Quelle est la démarche à effectuer en vue de dater une église dite romane ?
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1. Ne pas lire la notice
explicative associée à cette église. Il faut en effet
accepter l'idée que la datation évoquée sur cette notice
ne repose sur aucun argument sérieux.
Les églises anciennes ne sont pas datées. Pas seulement les
églises : la très grande majorité des bâtiments civils.
Vous-même, ami lecteur, habitez-vous dans un immeuble daté ?
Et si vous avez fait construire votre maison, avez-vous
apposé en façade une plaque en marbre indiquant, outre votre
nom, celui de l'architecte et la date de construction ? Ce
qui est vrai pour les bâtiments civils l'est encore plus
pour les églises dont on connaît le nom du constructeur,
Dieu, et la date de construction, l'éternité, voulue par
Dieu.
Tout comme nous, les contemporains d’une construction
ancienne ne voyaient pas l'intérêt de la dater. Par contre,
les simples touristes visitant ce monument cherchent à
connaître son histoire. En conséquence, la municipalité du
lieu décide d'installer un panneau explicatif. La rédaction
du texte est confiée à un individu x qui ne sait pas grand
chose mais qui utilise un texte écrit au début du XXe
siècle par un curé y. Celui-ci a découvert un acte daté de
1122 signalant que la dîme ecclésiastique de cette église a
été cédée au chapitre de la cathédrale de la ville z. La
personne x ne cherche pas à retrouver cet acte qui a
peut-être disparu depuis. Et pour simplifier l'information …
elle rédige une notice affirmant que l'église a été
construite en 1122, ce qui a de fortes chances d'être faux.
Il faut bien comprendre que les premiers spécialistes qui
ont étudié les églises anciennes n'avaient que peu de
connaissances en architecture préromane ou romane. Ils
maîtrisaient mieux l'épigraphie et la traduction du latin.
Ils ont donc cherché dans des textes d'époque des passages
relatifs aux églises (parfois une seule) qui les
intéressaient. Mais ces actes de cessions de dîme, ou de
fondations, ou de consécrations, ne décrivaient pas
expressément la construction de bâtiments et encore moins la
date de construction. Ce qui est d'ailleurs tout à fait
normal. Il faut élaborer des documents avant de réaliser une
construction : achat du terrain, souscription d'un emprunt,
élaboration d'un plan. Mais une fois la construction faite
et les frais payés, ces documents ne servent plus à rien et
peuvent être employés à d'autres usages, comme allumer un
feu. En fait, on aborde là un problème plus général relatif
à la conservation des archives : d'une façon générale, on ne
conserve que ce qui est susceptible de provoquer ou résoudre
des litiges. Cette lecture partielle peut créer des
confusions.
La datation par la lecture de textes anciens n'est efficace
que dans des cas extrêmement rares. À cela il faut ajouter
l'attitude négationniste de la plupart des évaluateurs :
pour ceux-ci, une église mentionnée avant l'an mille (voire
très peu avant) n'est pas l'église que l'on voit puisque
l'église que l'on voit est du XIIe siècle. C'est
au cours d'un même enchantement que l'église citée avant
l'an mille a subitement disparu et que l'évaluateur a eu la
vision émerveillée d'une église du XIIe siècle..
Le tout, sans justification.
2. La recherche doit
commencer par l'architecture de la nef. Est-elle à trois
vaisseaux ? ou à un vaisseau ? (les nefs à deux vaisseaux
sont rares). Comment l'identifier ?
Une nef à un vaisseau est pourvue d'un toit à deux pentes (image 1). Une nef à
trois vaisseaux est pourvue d'un toit à quatre pentes, deux
pentes pour le vaisseau principal, une pente pour chacun des
collatéraux ; les pentes sont parallèles et il y a un
décrochement du toit des collatéraux par rapport au toit
principal (images 2 et 4).
Il faut en général compléter cette visite extérieure par une
visite de l'intérieur. Pour une nef à trois vaisseaux, le
vaisseau principal est porté par des piliers ou des
colonnes, soutenant des arcs (images
3 et 5).
Mais dans les faits, pour une nef à trois vaisseaux, c'est parfois un peu plus compliqué. Ainsi, par exemple, certaines églises qui étaient auparavant charpentées ont été par la suite voûtées. Mais pour éviter un effondrement, il a été nécessaire d’installer les voûtes plus bas que l'était le toit, et donc d'abaisser le toit. Si bien que le toit qui était à quatre pentes devient un toit à deux pentes. En conséquence, l'apparence extérieure de la nef est identique à celle d'une nef à un vaisseau. Mais si on pénètre dans l'édifice, on voit bien qu'on est en présence d'une nef à trois vaisseaux avec des piliers et des arcs. On peut aussi réaliser cela par un examen extérieur. En effet, la largeur d'un vaisseau de nef est limitée par la dimension des poutres destinées à supporter le toit. Nous estimons que cette dimension ne peut excéder 13 mètres (à vérifier expérimentalement). Si donc la largeur d'une nef d'église est supérieure à 15 mètres, il y a de fortes chances qu'il y ait à l'intérieur plusieurs vaisseaux (voir les images 8 et 9).
