L'église Sainte-Colombe de Chef-du-Pont

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Cette église, qui nous apparaissait digne d'intérêt, a été étudiée pour la première fois en février 2018, sans avoir été visitée, et à partir d'images extraites d'Internet. Ci-dessous, les commentaires faits à cette occasion :


L'église Sainte-Colombe de Chef-du-Pont (en Sainte-Mère-Église)

Le tympan du portail Ouest (image 2) de cette église représente un homme terrassant un dragon. L’homme ne porte pas d’auréole. On est en présence d’une sculpture de même style que celle de Daniel entre les deux lions. Une sculpture probablement préromane.

L'image 3 est celle d’une nef charpentée dont le vaisseau central est porté par des piliers à section rectangulaire. Nous estimons ce type de nef antérieur à l’an 800 : an 700 avec un écart de 200 ans.

Les chapiteaux des images 4, 5 et 6 appartiennent à une autre partie de l’église. Nous les pensons antérieurs à l’an 1000 (an 950 avec un écart de 100 ans). En particulier celui de l'image 5 aux deux lions affrontés.



Reprise de l'étude (novembre 2021)


Nous reprenons l'étude de cet édifice, en date de novembre 2021, grâce aux images prises par Anne-Marie et Alain Le Stang  lors de leur visite de cette église en septembre 2021.

Nous tenons tout d'abord à rectifier une erreur faite précédemment. Nous n'avions pas identifié la sculpture de l'image 2. Cette identification s'est faite plus tard lors de notre étude des monuments de Saintonge où elle est connue sous le nom de « Samson et le lion ». Par ailleurs, nous avons réalisé que cette œuvre n'était pas préromane mais romane. Il reste cependant à comprendre comment il se fait que cette œuvre, si semblable à celles de Saintonge, soit située à près de 500 km de cette région. Une autre question se pose : s'agit-il bien de Samson et du lion ? L'épisode biblique est le suivant : « Samson avec son père et sa mère descendit à Timna et, comme ils arrivaient aux vignes de Timna, il vit un jeune lion qui venait à sa rencontre en rugissant. L'esprit de Yahvé fondit sur lui et, sans rien avoir en main, Samson déchira le lion comme on déchire un chevreau ; mais il ne raconta pas à son père ni à sa mère ce qu'il avait fait. ». Il semblerait que ce soit le cas : dans chacune des représentations, l'homme écarte la gueule du lion comme lorsqu'on déchire une étoffe.


À l'entrée de l’église, un panonceau donne les renseignements suivants (auteur : Julien Deshayes) : « Sa première mention historique est contenue dans une charte de 1054, faisant état de la donation de la terre de Sancta Colomba au profit de l'abbaye du Mont-Saint-Michel. C'est toutefois l'évêque de Bayeux, au droit de son exemption de Sainte-Mère-Église, qui percevait les dîmes et nommait les desservants de l'église.

Une construction de qualité : Celle-ci a souvent suscité l'intérêt des archéologues en raison de la qualité de son décor sculpté d'époque romane. L'édifice, de dimensions modestes, présente un chœur à chevet plat, précédé à l'Ouest par une courte nef à bas-côtés. Les archives paroissiales documentent avec précision la construction du bas-côté Nord, édifié entre 1686 et 1688, “pour l'utilité et la décoration de ladite église”. Seul le collatéral Sud est d'origine, offrant un exemple rare de nef à bas-côté unique, très bas et étroit.
[...] ».

Le texte fournit par la suite une description très détaillée de l'édifice.

Nous commençons l'étude de l'édifice par l'extérieur et les façades : Ouest (image 1), Sud (image 8) et Nord (images 7 et 9). L'existence d'une nef à bas-côtés ne se manifeste pas, à première vue, dans ces images de l'extérieur, car la nef est couverte d'un toit unique à deux pentes alors que, pour une nef de type basilical, il y a quatre pentes (deux pour le vaisseau central et une pour chacun des collatéraux). On remarque cependant que la façade Ouest (image 1) est partagée en trois parties par des contreforts (cette particularité permet d'identifier l'existence antérieure d'une nef à trois vaisseaux).


