Conclusions du chapitre concernant la Normandie
Dans les pages précédentes concernant la
Normandie, le nombre de monuments étudiés s'élève à 43. Ce
nombre peut paraître important. Nous l’estimons au contraire
bien petit. Quarante trois monuments sur onze siècles (pour
une étude plus précise, nous avons ajouté le onzième
siècle), cela fait seulement quatre monuments par siècle.
Mais il ne s’agit là que d’une estimation rapide. De fait,
plus les monuments sont anciens, moins il en reste. En
conséquence, il doit y avoir plus de monuments du XIesiècle
que du IVesiècle. Il faut par ailleurs
admettre que la plupart de ces « monuments » ne sont en fait
que des parties de monuments. Le plus souvent, il ne s’agit
que de la nef d’une église ou même d'une partie de nef.
Notre étude n’a pas été exhaustive. Il nous aurait
d’ailleurs été difficile de la rendre exhaustive car nous
n’habitons pas en Normandie. On peut donc penser qu’il
existe en Normandie d’autres monuments susceptibles de dater
du premier millénaire. C’est probablement le cas. Mais une
recherche plus approfondie prendrait beaucoup de temps et
ce, au préjudice de l’analyse de monuments d’autres régions.
Vouloir faire une statistique sur ces
maigres données relève de la gageure. Nous allons néanmoins
nous y essayer.
Disparité des églises
Il faut tout d’abord constater une disparité à l’intérieur
de la région de Normandie, certains départements comme le
Calvados et la Seine-Maritime apparaissant plus pourvus en
monuments que d’autres (l’Eure et l’Orne). Cela peut
s’expliquer pour des raisons historiques. Le département de
Seine-Maritime est placé en bordure de Seine qui était une
voie de communication dans l’Antiquité. Le Calvados contient
la ville de Caen qui fut la capitale des princes de
Normandie.
Les nefs à trois vaisseaux
C’est dans cette ville de Caen et dans ses alentours que
l’on découvre un type d’église particulier : les églises à
nefs à trois vaisseaux ayant des piliers rectangulaires de
type R1010 avec
des arcs doubles intercalés entre les piliers. Le modèle de
base se trouve à Bernay. Primitivement, les églises étaient
charpentées comme à Bernay. Ultérieurement, elles ont été
voûtées, comme à La Trinité et Saint-Étienne de Caen.
La plupart des spécialistes de l’art roman ont affirmé que
ces églises sont postérieures à l’an 1066 (conquête de
l’Angleterre par Guillaume le Conquérant). Cependant, aucun
ne signale que la construction des églises s’est en général
faite en deux temps, le deuxième temps étant celui du
voûtement qui, dans de nombreux cas, a été effectué à
l’époque gothique.
On aimerait en savoir un peu plus sur
les méthodes de datation de ces spécialistes. Est-elle
purement objective ? Ou circonstancielle ? Purement
objective signifierait qu’il existe, par exemple, des textes
précis faisant directement référence à cette construction
(achat des terrains, projet d’architecte, devis de
construction, factures, allusions diverses). Ou des preuves
archéologiques (pierres de fondation, datation au C14, etc).
Circonstancielle serait en rapport direct avec la conquête
de Guillaume. Le raisonnement serait le suivant : en 1066,
Guillaume conquiert l’Angleterre. Il devient riche. En
conséquence, il construit des églises. Donc toutes les
églises sont postérieures à 1066. Nous ne pouvons souscrire
à ce type de raisonnement qui nous semble un peu primaire.
Et contraire aux diverses observations : la plupart des
conquêtes sont provoquées, non par des états pauvres, mais
plutôt par des états riches qui essaient d’accroître leur
influence. Si Guillaume le Conquérant a débarqué en
Angleterre, c’est qu’il avait la capacité de le faire. La
Normandie devait donc être riche avant l’avènement de
Guillaume le Conquérant. De plus, le comportement de
Guillaume le Conquérant n’est pas celui d’un pillard qui
s’empresse de dérober les richesses pour les ramener chez
lui. Bien au contraire, tous ses efforts visent à
l’installer en Angleterre comme roi. Il n’a aucun intérêt à
appauvrir ce pays nouvellement conquis.
Dans l’attente d’une meilleure connaissance sur la méthode
de datation des églises de même configuration que les trois
églises de Caen (La Trinité, Saint Etienne et
Saint-Nicolas), nous pouvons proposer notre propre
évaluation basée sur la comparaison architecturale.