Toujours pour une nef à trois vaisseaux, il est possible
qu'elle ait été transformée en une nef en 1 vaisseau par
suppression des deux collatéraux. Dans ce cas, l'évaluation
est plus difficile car les baies de communication entre la
nef et les collatéraux ont été murées et, très souvent, les
murs ont été épaissis de façon à supporter une voûte.
Cependant, si des arcs sont visibles sur les murs à
l'intérieur et à l'extérieur et s'ils coïncident entre eux
par symétrie ou translation, on peut estimer qu'à l'origine
la nef était à trois vaisseaux (images
10, 11 et 12).
3.
L'existence d'une nef à trois vaisseaux permet d'envisager
une plus grande ancienneté. Cela ne suffit pas pourtant
pour assurer cette plus grande ancienneté car on a
continué à construire des nefs à trois vaisseaux durant
les périodes romane et gothique. Nous verrons plus loin
comment compléter cette analyse. Il semble qu'à l'origine,
les nefs à trois vaisseaux étaient privilégiées. D'où cela
vient-il ?
Au début de notre recherche, nous pensions que c'était une
question de dimensions. Les nefs à trois vaisseaux, étant
deux fois plus larges que celles à un vaisseau, peuvent
accueillir deux fois plus de fidèles. Mais plus tard, nous
avons constaté que certaines nefs à trois vaisseaux de
petites dimensions pouvaient être remplacées par des nefs
uniques de dimensions égales et ce, à un moindre coup et une
meilleure visibilité pour les fidèles. Pour les images
13 à 18 ci-dessous, remarquez que les surfaces
intérieures des nefs des églises Saint-Gunthiern de Locoyarn
(images 13 à 15) et
Saint-Quenin (images 16 à
18) sont comparables; mais la première nef est à
trois vaisseaux et la seconde, à un seul vaisseau. Remarquer
de plus la faible épaisseur des poutres transversales de la
chapelle Saint-Gunthiern (image
14). De plus grandes dimensions de poutres (et, à
l'époque, les forêts bretonnes devaient regorger d'arbres
susceptibles de produire de telles poutres) auraient permis
d'élargir notablement ce vaisseau de nef.
Nous en avons déduit que l'existence de nefs à trois
vaisseaux devait être liée à des motivations liturgiques
(processions) ou symboliques (vaisseau central réservé aux
baptisés, collatéraux, aux catéchumènes).
Petite remarque
concernant le plan de l'église Saint-Gunthiern de Locoyarn
(image 15). Ce plan
indique en rouge des parties dites «
romanes » et en bleu des parties dites « remaniées
». Nous ignorons ce que signifie pour l'auteur de ce plan le
mot « remaniées
». Mais il peut être interprété comme étant « (des parties)
nouvelles
». L'interprétation, rencontrée à plusieurs
reprises, serait la suivante ; à l'origine la nef était à un
seul vaisseau limité par les traits rouges . Puis on a
décidé d'agrandir cette nef en ajoutant des collatéraux. Une
telle interprétation ne peut convenir. Si, à l'origine , la
nef avait été construite à un seul vaisseau limité par les
traits rouges , elle aurait été formée d'une grande salle
rectangulaire enfermée entre quatre murs pleins. En ajoutant
ultérieurement des collatéraux on aurait été obligé de
percer des baies de communication entre le vaisseau
principal et les collatéraux, et ce dans les murs Nord et
Sud. Une telle opération est toujours possible quand il
s'agit d'une simple porte. Mais dans le cas présent c'est
plus compliqué car il faut commencer à percer les murs pour
installer les piliers, puis à nouveau percer les murs ; pour
installer les arcs. Et une fois les piliers et les arcs
installés ouvrir les baies au dessous des arcs. Il est
beaucoup plus simple de tout détruire et de construire
directement une nef à trois vaisseaux.
4. On
poursuit l'examen extérieur (et intérieur) par le chevet.
Dans de nombreux cas, ce chevet est postérieur à la nef.
L'explication est simple : le chevet abritant le
sanctuaire est considéré comme le corps de bâtiment le
plus important. Il est donc le plus souvent remplacé par
un chevet mieux adapté au culte.
