fort possible que, durant la période romaine, la mer ait remonté jusqu'aux portes de Niort, enseveli depuis sous plusieurs mètres d'alluvions.

Jusqu'aux portes de Niort ... et de Fontenay-le Comte. Car si Niort se trouvait, à l'époque romaine, à l'embouchure de la Sèvre Niortaise, Fontenay-le-Comte se trouvait quant à elle à l'embouchure de la rivière Vendée.

Nous cherchions des ports antiques sur la côte vendéenne. Il est possible que nous en ayons trouvé deux : Fontenay-le-Comte et Niort.

Le plan de l'image 10 a lui aussi été extrait d'Internet. Il montre deux étapes correspondant à l'envasement du Golfe des Pictons.

Nous avons reproduit ce plan sur l'image 11. Et construit un autre plan du marais poitevin situant les communes de ce territoire (image 12).


Les images suivantes 13, 14, 15 mettent en apparence la superposition progressive de ces deux cartes. Le but est de montrer que ces villages occupent soit des anciennes îles du Golfe des Pictons, ou des bordures du plateau continental ou des lits de rivières.

En ce qui concerne les images 16, 17, 18, 19 et 20, nous essayons de montrer comment a pu s'effectuer l'envasement progressif, le principe étant le suivant : création d'un cordon littoral isolant un étang de la mer : puis marais salant ; puis marais humide, puis marais desséché. Cette étude est, disons-le tout de suite, très superficielle, et certainement entachée de nombreuses erreurs ou imperfections. Elle se situe plutôt comme un objet de réflexion que de démonstration. L'idée première était que la colonisation du territoire s'était faite progressivement de l'Est vers l'Ouest par l'occupation de cordons littoraux créés par des chapelets d'îles (Doix-les-Fontaines, Saint-Pierre-le-Vieux, Maillezais, Liez, Benet), (Velluire, Vix, Maillé, Damvix), (Moreilles, Chaillé-les-Marais, Vouillé-les-Marais). Nous ne sommes pourtant pas certains que ce soit la bonne réponse à nos questions.

Nous avons aussi essayé d'effectuer une datation à partir de la toponymie des divers villages du marais. Ainsi, à travers les appellations de Vix et de Damvix, nous devinons le nom gallo-romain de «vicus» signifiant «village», qui permettrait d'avancer l'hypothèse d'une installation permanente d'une population sur ces îles du marais à partir du IIeou IIIesiècle de notre ère. Cette installation permanente correspondrait à une activité nouvelle indépendante de la pêche (salines? exploitation de prés salés?). De même, les mots de Maillé ou de Maillezais pourraient être issus du gaulois «magus» signifiant d'abord «esplanade» puis «marché». Là encore, il ne s'agit que d'hypothèses qui doivent être confrontées à d'autres hypothèses ou éléments de comparaison.