L’église Saint-Jean-Baptiste et Saint-Saturnin de Lunac 

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Nous avons placé à dessein dans cette étude sur les monuments du Premier Millénaire un édifice qui pourrait ne pas en faire partie. Mais il nous semblait important de montrer par une analyse critique, tant des textes que de l‘architecture, que l’on pouvait remettre en question certaines datations.


Analysons tout d’abord le texte suivant qui nous a été communiqué : « L’église Saint-Jean-Baptiste et Saint-Saturnin est mentionnée entre 1051 et 1070 dans un acte de donation à l’abbaye de la Chaise-Dieu. Elle est sans doute reconstruite peu après la fin du XIesiècle, comme en témoignent le chevet et le transept conservés qui se rattachent à la période romane ».

Ce texte nous donne dès le premier abord une impression de déjà vu, voire de ressassé, du style : « Un texte mentionne l’existence de cette église en l’an x (année antérieure à l’an 1000 voir même un peu plus que l’an 1000). Mais ce n’est pas l’édifice que l’on voit puisque celui-ci date du XIIesiècle ». Et, bien sûr, à chaque fois l’auteur ne donne pas les clés permettant d’identifier sans appel une église du XIIesiècle et de la différencier d’une église du XIesiècle, puis celle-ci d’une église du
Xesiècle, et ainsi de suite jusqu’au IVesiècle. Par ailleurs, quelle est donc cette manie des constructeurs du XIIesiècle (et pas d’autre siècle) de détruire tout ce qui avait été fait avant eux pour ne construire que du neuf ? Ne pourrait-on pas plutôt imaginer que ces constructeurs n’ont pas détruit, mais modifié ou réaménagé, des monuments préexistants ?

Ajoutons à cette réflexion que cette critique des textes ne doit pas être lue comme une critique de leurs auteurs. La plupart du temps, ces auteurs ne font que reprendre les analyses de leurs prédécesseurs, qui eux-mêmes ont repris les analyses d’autres prédécesseurs.


Nous avons vu précédemment que, contrairement à ce que pensent certains commentateurs, les constructeurs du XIIesiècle auraient pu, non pas détruire une église précédente, mais la réaménager en fonction des goûts du jour. Concernant l’église Saint-Jean-Baptiste et Saint-Saturnin, ce pourrait être le cas.

Le chevet (images 1 et 2) présente la particularité suivante : les deux absidioles sont accolées à l’abside principale (ou plus exactement à l’avant-chœur, partie rectangulaire de l’abside principale). Cette disposition caractériserait une étape de construction antérieure à l’usage du transept large. En effet, lorsqu’il y a un transept large, les absidioles sont greffées directement sur le transept.

Nous n’avons malheureusement pas pu disposer d’un plan de l’édifice, plan qui nous aurait permis de connaître la nature du transept et d’imaginer des hypothèses. Il est possible en effet que le transept ait été constitué à partir de la première travée d’une nef à trois vaisseaux (ce serait donc un faux transept). Dans ce cas, on serait en présence d’une église antérieure à l’an 1000.

Toujours est-il que ces trois absides accolées font plus penser à un édifice du XIesiècle (voire antérieur) qu’au XIIesiècle.

Comparons à présent les images 3 (fenêtre de l’absidiole Nord) et 4 (fenêtre de l’abside principale). Les différences sont flagrantes. Elles sont mêmes plus fortes si on prend la fenêtre axiale de l’absidiole Sud (image 1). Si les absides avaient été construites en même temps, on aurait construit le même type de fenêtre. Notre hypothèse est la suivante : les trois absides ont été effectivement construites simultanément. Mais ce sont les fenêtres (du moins certaines d’entre elles) qui ont été percées après. Pour nous, la fenêtre axiale de l’absidiole Sud doit être d’origine. La fenêtre axiale de l’absidiole Nord a dû faire l’objet d’une restauration. De même que la fenêtre Sud de l’absidiole Sud. Concernant l’abside principale, il devait y avoir primitivement une fenêtre axiale de dimensions analogues aux fenêtres précédentes. Il a été décidé d’éclairer cette abside en perçant de grandes fenêtres (remarquer sur l'image 1 que la fenêtre n’est pas centrée par rapport aux contreforts). Le percement et la décoration des trois fenêtres a pu se faire au XIIesiècle.


Un autre indice d’ancienneté se révèle dans les chapiteaux du transept. Celui de l'image 7 n’est pas très révélateur : on en rencontre du même type dans des époques très différentes . Par contre les chapiteaux des images 8 et 9 sont beaucoup plus intéressants. Ce sont des chapiteaux à entrelacs. On distingue trois grands types d’entrelacs : l’entrelacs exubérant qui serait le plus ancien, l’entrelacs structuré, dit encore carolingien, l’entrelacs de vannerie, le plus récent (XIe- XIIesiècle). Ceux-ci font partie de la deuxième catégorie. Ces chapiteaux pourraient dater du Xesiècle, voire du début du XIesiècle.


Les modillons du chevet (images de 10 à 15) se révèlent très « modernes » dans leur conception. Nous les avons ici reproduits tant ils apparaissent intéressants. Ils passionneront tous les amateurs de l’art roman. Le blog suivant les présente plus dans le détail.
Cependant ils sont en dehors du cadre de notre étude. En effet, par comparaison stylistique avec les atlantes des voûtes des croisillons du transept de la Cathédrale de Béziers (première moitié du XIIIesiècle), nous estimons que ces modillons doivent eux aussi être datés de cette période.


Conclusion

Nous ne sommes pas certains que l’édifice de Lunac soit antérieur à l’an 1000. Néanmoins, nous estimons qu’il existe des restes importants antérieurs à l’an 1050 : chapiteaux du transept, plan des trois absides. Les fenêtres de l’abside principale pourraient dater du XIIesiècle. Les modillons seraient le résultat d’une réfection de la bordure du toit dans la première moitié du XIIIesiècle.