5. Le transept : l'invention de cet ouvrage est plus
tardive, aux alentours du Xe siècle. Mais cela
ne signifie pas que l'ensemble de l'église date de la même
période que le transept. Car nombre d'entre eux ont été
construits sur une nef préexistante.
Il existe deux sortes de transepts.
Le transept bas.
Il est formé de deux corps de bâtiment situés sur la même
travée de nef, de part et d'autre du vaisseau central et
s'appuyant contre les murs de celui-ci. Dans la plupart des
cas, le faîte de toit de chaque corps de bâtiment est
perpendiculaire à celui du vaisseau central. C'est le cas du
transept bas de Cardona. L'image
19 le montre adossé à la tour de croisée du
transept. Il s’agit d'un transept dit non débordant car sa
largeur ne dépasse pas celle du collatéral. L'image
20 fait apparaître, derrière l'absidiole Nord, le
croisillon Nord du transept de l'église d'Altenstadt. C'est
aussi un transept bas non débordant dont le toit en pente
prolonge en continuité le toit du vaisseau central. Le
transept de l'église San Pere de Besalú (image
21) est aussi un transept bas qui s'appuie sur le
mur gouttereau du vaisseau central. Celui-ci est débordant.
Le transept haut. Un
transept haut est transverse au vaisseau central. Sont toit
est au moins aussi haut que celui du vaisseau central. Il
peut parfois même être plus haut que ce dernier quand le
transept a été construit après la nef, en remplacement de
l'ancien chevet. On a plusieurs dispositions. Soit les
arrêtes des deux toits se rejoignent au centre de la
croisée. C'est le cas de l'église de Kruszwica (image
22) et dans une moindre mesure de celle de Sulejów
(image 23). Soit
elles s'arrêtent à la tour de croisée du transept à plan
rectangulaire (Lessay : image
24). À remarquer que ces trois derniers transepts
sont tous débordants.
Nous pensons que les tous premiers transepts ont été créés à
l'intérieur d'églises construites auparavant à l'emplacement
d'une ou deux travées de chaque collatéral. C'étaient des
transepts bas et non débordants.
6.
Retour au chevet et plan d'ensemble de l'édifice. Les
chevets ou ouvrages Est sont d'une très grande variété.
Il semblerait que les premières basiliques aient été
insérées dans un espace à plan rectangulaire. Les absides
n'étaient pas visibles de l'extérieur (images
25 et 26).
Les plans intérieurs de ces absides sont aussi très variés :
rectangulaire, demi-circulaire, demi-circulaire outrepassé (image 27). Plus tard,
les absides ont été visibles à l'extérieur (image
28 et 29). D'abord une seule abside demi-circulaire
ou rectangulaire, en prolongement du vaisseau central.
Mais un plan d'édifice est rencontré plus fréquemment. Il a
sans doute été utilisé pendant plus d'un siècle. C'est le
plan d'une église à nef à trois vaisseaux avec trois absides
semi-circulaires en prolongement de ces vaisseaux (images
de 30 à 34). Ce plan aurait précédé l'invention des
transepts car on le retrouve parfois intact et parfois avec
un transept bas. On pense donc que les églises de ce plan
ont été construites entre le VIIIe et le XIe
siècle. Il y aurait peut-être une subdivision pour ce type
de plan, avec d'une part, celui pour lequel les entrées des
absides sont situées dans un seul alignement (images
31 et 32), et celui avec une abside centrale
précédée d'un avant-chœur (images
33 et 34).
Un autre type de plan est celui d'une église possédant un
transept, en général haut, et trois absides séparées entre
elles. L'abside centrale est située dans le prolongement du
vaisseau central. Les absidioles sont quant à elles greffées
sur le transept. En conséquence, les absides sont séparées
entre elles, alors que dans la cas précédent, elles étaient
accolées (image 35).
Ce type de plan permet de penser que le transept et le
chevet ont été construits simultanément. Par contre, ils
peuvent tous deux avoir été construits indépendamment de la
nef.
La dernière étape serait celle des grands chevets dotés de
nombreuses absidioles, et, le plus souvent, à déambulatoire.
L'image 36 montre
un de ces chevets. Nous pensons cependant qu'à l'origine,
cette église était analogue à celles des images
31 à 34 : nef à trois vaisseaux avec trois
absides en prolongement des vaisseaux. Ultérieurement, on a
supprimé les trois absides semi-circulaires. On a installé
une colonnade sur les fondations de l'abside centrale et on
a prolongé les collatéraux en arc de cercle autour de cette
colonnade, fabriquant ainsi un déambulatoire. Mais, ce
faisant, on avait supprimé les absidioles. On les a
rétablies en les implantant dans le mur extérieur du
déambulatoire.
