La cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle 

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On peut s’étonner que, dans un ouvrage consacré au premier millénaire, soient étudiés des monuments datés du deuxième millénaire. Il y a plusieurs raisons à notre démarche. La première tient au fait qu’il faut garder une certaine souplesse dans les estimations de datation. Si, en théorie, le premier millénaire s’arrête le 31 décembre 999, dans la pratique, compte tenu de la continuité du temps et du flou dans l’évaluation des datations de monuments, on ne peut l’arrêter à cette date. C’est vrai pour l’an mille. Mais c’est vrai aussi pour des dates plus récentes. Les spécialistes de l’art le savent fort bien. Ainsi, bien qu’on puisse parler « d’art du XIXesiècle » on ne donne pas à cet art des limites précises dans le temps et on préfère décrire des « styles » ou des « écoles » qui franchissent les barrières artificielles que sont les années 1800 et
1900 : « impressionnistes », « nabis », « symbolistes », etc. Il faut aussi garder à l’esprit que les historiens de l’art ont tendance à privilégier l’étude des « artistes de génie », des novateurs, en oubliant que, à côté de ces novateurs, il y avait des conservateurs qui copiaient et perpétuaient des œuvres d’un style nettement plus ancien. Ainsi, à l’heure actuelle encore, on continue à décorer certains lieux de culte d’œuvres de style « sulpicien » inventé vers 1850.

Ce qui est vrai pour des périodes récentes bien connues doit l’être encore plus pour des périodes moins bien connues, comme le Premier Millénaire.

Nous avons une deuxième raison d’étudier certains monuments postérieurs à l’an 1000. Nous voulons rechercher les traits caractéristiques de ces monuments et, tout particulièrement, les innovations architecturales dont ils témoignent. Nous partons du principe que, lorsqu’elles conduisent à un progrès, les innovations techniques sont rapidement adoptées et généralisées. En conséquence, si un édifice ne possède pas ces innovations, il doit être antérieur au monument étudié.

Il existe une dernière raison d’étudier ces édifices. Pour nombre d’entre eux, il existe une documentation fournie et détaillée. C’est le cas de la Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle étudiée ci-dessous.




La documentation sur Saint-Jacques-de-Compostelle


Voici ce qu’on peut lire sur la page du site Internet Wikipedia consacrée à cet édifice :

« La cathédrale actuelle est un édifice roman, construit en granite, dont les travaux ont débuté en 1075, avec l'évêque Pélaez, et grâce à l'élan donné par l'évêque Gelmírez, ainsi que le roi Raimond de Bourgogne (v. 1059-1107), époux de la reine Urraque Ière de Castille (1081-1109-1126), ils furent terminés en 1211. Elle fut consacrée la même année en présence du roi Alphonse IX de León (né en 1166 ou 1171 - roi en 1188 - mort en 1230).

Selon le Codex Calixtinus, sont intervenus comme architectes, Bernard « le vieux » et Robert dans la première étape, et Esteban et Bernard « le jeune », dans la deuxième.

C’est l’une des réalisations les plus représentatives du type de la grande église romane vouée au culte des reliques et des pèlerinages. Cet édifice constitue l’aboutissement des recherches poursuivies dans les sanctuaires français apparentés : Sainte-Foy de Conques, Saint-Martial de Limoges, Saint-Martin de Tours et Saint-Sernin de Toulouse. Elle a été beaucoup parée et enrichie entre les XVIe et XVIIIe siècles. »



Notre analyse des textes

Selon les auteurs de ce texte, qui reproduisent sans doute les vues de la majorité des chercheurs, les travaux auraient débuté en 1075 pour se terminer en 1211, soit 136 ans plus tard. Nous pensons qu’un tel commentaire pose plus de problèmes qu’il n’en résout. En effet, même si une église est construite pour durer des siècles, l‘évêque qui lance le projet a envie de le voir réalisé. Lorsque l’évêque Pélaez a mis son projet en œuvre en 1075, il espérait très probablement le voir terminé au maximum dans les 20 années suivantes. Comprenons bien qu’il s’agit là d’un comportement humain naturel. Même à l’heure actuelle, où nous sommes capables d’imaginer des projets dans un avenir lointain (plus de dix ans), nous ne sommes pas capables de concevoir un projet devant être finalisé 50 ans plus tard. Comment alors expliquer un tel retard de 136 ans ? Certes, il y a eu dans le passé des projets qui n’ont été réalisés que très longtemps après. Le dôme de Florence en constitue un exemple. Mais il s’agissait d’un projet très ambitieux. Et nous ne voyons pas dans la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle de prouesse architecturale, ni de rupture de style permettant d’expliquer ce retard.