Venons-en à présent aux images de l'intérieur de la nef (images 3, 10, 11, 12, 13, 14, 15). En rédigeant notre première page, en février 2018, nous avions insisté sur le fait que la nef est à trois vaisseaux charpentés. Pour nous, cela entraînait une haute datation. Il est certain que les deux phrases, « Les archives paroissiales documentent avec précision la construction du bas-côté Nord, édifié entre 1686 et 1688, “pour l'utilité et la décoration de ladite église”. Seul le collatéral Sud est d'origine, [...] », contribuent à remettre en question notre analyse. Cependant, ces deux phrases posent elles-mêmes question. La question est la suivante : si le collatéral Nord a été construit dans sa totalité à la fin du XVIIe siècle, comment se fait-il qu'il soit apparemment parfaitement semblable au collatéral Sud ? C'est à dire que l'architecture de l'ensemble de la nef (vaisseau central + collatéraux) soit celle d'une basilique préromane et non d'une église de la fin du XVIIe siècle, ces dernières étant pourvues de pièces annexes (chapelles, sacristie). Imaginons qu'un architecte contemporain décide de construire un appartement semblable à ceux du XIVe siècle, c'est-à-dire dépourvu de WC, salle de bains, cuisine indépendante. On trouverait cela surprenant ! Nous éprouvons la même surprise en présence de ce collatéral Nord qui aurait été refait à l'identique du collatéral Sud. Nous envisageons la situation suivante : durant toute une période de décadence, qui a peut-être commencé avant même les guerres de religion, l'église a été progressivement délaissée. Et certaines des parties de cette église, comme par exemple les collatéraux, ont été affectées à d'autres usages. Au moment de la contre-réf orme, il y a eu une réhabilitation de ce bâtiment (“pour l'utilité et la décoration de ladite église”), Le phénomène n'est d'ailleurs pas isolé : de nombreuses églises ont subi des évolutions de ce genre. Il est donc fort possible que les archives paroissiales ne témoignent pas d'une réfection totale mais d'un réaménagement sur des structures existantes. Il faudrait, bien sûr, vérifier tout cela grâce à l'étude du plan au sol et une relecture des archives paroissiales. Mais nous pensons ne pas être très éloignés de la vérité.

En tout cas, il existe des traces d'une réfection concernant la partie Sud, signalée comme étant romane. Observons l'image 14 d'une travée vue en direction du Sud. Cette image est centrée sur l’arc reliant les piliers. Par contre, les deux fenêtres situées sur le mur du vaisseau central (pour celle du dessus) et sur le mur extérieur (pour celle du dessous) sont décalées vers la droite. Les trois fenêtres devraient être dans le même alignement.

Nous pensons que cette nef profondément remaniée pourrait être un vestige de la nef primitive préromane. Les images 17 et 18 sont celles d'impostes de cette nef. Celles-ci sont du type « à chanfrein vers l'intrados de l'arc ». Les impostes sont rarement sculptées de motifs. Ici, les décors sont difficilement visibles (peut-être un masque crachant des feuillages pour l'image 18).


Comme il est dit dans le texte du panneau : « la sobriété de la nef contraste avec le soin tout à fait exceptionnel apporté à l'élévation du chœur. [...] ». En fait, ce n'est pas tout à fait une surprise pour nous, car nous avons constaté à de nombreuses reprises que les décors de la nef et du chœur pouvaient être fort différents. Et ce, pas seulement dans la qualité d'exécution que dans le style. Le choix des supports, comme ici les impostes pour la nef et le système chapiteau-tailloir pour le chœur, peut aussi être une facteur important de différenciation. Bien sûr, si on part du principe que la nef et le chœur sont contemporains, on a de quoi être désorienté. Mais nous partons du principe inverse : la nef aurait été construite plusieurs siècles avant l'actuel chœur qui aurait été édifié en remplacement du chœur primitif, de dimensions plus modestes. Nous pensons de plus que le décor de la nef était peut-être aussi riche que celui du chœur actuel. Mais ce n'était pas un décor sculpté, mais peint.

Les images 4, 5, 6, 20, 21, 23, 24, 26 permettent d’admirer ce beau décor sculpté (lions affrontés, masques, entrelacs de feuillages). Mais selon nous, ces éléments se situent hors du cadre de notre étude. Ils témoigneraient d'un art roman tardif (an 1125 avec un écart de 50 ans).

L'existence d'une arcature sur les murs Nord et Sud du chœur (image 25) et d'un chevet plat avec un triplet de fenêtres (image 27) constitue un point d'interrogation. On pense à nouveau à certains monuments de Saintonge mais nous ne sommes pas encore assez documentés pour pouvoir faire des déductions.

Dernière remarque : malgré leur aspect archaïque, les modillons ornant les murs du chevet (image 28) et les chapiteaux des piédroits du portail (images 29 et 30) sont relativement récents (XVe ou XVIe siècle).


La visite d’Anne-Marie et Alain Le Stang et l'analyse qui s'en est suivie nous permettent de réévaluer la datation de l'église Sainte-Colombe de Chef-du-Pont.

En ce qui concerne la nef primitive : an 800 avec un écart de 200 ans (au lieu de : an 700 avec un écart de 200 ans). Nous considérons en effet que les impostes à chanfrein tourné vers l'intrados de l'arc constituent la dernière étape d'églises à nef à piliers rectangulaires de type R0000.

En ce qui concerne le chœur : an 1100 avec un écart de 100 ans. Il est possible qu'il y ait eu deux étapes de construction, la seconde étant le voûtement en croisée d’ogives de chacune des parties du chœur. Remarque : cette nouvelle évaluation remet profondément en question la précédente qui était l'an 950 avec un écart de 100 ans.