7.
L'ouvrage Ouest.
Il y a deux catégories de constructions situées à l'Ouest de
la nef : la simple façade Ouest sans épaisseur (image
37), et l'Ouvrage Ouest (en allemand : Westwerk),
encore appelé narthex.
Il existe une grande variété d'ouvrages Ouest. Cela va du
simple clocher-porche, tour située contre la façade Ouest, à
un ouvrage plus massif formé d'un vaste porche pouvant
servir d'abri pour les pèlerins en rez-de-chaussée, et d'une
grande salle faisant office de chapelle à l'étage supérieur
(images 38 et 39).
Certains de ces ouvrages sont en prolongement de la nef,
leur largeur étant celle de la nef, collatéraux compris (image 41). Dans ce cas,
il est possible qu'une tour soit installée sur un collatéral
(image 40). Parfois
on a deux tours symétriques. On retrouve ce système des deux
tours de façade Ouest dans des cathédrales gothiques comme
Notre-Dame de Paris. L'image
42 n'est pas celle d'un chevet (ouvrage Est) mais
bien d'un ouvrage Ouest. On y voit une abside à plan
semi-circulaire. De fait, ce type d'église a deux absides,
l'une à l'Est, l'autre à l'Ouest. Nous pensons que les
églises de ce type étaient réservées à des princes voulant
promouvoir un culte religieux à l'Est et un culte impérial
semi-religieux à l'Ouest. On trouve de telles églises
principalement chez les peuples germaniques.
Les plus anciens de ces ouvrages Ouest comme celui
d'Évaux-les-Bains (image
39) auraient été, selon nous, construits au IXe
ou Xe siècle.
8.
Datation par l'évolution de l'architecture. On connaît
bien la phrase : « Les
pyramides d'Égypte, c'est formidable. On ne serait pas
capable de faire la même chose ». C'est faux ...
Non seulement on serait capable de faire la même chose, mais
on l'a fait. L'exploit de la construction des pyramides est
d'avoir déplacé une quantité énorme de matériaux et de les
entasser sur un carré de 231mêtres de côté (pyramide de
Khéops). On a fait la même chose pour une pyramide inversée
: un trou de 2500 mètres de largeur et 3700 mètres (une
superficie 150 fois plus grande que celle de la base de
Khéops), la mine découverte de Decazeville. Et ce n'est rien
par rapport aux autres mines à ciel ouvert dispersées dans
le reste du monde. Qui plus est, un des plus gros
excavateurs du monde, le Bagger
293, mesure 93 mètres de hauteur et 224 mètres de
longueur. Il est donc à peine plus petit que la Pyramide de
Khéops. Avec un équipage de seulement 5 hommes. Il peut
extraire un volume de rochers identique à celui de Khéops en
seulement 32 jours ! On a donc à l'heure actuelle la
capacité de construire une pyramide comme celle de Khéops.
Si on ne le fait pas, c'est parce qu'on n'en voit pas
l'utilité. En admettant que les Égyptiens reviennent sur
terre et qu'ils veuillent construire une pyramide, ils ne
referaient certainement pas Khéops mais plutôt une pyramide
en verre comme celle du Louvre. Une pyramide qui, si elle
avait été construite dans les mêmes dimensions que celle de
Khéops, aurait été beaucoup plus légère que celle-ci. Quelle
est la leçon de tout cela ? C'est qu'il y a toujours un
progrès dans l'architecture et que ce progrès ne se
manifeste pas forcément dans l'aspect monumental des
réalisations mais plutôt dans la légèreté de celles-ci.
Concernant les monuments d'art roman, le discours habituel
des historiens consiste à dire que pendant des siècles, du
IIIe au Xe siècle, les techniques
architecturales romaines ont été oubliées, puis, à partir de
l'an 1050, elles ont été retrouvées et on a pu construire
les édifices romans, et, à partir de l'an 1150, les édifices
gothiques. Ce raisonnement est faux car, si la connaissance
des techniques romaines avait suffi pour construire des
édifices romans puis gothiques, les romains eux-mêmes
auraient construit ces édifices plus grands et plus légers
que les monuments romains. En conséquence, la recherche en
datation doit tenir compte de l'évolution des bâtiments.
Cette évolution se manifeste selon nous dans le passage de
la construction charpentée à la construction voûtée.
L'invention romane est celle de la voûte à voussoirs. Ce
n'est pas une invention romaine.