Par ailleurs, nous sommes persuadés que s’il y avait eu des travaux importants entre la fin du XIIesiècle et la date de 1211, on en verrait les traces (gothiques) sous la forme d’arcs brisés et de croisées d’ogives. Tel n’est pas le cas.

Nous pensons donc que, si les documents mentionnant le début des travaux en 1075 sont exacts, alors, avant même la fin du onzième siècle, la plus grande partie des travaux avait été effectuée. Restait sans doute à réaliser les sculptures des portails monumentaux.

Mais alors comment expliquer la date de consécration de 1211 ?

Le plan de l'image 10 fait apparaître une dissymétrie au niveau du sanctuaire. Cette dissymétrie est en partie liée à l’existence, à gauche, de l’ancienne cathédrale. Il est possible que, une centaine d’année après sa création, le chapitre cathédral ait voulu construire une nouveau chevet plus conforme aux goûts de l’époque : un chevet à déambulatoire et à chapelles rayonnantes. La date de 1211 correspondrait à l’inauguration de ce nouveau chevet.

En conséquence de ces remarques, la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle pourrait bien dater dans sa plus grande partie, de la fin du XIesiècle.


Suite de nos commentaires sur ce texte de Wikipedia
Il existe des phrases que nous ne comprenons pas : « une basilique à neuf nefs dans sa partie inférieure et six dans la partie haute ». Nous ne voyons pas comment l’auteur a pu établir ce décompte. De même, la phrase : « celle de las Praterías, œuvre de maître Mateo en 1103 ; et surtout, le Porche de la Gloire, sommet de la sculpture romane exécuté par maître Mateo en 1188 » nous laisse un peu rêveurs. Maître Matéo aurait-il eu une vie active pendant 86 ans ? C’est à mettre sur le livre des records.


Essayons à présent de décrire cet édifice à partir des images que nous avons sur cette page. La nef est à trois vaisseaux. Les murs gouttereaux du vaisseau central sont portés par des piliers rectangulaires de type R1111. Sur chaque face de pilier, est accolée une colonne demi-cylindrique. On distingue nettement sur les images (et en particulier l'image 9) l’unicité de style. Pour chaque pilier, l’ensemble des colonnettes, chapiteaux, tailloirs, et la corniche contournant le pilier, constitue un tout homogène. Les piliers portent des arcs surhaussés doubles.

Chacune des travées des collatéraux (image 7) porte une voûte d’arête s’appuyant sur des arcs doubleaux en plein cintre.

La vaisseau central quant à lui, est voûté en plein cintre sur des doubleaux plein cintre. Le tout est parfaitement ordonné. On sent que les ouvriers ont travaillé avec minutie et précision.

Le transept est lui aussi à trois vaisseaux.

On se trouve en présence d’un art roman parfaitement épanoui. Les réalisations ultérieures comme la cathédrale Saint-Lazare d’Autun contiendront des éléments préfigurant l’art gothique : grandes rosaces, arcs brisés, voûtes d’ogives.



Datation

Le seul examen de l’architecture de l’édifice nous avait fait envisager la date suivante : an 1100 avec un écart estimé de 50 ans. Si elle se révèle exacte, la date de 1075 des premiers travaux effectués sous l’épiscopat de Pélaez nous oblige à réviser notre position en avançant la date estimée de 25 ans. Et en proposant la date de 1075, toujours avec un écart estimé de 50 ans.


Dernière remarque : les chapiteaux
Ces chapiteaux (images de 14 à 18) semblent eux aussi correspondre à une période déterminée. On sait que, au tout début du XIIesiècle, Saint Bernard vitupérait contre la décoration des chapiteaux qui distrayait les moines de leurs prières. Il est possible que Saint Bernard ne se soit fait que l’écho d’un mouvement tendant à supprimer des scènes trop évocatrices des chapiteaux et inversement, à placer de telles scènes à l’entrée des églises afin d’édifier les pélerins. C’est en tout cas ce qui se passe à Compostelle où l’on voit des chapiteaux très peu décorés et des portails, au contraire, très abondamment sculptés (images 2, 3, 4, 5 et image 13 (portail de la Gloire, non visité)).