Comparaison avec des
églises de Bourgogne
Notre base comparative se situe en Bourgogne à Vézelay et
Autun. Le livre « Bourgogne
Romane » de la collection
Zodiaque date la construction de la nef de Vézelay
entre les années 1120 et 1132. Dans le même livre, l’auteur
hésite sur la datation de la nef d’Autun mais nous apprend
que : « Aux premières
années du XIIesiècle, l’évêque Etienne de
Bâgé,… entreprit d’enclore la sainte relique (de Saint
Lazare) dans un écrin digne d’elle… Les travaux furent
aussitôt entrepris. Le 28 décembre 1130, Innocent II
procédait à la dédicace de l’église… ». Bien que
l’auteur de ce texte doute que l’église d’Autun ait pu être
achevée à cette date, on peut (on doit) estimer que le plan
de la nef de l’église consacrée en 1130 est bien celui de
l’église actuelle. Or, ce plan ayant permis la construction
de l’église peu avant l’année 1120, révèle de fortes
innovations par rapport à celui de Vézelay : à Vézelay, les
arcs intercalés entre les piliers sont en plein cintre ;
ceux d’Autun sont brisés. En conséquence, nous doutons que
la nef de Vézelay ait été construite ente 1120 et 1132. Mais
plutôt avant l’an 1100. Par ailleurs, nous savons (page
consacrée à Vézelay du site Internet Wikipedia) que
l’abbatiale de Vézelay aurait été consacrée en 1104. Ce qui
confirmerait notre hypothèse de la construction de la nef de
Vézelay peu d’années avant l’an 1100.
Indiquons à présent des comparaisons la largeur du vaisseau
central de la Madeleine de Vézelay et d’églises romanes de
Normandie. Pourquoi la largeur du vaisseau central ? Parce
qu’elle est déterminante pour la stabilité d’un édifice
voûté : plus une voûte est large, plus elle est la fragile.
Bernay : 9, 5m. Notre Dame de Jumièges : 11, 5 m.
Boscherville : 10, 4m.
La Trinité de Caen : environ 7, 5m. Saint-Étienne de Caen :
environ 9, 5m.
L’étude de chacune de ces églises nous a permis de voir que,
pour aucune d’entre elles, le vaisseau central n’était voûté
à l’origine. Pour deux au moins d’entre elles, Jumièges et
Boscherville, les collatéraux étaient voûtés à l’origine.
C’est moins sûr pour Saint-Étienne de Caen ou Bernay.
Voyons à présent la nef de la Madeleine de Vézelay. Sa
largeur est 10m 10. Tout permet de penser qu’elle a été
entièrement voûtée dès l’origine.
Avec la Madeleine de Vézelay, nous sommes en présence d’une
église nettement plus évoluée que les précédentes.. Bien que
moins large que Jumièges, elle la surpasse par le fait que
son vaisseau central est voûté. Qui plus est, ce vaisseau
central est voûté d’arêtes. Ce type de voûtement autorise
l’ouverture de fenêtres supérieures permettant d’éclairer le
vaisseau central. Tout laisse penser que l’architecte de
Vézelay avait une conception très évoluée de son art. Et
selon nous, une génération au moins sépare les deux
architectes respectifs de Vézelay et de Jumièges. Ce qui
ferait remonter la construction de Notre-Dame de Jumièges
avant l’an 1070. Et, Jumièges étant plus performante que
Bernay ou les églises de Caen, on pourrait estimer que
celles-ci sont antérieures à l’an 1040. L’expression «
antérieures à l’an 1040 » ne signifie pas, bien sûr, «
datant de 1040 ». Ces églises peuvent être plus anciennes
encore. Voire même antérieures à l’an mille. Mais pas trop
cependant. Un début de classement commence à se faire jour.
Nous espérons que l’étude d’autres églises permettra
d’améliorer ce classement.
Les
églises « anglo-saxonnes »
Il n’y a pas en Normandie que des églises à nef à trois
vaisseaux. Il existe un autre type d’église à nef à un seul
vaisseau, pour lesquelles la nef et le chœur sont séparés
par un clocher. Ce sont des églises de type « anglo-saxon »,
que nous avons rencontrées principalement dans le Cotentin.
Les premières construites seraient de peu antérieures à l’an
mille.
Notons que nous n’avons pas trouvé en Normandie des
chapiteaux comparables à ceux de Bretagne. Il y a là un réel
problème.
Différences entre les
monuments de Normandie et de Bretagne
La collection Zodiaque
a réalisé des ouvrages descriptifs de l’art roman par
régions. En conséquence, il existe un livre intitulé « Bretagne romane »,
deux livres sur la
« Normandie Romane
» et ainsi de suite. Mais il s’agit plutôt de livres à usage
« touristique », permettant au visiteur d’une région de
connaître l’ensemble des monuments de cette région. Certes,
on a pu définir quelques caractéristiques régionales. Mais
ces caractéristiques n’en sont pas lorsqu’on examine plus
attentivement la question. Ainsi par exemple on a pu définir
un « art roman auvergnat » à partir de quelques églises
(Saint-Nectaire, Saint-Saturnin, Orcival, Notre-Dame-du-Port
de Clermont-Ferrand, Issoire). Mais il ne s’agit que de
quelques églises sur plus de 200. De plus, on s’aperçoit en
les visitant que seul le chevet est concerné par les
ressemblances, les intérieurs pouvant être très différents.