9. Datation des nefs à
trois vaisseaux par l'analyse des piliers. Identification
de types de piliers : C0000, R0000, R1010, R1110,
R1111,M0000,.... En entrant dans une église, nous avons
tendance à regarder vers le haut. C'est un tort ! Il faut
regarder à mi-hauteur des piliers.
Il y a plusieurs types de piliers définis à partir de deux
grands groupes, les cylindriques et les rectangulaires, avec
ajout d'un autre type : le mixte (alternance de piliers
rectangulaires et cylindriques). Concernant les
cylindriques, il n'y a qu'un seul type de pilier désigné par
C0000, pilier à
section circulaire. Pour les piliers dits rectangulaires,
c'est un peu plus compliqué. Le profil d'un pilier
rectangulaire a une section de base rectangulaire. Mais il
s'agit là d'un profil initial car des pilastres
rectangulaires ou des colonnes demi-cylindriques peuvent
être accolées au pilier. Le profil obtenu est toujours un
rectangle avec des saillies rectangulaires ou
semi-circulaires sur certains côtés. S'il n'y a pas de
saillie on attribue le nombre 0 au côté correspondant. S'il
y a une saillie, le nombre 1, S'il y a deux saillies
superposées, le nombre 2. On constitue un mot de 5 lettres.
La première lettre est R (ou M), le reste du mot contient 4
chiffres permettant d'identifier le nombre de saillies par
côté. Le mot est de la forme
TECOV.
T pour le type
: R pour rectangulaire, C pour cylindrique, M pour mixte.
E pour le côté
Est du pilier.
C pour le côté
collatéral du pilier.
O pour le côté
Ouest du pilier.
V pour le côté
vaisseau central du pilier..
Ainsi un pilier de type R1010
est un pilier à base rectangulaire sur lequel est accolé un
pilastre ou une demi-colonne sur les côtés Est et Ouest.
10. Datation des nefs à
trois vaisseaux par l'analyse des piliers. Relations de
concordance entre piliers, arcs et voûtes.
Nous avons constaté ceci :
Pour des piliers de type R0000,
la nef devait être à l'origine charpentée.
Pour des piliers de type R1010,
la nef devait être à l'origine charpentée mais les arcs
reliant les piliers devaient être à l'origine à double
rouleau.
Pour des piliers de type R1110,
les arcs devaient être à l'origine à double rouleau, le
vaisseau central devait être charpenté, les collatéraux
devaient être voûtés
Pour des piliers de type
R1111, les arcs devaient être à l'origine à double
rouleau, et la nef devait être entièrement voûtée.
Une telle analyse sert de base de réflexion mais, dans la
pratique, cela se révèle en général plus compliqué.
Ainsi il est possible que les piliers soient de type R0000 et que la nef
soit voûtée. Cela signifie que la nef, primitivement
charpentée, a été postérieurement voûtée aux époques
gothique ou baroque. Il est aussi possible (le cas est
relativement rare) d'avoir des piliers de type R1010
portant des arcs à un seul rouleau. On doit aussi se poser
les questions : pourquoi y a-t-il des arcs à double rouleau
? Pourquoi y a-t-il des arcs doubleaux? Les arcs doubleaux
situés sous une voûte permettent à la fois de la supporter
en partie et de réduire sa portée. Dans un arc à double
rouleau, l'arc inférieur, moins épais que l'arc supérieur, a
une fonction équivalente. Les romains ne connaissaient pas
les arcs doubles. De même, ils ne connaissaient pas les arcs
brisés. Ces formes d'arcs sont des innovations. Les formes
de voûtes (en plein cintre, en berceau brisé, d'arêtes, en
croisée d'ogives) sont aussi des inventions inconnues des
romains. La plupart des spécialistes n'ont pas eu conscience
de l'intérêt de chacune de ces innovations (hormis celle de
l'arc brisé).
Nous envisageons la succession suivante : piliers de type R0000, R1010,
R1110, R1111.
Nefs à piliers de type R0000
: dates comprises entre l'an 450 et l'an 850.
Nefs à piliers de type R1010
: dates comprises entre l'an 800 et l'an 950.
Nefs à piliers de type
R1110 : dates comprises entre l'an 900 et l'an
1050.
Nefs à piliers de type R1010
: dates comprises entre l'an 1000 et l'an 1150.
Image 45 : La nef de l'église de Saint-Généroux (Deux-Sèvres/Nouvelle Aquitaine/France).On constate qu'elle est charpentée.
Image 47 : ... on constate que l'imposte est coupée par le pilastre vertical (voir aussi l'image 69). Notre hypothèse est que primitivement, la nef n'était pas voûtée mais charpentée. Les pilastres ont été ajoutés ultérieurement pour porter les doubleaux puis poser la voûte.
Image 48 : La nef de l'église de Beaumont (Puy-de-Dôme/Auvergne-Rhône-Alpes/France). Ici aussi, la nef est voûtée et les piliers de type R0000. Mais primitivement, la nef n'était pas voûtée. Les voûtes ont été posées ultérieurement. On le voit au fait que les pilastres qui portent les doubleaux reposent sur des consoles accrochées aux murs. Le système des consoles est, selon nous, une invention de la période gothique.
Image 50 : La nef de l'église de la Garde-Adhémar (Drôme/Auvergne-Rhône-Alpes/France). Les piliers sont de type R1112. Là encore nous pensons que la construction s'est faite en deux temps. Initialement les piliers devaient être de type R1010 (éventuellement de type R1110). La nef était charpentée (éventuellement les collatéraux étaient voûtés). Ultérieurement, on a décidé de voûter le vaisseau central de la nef. Afin d'assurer la sécurité de la construction, on a décidé de renforcer les murs et de restreindre la largeur du vaisseau central. On a donc réalisé une double épaisseur de pilastres. Les piliers sont devenus de type R1112.
Image 51 : La nef de l'église de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme/Auvergne-Rhône-Alpes/France). Ici les piliers sont cylindriques. On ne peut pas comme dans les cas précédents accoler des pilastres aux piliers. Et donc, sauf cas très exceptionnels, on ne peut avoir des piliers de type C1010 ou C1111. Seulement des piliers de type C0000.
Image 53 : Nef de l'église Notre-Dame de l'Assomption d'Hildesheim (Basse-Saxe/Allemagne). Le système de piliers est mixte (deux colonnes et un pilier en alternance). Si, dans certains cas, on voit l'intérêt d'une telle alternance (système dit « lié »), nous ne le voyons pas ici.
Image 54 : Nef de la cathédrale d'Otrante (Pouilles/Italie). Nous avons ici une nef entièrement charpentée avec des piliers de type C0000. On pourrait penser que cette nef est contemporaine aux nefs de type R0000. Mais ici les arcs reliant les piliers sont à double rouleau, contemporains aux piliers de type R1010. Cette nef est donc plus tardive mais sûrement antérieure à l'an mille.
11. Et
pour les églises à nefs uniques ? C'est nettement plus
compliqué, car on n'a pas de critère précis de repérage et
on peut parfois se tromper.
Ainsi, d'après ce qui est écrit ci-dessus, on peut penser
qu'une nef charpentée est préromane et une nef voûtée,
romane. Mais on a pu construire à l'époque romane des nefs
charpentées. Il est aussi possible que des nefs initialement
voûtées aient été postérieurement charpentées. À l'inverse,
on a pu construire des voûtes romanes en s'appuyant sur des
murs préromans. Il suffisait pour cela d'adosser aux murs
gouttereaux côté intérieur des pilastres ou des colonnes
demi-cylindriques, On installait sur ces colonnes des
chapiteaux, et au-dessus de ceux-ci, des arcs doubleaux sur
lesquels on posait la voûte. Il n'est pas rare de voir à
l'intérieur de nefs uniques des colonnes demi-cylindriques
adossées aux murs. Ces colonnes portent éventuellement des
chapiteaux. Mais plus rien d'autre, la nef étant charpentée.
Ces colonnes ne servent à rien. Cela signifie, soit qu'il y
a eu une tentative de voûtement qui a échoué, soit que la
voûte a été construite, mais elle a été détruite par la
suite.
Image 58 : L'église d'Überlingen (Bade-Wûrtenberg/Allemagne). Il en est de même des scènes reproduites ici. Le Christ, reconnaissable à son nimbe crucifère, y est représenté trois fois dans l'attitude du Christ Docteur de la Foi ou Christ Enseignant.
Image 66 : La chapelle Sainte-Marie de Roubignac à Octon (Hérault/Occitanie/France). Cette chapelle est voûtée. On pourrait donc penser qu’elle est postérieure à l'an mille. Néanmoins on observe un léger détail : la colonne demi-circulaire de droite recouvre en partie les voussoirs inférieurs de l'arc du milieu. Cela prouve que cette colonne été posée après les arcs du fond. Et donc l'église initiale était probablement charpentée.
12.
Autre façon d'estimer une datation : le mobilier
(sarcophages, cuves baptismales, autels,...). Lorsque dans
l'église ou à proximité immédiate de celle-ci, on découvre
des pièces de mobilier datables du premier millénaire, il
y a des chances que l'église remonte à cette période.