C’est pour cette raison que nous avons voulu, avant même la
création de ce site Internet, étendre notre recherche à
toute l’Europe en pensant que les ressemblances ou
différences avaient une origine plus en rapport avec le
temps qu’avec le lieu. Les problèmes rencontrés en un lieu
donné pouvaient trouver leurs solutions à plusieurs
centaines de kilomètres de ce lieu, parce que les monuments
appartenant à ces endroits très éloignés dataient de la même
époque.
Cette méthode revenait à nier le caractère régional de «
l’art roman ». Ce, d’autant plus que les régions actuelles
ne coïncident par exactement avec les régions anciennes.
Le fait que les sculptures des chapiteaux bretons soient
différentes de celles des chapiteaux normands remet en
question cette idée. Doit-on rétablir le système des régions
? Nous ne le pensons pas. Par contre, il serait sans doute
plus intéressant d’étudier le concept de « peuple ». Les
chapiteaux dits bretons ne sont pas bretons parce qu’ils
sont dans la région de Bretagne mais parce qu’ils ont été
conçus par un peuple d’origine celtique ayant hérité de
traditions et de religions celtiques. Ce peuple (ou des
peuples apparentés) a vécu en Bretagne, mais peut-être en
d’autres endroits que la Bretagne. Des endroits qui
pourraient être retrouvés par comparaison des chapiteaux.
Ce concept de peuple est plus prégnant que celui de région.
En effet, plusieurs peuples différents ont pu habiter dans
la même région, successivement ou simultanément.
Regardons ce qui se passe actuellement en France. Nous
pouvons rencontrer dans une même ville des églises
catholiques, des temples protestants, des synagogues juives,
des mosquées musulmanes, des loges franc-maçonnes. Pourquoi
cette diversité actuelle n’aurait-elle pas existé il y a un
millier d’années, en changeant bien sûr les mots «
protestants » ou « musulmans » par d’autres tels que «
païens » ou « hérétiques ariens » -? Le tout amplifié par le
fait qu’il y a eu des migrations importantes de populations.
Et des témoignages existent de coexistence de peuples : les
gallo-romains, les goths, les francs.
Et les Normands ?
Il faut tout d‘abord être conscient que le mot « normand »
est un terme générique signifiant « homme venu du Nord ». Ce
terme désigne, non pas un seul peuple, mais un ensemble de
peuples issus du Nord de l’Europe. On a pu retrouver
certaines des langues parlées par ces peuples. Certains
dialectes n’ont pas une origine indo-européenne. On raconte
que les Normands sont arrivés en Normandie au IXesiècle.
En fait, des textes anciens montrent qu’avant cette date,
divers pirates venus du Nord avaient débarqué sur les côtes
de l’Atlantique. En particulier des pirates francs. Mais il
y a eu aussi d’autres peuples venus du Nord qui ont occupé
des zones plus méridionales. On sait que les saxons sont
venus en Normandie. Et en Angleterre, des Jutes, des Angles
et des Saxons. On connaît aussi les Pictes et les Scots
ayant occupé l’Écosse.
Il faut bien comprendre que tous ces peuples devaient avoir
des cultures qui leur étaient propres. Actuellement, les
noms de ces peuples sont réunis dans un seul nom, le nom «
Viking ». Ce mot, lui aussi générique, signifierait « pirate
».
De nombreux livres décrivent « l’art des Vikings ». C’est un
art qui nous apparaît incompréhensible du fait de sa
variété. Parfois, les œuvres d’art sont décorées d’entrelacs
très recherchés. Parfois, elles en sont dépourvues. Les
entrelacs se retrouvent en Norvège mais aussi en Irlande.
Cette variété pourrait être due à la multiplicité des
peuples du groupe des « Normands » ou des « Vikings ».
Les archéologues qui ont fouillé les sites archéologiques de
Normandie ont été surpris de ne pas trouver de restes
vikings. Mais quels restes espéraient-ils découvrir ? Des
restes analogues à ceux que l’on peut voir en Norvège ou au
Nord de l’Angleterre ? Mais qui nous dit que les Normands
qui ont occupé la Normandie ne provenaient pas d’une région
plus proche du Nord de l’Europe : la Hollande (Frisons), le
Nord de l’Allemagne (Saxons), ou le Danemark (Danois) ?
Il est donc possible que, parmi les églises que nous avons
décrites, certaines possèdent des œuvres inspirées par des
peuples venus du Nord de l’Europe.