Cependant, ces pièces de mobilier sont souvent difficiles à
dater. Quelques observations : les sarcophages à cuve
rectangulaire et couvercle en forme de toit à acrotères
dateraient du IVe ou Ve siècle, ceux à
cuve trapézoïdale avec logette céphalique, du VIIe
ou VIIIe siècle. En ce qui concerne les
cérémonies du baptême, il y a eu évolution du mobilier
allant de la piscine baptismale à la cuve baptismale mais
nous avons encore de la difficulté à dater cette évolution
et certaines cuves baptismales sont peu pourvues de décors.
Image 71 : Chevet de la cathédrale d'Alet (Aude/Occitanie/France). Les chapiteaux supportent un entablement très peu caractéristique du style roman. Nous envisageons une influence wisigothique.
Image 72 : Chapiteau de la cathédrale de Saint-Lizier (Ariège/Occitanie/France). On retrouve dans ce chapiteau et le tailloir qu'il supporte des éléments caractéristiques du IXe ou Xe siècle : entrelacs, pampres de vigne.
Image 74 : Sarcophages à proximité de l'église de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme/Auvergne-Rhône-Alpes/France) : cuves avec logette céphalique (VIIe ou VIIIe siècle)
Image 75 : Sarcophages à proximité de l'église de Quarré-les-Tombes (Yonne/Bourgogne - Franche-Comté/France). Cuves en forme de trapèze, pas de logette céphalique (Ve ou VIe siècle).
13.
Autre façon d'estimer une datation : les baies (portes,
fenêtres).
Pour les nefs les plus anciennes, les portes étaient situées
sur la façade Ouest, et, dans le cas des nefs à trois
vaisseaux, il pouvait y avoir trois portes, une par
vaisseau. Ultérieurement, il a pu y avoir ouverture d'une
porte principalement côté Sud. En ce qui concerne les
fenêtres, il y a eu agrandissement de celles-ci au cours des
siècles. Et même pour les églises les plus anciennes, il n'y
avait pas de fenêtre pour les absides, les murs étant
couverts de fresques. Mais ce n'est pas parce qu'une église
est dotée d'une grande fenêtre romane qu'elle est
entièrement romane : la fenêtre a pu avoir été ouverte
ultérieurement. Le cas est fréquent et il est assez
facilement observable par l'analyse des parements.
La structure de la porte peut aussi apporter des éléments
révélateurs. Ainsi, une porte surmontée d'un linteau en
bâtière est probablement préromane. La pierre est un
matériau qui supporte très bien la pression mais nettement
moins bien la flexion. Si bien que lorsqu'elle est protégée
par un linteau en pierre, celui-ci doit être d'une grande
épaisseur, principalement en son milieu. Mais parfois cela
ne suffit pas et on doit soulager le linteau en le faisant
surmonter par un arc de décharge qui s'appuie sur les
extrémités du linteau. Entre le linteau et l'arc de
décharge, il y a un espace vide en forme de demi-disque, la
lunette. Cet espace peut rester vide. Mais il peut aussi
être comblé par un pavage de pierres, un panneau peint
(églises italiennes), un panneau sculpté (le tympan). Dans
ces différences, on peut envisager une évolution. Ainsi les
églises italiennes à petits portails et lunettes peintes
sont probablement plus anciennes que des églises comme
Vézelay, à grands portails et tympans sculptés.
Image 77 : Tympan du portail de la chapelle Sainte-Marie de Roubignac à Octon (Hérault/Occitanie/France). Nous pensons que le tympan que l'on a ici a été utilisé en réemploi. La scène représentant des orants entourant une croix pattée est à dater du VIe ou VIIe siècle (vestige de l'hérésie arienne ?)
Image 78 : Portail de l'église Saint-André de Neustadt-an-der-Donau (Bavière/Allemagne). Il apparaît roman. Les bas-reliefs qui l'entourent nous semblent antérieurs à la période romane.
14.
Autre façon d'estimer une datation : les sculptures
(décors de portes, chapiteaux).
On doit tout d'abord faire la différence entre imposte et
système tailloir-chapiteau. L'imposte est une pierre faisant
le lien entre un arc à section rectangulaire situé au-dessus
et un pilier ou pilastre aussi à section rectangulaire situé
au dessous. Dans la plupart des cas, la section
rectangulaire supérieure est plus grande que la section
rectangulaire inférieure. Si bien que l'imposte doit être
taillée en biais? comme si c'était un tronc de pyramide
inversé. Le tailloir est analogue à une imposte. Mais on est
en présence d'un autre cas. Le lien doit être fait entre un
arc à section rectangulaire et une colonne circulaire ou
demi-circulaire située en dessous. Il fat donc qu'il y ait
entre le tailloir et la colonne une autre pierre qui
permette de passer d'un plan rectangulaire à un plan
circulaire ou demi-circulaire. Cette pierre est le
chapiteau. Il y a donc deux systèmes possibles : l'imposte
et le système chapiteau-tailloir (en fait il est possible
que le chapiteau et le tailloir soient réunis en une seule
pierre ; le cas n'est pas fréquent). Nous pensons (mais sans
certitude) que le système imposte a précédé le système
chapiteau-tailloir. Mais les deux systèmes ont probablement
coexisté pendant plusieurs siècles.
En tout cas, sur les impostes comme sur les tailloirs, on
retrouve très peu de scènes historiées. Ce sont souvent des
décors répétitifs. Les scènes historiées sont en général
réservées aux chapiteaux. Nous définissons comme scènes
historiées divers décors d'animaux ou d'humains plus ou
moins fantastiques difficilement interprétables et des
scènes nettement plus réalistes décrivant des épisodes
bibliques ou des vies de saints.
Les chapiteaux à feuilles d'acanthes imités du corinthien
ont été sculptés à toute époque. Il en est de même de
chapiteaux à feuillages. Cependant il semblerait que
certains chapiteaux à feuillages comme des chapiteaux à
larges feuilles étalées ou des chapiteaux de plantes
entrelacées soient préromans. Les chapiteaux à décors
géométriques seraient aussi préromans. Hormis certains
thèmes très classiques comme par exemple le « Péché Originel
(Adam et Ève) » qui a traversé les siècles, les chapiteaux à
thèmes bibliques dateraient de deuxième âge roman (deuxième
moitié du XIIe siècle. Les spécialistes ont
identifié d'autres histoires extraites de la bible dans
certaines scènes comme celles de « Samson et le lion » ou «
Daniel dans la fosse aux lions ». Il semblerait cependant
que ces interprétations soient en partie erronées. L'erreur
se serait produite dès le Moyen-Âge. Prenons l'exemple de «
Daniel dans la fosse aux lions ». À l'origine, il y aurait
l'image d'un homme debout entre deux lions disposés
symétriquement. Quelle est la signification de cette scène ?
Difficile à savoir ! Un exégète intervient. Selon lui, la
scène est tirée de la Bible. C'est l'histoire de Daniel dans
la Fosse aux lions. Et ce, bien que la scène représentée ne
décrive pas l'histoire dans son exactitude. Plus tard,
l'histoire de Daniel est représentée mais cette fois-ci dans
son exactitude : en présence des lions et sur ordre de Dieu,
un ange apporte un viatique à Daniel.
Il reste les scènes historiées représentant des animaux
affrontés, des centaures ou des sirènes. Ces scènes sont
apparemment incompréhensibles. Nous avons cependant remarqué
que certaines de ces images sont aussi visibles sur des
blasons du XIVe siècle . Nous pensons que les
chapiteaux qui portaient ces images devaient être des sortes
de signatures de donateurs qui avaient participé au
financement de la construction de l'église.
Image 80 : Portail de l'église Saint-André de Neustadt-an-der-Donau : détail. Le personnage (un saint) brandit une croix pattée hampée, scène inconnue à l'époque romane.
Image 81 : Portail de l'église Saint-André de Neustadt-an-der-Donau : détail. Le Christ en Croix a les bras en T. La scène pourrait dater du Xe siècle.
Image 83 : Chapiteau de la chapelle Sainte-Marie de Roubignac à Octon (Hérault/Occitanie/France). Représentation très stylisée d'un orant. L'orant présent durant les premiers temps chrétiens disparaît avant l'an mille.
Image 84 : Modillon de l'église de Tollevast (Manche/Normandie/France). Scène de Samson et le lion. On la voit plutôt à la fin de la période romane. L'épisode biblique raconte que Samson a arraché la gueule d'un lion.
révélé ? Ou bien le symbole d'un pouvoir spirituel supérieur au pouvoir temporel ?
Image 86 : Chapiteau de la chapelle Sainte-Marie de Roubignac à Octon (Hérault/Occitanie/France). Daniel dans la fosse aux lions ?
Image 87 : Bas-relief de l'église Saint-Gabriel de Tarascon (Bouches-du-Rhône/PACA/France). À gauche, Daniel dans la fosse aux lions, à droite le Péché Originel. Au dessus, un ange du Ciel , qui, selon le texte biblique, apporte un viatique à Daniel. Ici c'est bien l’histoire biblique qui est racontée.